BHL a tranché : « Les colonies juives, certaines sont illégales, mais trois caravanes en haut d’une colline, ce n’est pas non plus la lèpre ou la peste qui arrive en terre arabe » (CNews/Europe 1, 21/03/2024). Si ces propos n’ont pas fait grand bruit ni suscité d’indignation, pas plus que ceux appelant à « dénazifier Gaza » ou assimilant LFI à un « parti antisémite », la sortie de son dernier ouvrage [2] a, comme les précédents, occupé le devant de la scène médiatique. Omniprésent et omniscient, le philosophe de télévision a profité de tous les canaux pour prêcher sa vision du monde dans une campagne promotionnelle qui en dit plus sur ceux qui l’invitent que sur lui-même.
Des interviews complaisantes
Sans aucune contradiction, il a été interviewé dans Franc-Tireur le 8 janvier par Caroline Fourest, dont il ne se lasse pas de dire tout le bien qu’il pense en retour [3]. Cette recette du « renvoi d’ascenseur » qu’il sert à toutes les sauces depuis près de cinquante ans explique en partie sa présence au premier plan. Le 8 janvier, il a aussi été interviewé – avec bienveillance – dans l’émission en ligne « Le Figaro La nuit ».
Le lendemain matin, on pouvait l’écouter au micro de Guillaume Erner sur France Culture. La Revue des médias indique à ce propos que l’animateur – qui « l’aime beaucoup » – a « un projet avec l’ex-nouveau philosophe : refaire L’Abécédaire de Gilles Deleuze, "en version modernisée". » [4] Et ce n’est donc pas une surprise : l’entretien a été cordial. Pour justifier cette invitation, Erner fait preuve de mauvaise foi et tord la vérité : « Je ne vois pas au nom de quoi, sous prétexte qu’il serait BHL, on ne l’inviterait pas. On me dit qu’il a été trop invité. J’ai regardé : il a été invité 0,6 fois par an sur la chaîne depuis dix ans, ce qui n’est pas trop. Par ailleurs, il ne va pas aller dans une émission spécialisée, donc si je ne l’invite pas, personne d’autre ne le fera. » [5] Outre le fait que Guillaume Erner ne sait pas compter – BHL a été invité 1,5 fois par an depuis 10 ans, soit plus de 6 fois sur la période observée par Erner [6] –, et qu’on a retrouvé BHL ailleurs que dans les « Matins » de France Culture, Erner aurait pu, en l’invitant (5 fois en neuf ans), le confronter à ses erreurs, mensonges ou raccourcis. Ce ne fut jamais le cas.
Après ces mises en bouche, le tapis rouge a été déroulé un mois durant. On retrouve le « philosophe de la pensée jetable », comme l’appelait Pierre Bourdieu, dans les colonnes du Parisien et du Figaro [7], puis sur les plateaux de France Inter, de « C à vous » sur France 5, sur C8 chez Philippe Labro, dans « L’heure des pros » sur CNews, sur Radio J, dans « la Matinale » de Radio Classique, face à Darius Rochebin sur LCI, dans « La Grande Libraire » sur France 5 ou comme invité de Margot Haddad encore sur LCI [8]. Autant de tribunes qui lui sont offertes pour condamner le Hamas et Poutine, soutenir Israël sans condition, qualifier Jean-Luc Mélenchon de « fasciste » et « d’antisémite » et saluer le courage d’Emmanuel Macron.
Son passage aux « Grosses Têtes » sur RTL (sa quatrième émission de la journée, le 14 janvier) est l’occasion pour la chroniqueuse (et compagne de BHL) Arielle Dombasle de lui donner du « mon cœur » à chacune de ses interventions et pour Laurent Ruquier, de saluer un « livre passionnant ». Évidemment. Le 26 janvier, il se rend une nouvelle fois sur la chaîne d’extrême droite CNews dans « Le grand rendez-vous » ; il enchaîne ensuite avec des passages sur France Info (27/01), TV5 Monde (28/01), dans le journal Causeur (31/01) et sur BFM-TV (1/02), où il assure qu’« il faut dénazifier Gaza ». Il donne une interview à La Tribune le lendemain, avant d’aller le soir-même flatter Emmanuel Macron sur LCI (ter) : « Il y a une part de responsabilité sur la libération des otages qui revient à la France et à son président, qui a œuvré personnellement. » Sur LCI, la chaîne des « copains », il y revient même une quatrième fois en moins d’un mois le 18 février, encore chez Darius Rochebin, toujours avec les mêmes lubies… et sans la moindre objection.
Si les articles d’Acrimed se ressemblent quand il s’agit de BHL, c’est parce que ses tournées médiatiques se ressemblent. Comme nous l’écrivions déjà il y a 17 ans à propos d’une campagne médiatique similaire à celle-ci :
Peut-on envisager, espérer (?), qu’un jour, une fois dans l’histoire de l’Humanité, un livre écrit (ou coécrit) par BHL ne soit pas encensé, sans le moindre recul, par les médias ? Peut-on s’attendre, à ce qu’une fois, une seule, les journalistes cire-pompes, les éditorialistes frotte-manches, les chroniqueurs lèche-bottes, ne repassent pas la chemise blanche du philosophe dans leurs émissions, sur leurs plateaux, dans leurs colonnes ? Une fois. Un coup. Un livre qu’ils liraient pour lui-même sans écouter les trompettes de la renommée de leur(s) auteur(s). C’est possible, non ? Même les brosses à reluire méritent le repos.
Des critiques flatteuses
Flatté sur les plateaux télé et bichonné à la radio, la presse écrite a unanimement acclamé son ouvrage. Avant même sa parution, Pascal Praud salue « le premier livre du reste de sa vie » dans le JDD (26/12) et réalise même une vidéo grotesque sur les réseaux sociaux, qui donne le la de la campagne à venir : « J’ai trouvé ce bouquin formidable, je l’ai trouvé tendre, je l’ai trouvé drôle, je l’ai trouvé intéressant, je l’ai trouvé intelligent, donc j’ai eu beaucoup beaucoup de plaisir à le lire. »
Paris Match célèbre un « autoportrait surprenant et singulier » (26/12) ; Le Monde porte la plume dans la plaie – « Le philosophe étire ses nuits à lire, écrire ou flâner » ; « Il fut un temps où l’écrivain entrait dans le sommeil "comme on rentre dans un bain" » – en revenant également sur ses « messages nocturnes à Emmanuel Macron » (3/01), alors que la veille, dans le même journal, Roger Pol-Droit s’émouvait : « Nuit blanche est un texte inattendu, souvent touchant. La face cachée, intime, à vif, d’un personnage trop fabriqué pour être réel. » [9] Viennent ensuite des textes tous plus élogieux les uns que les autres dans L’Express, le JDD (encore), Causeur (de nouveau), Le Figaro, Atlantico, Marianne, Le Nouvel Obs… Naturellement, le copinage est de mise puisque le site de La Règle du Jeu, dont il est le fondateur et contributeur majeur, consacre deux articles dithyrambiques à sa dernière livraison (les 8 et 12/01), et Le Point, dont il est éditorialiste depuis plusieurs décennies, trouve le « récit fascinant » (9/01).
En fin de tournée, Libération consacre un très long papier de quatre pages à Bernard-Henri Lévy (15/02). Ce portrait, qui n’aborde que succinctement son dernier livre, décrit comme une « plongée dans sa psyché d’insomniaque cognée par ses combats », rend toutefois le personnage aimable. De ces errements et erreurs, il ne sera point question si ce n’est une fois au détour d’un mot : « Le livre-enquête, controversé, sur Daniel Pearl ». Controversé seulement ? Le livre relève plus de la mystification que de l’enquête, comme le rappelait la New York Review of Books : « La manipulation des données est ici révélatrice de la méthode générale du livre : quand aucune preuve n’est disponible, l’auteur fait comme si elles existaient. » [10] Incomplet, l’article de Libération n’évoque jamais son incompétence patente sur l’Afghanistan, l’Algérie, la Colombie ou l’Iran. Et d’ailleurs, Lévy ne s’y trompe pas puisqu’il complimente l’autrice de l’article sur X : « J’aime mieux quand on parle de mes livres. Mais ce texte de Sophie des Déserts, dans @libe a un mérite. Et même deux. Il est exact. Et loyal. Et il dit vrai sur les engagements (#Israel, #Kurdistan, #Ukraine, guerres oubliées) qui guident aussi ma vie. Donc, tout va bien. » Tout va bien pour BHL et ses soutiers.
On l’a compris (et lui aussi), les journalistes flattés sont toujours moins corrosifs que les journalistes tancés. Et BHL ne manque jamais de distribuer de petites flagorneries en retour d’articles élogieux, prenant bien soin de nommer les courtisans. Ainsi, durant sa récente campagne médiatique, attentif à chaque publication, il a régulièrement réagi sur X : après un article dans Le Monde (« Nuit Blanche dans Le Monde d’aujourd’hui. Merci, @rpdroit. ») ; à la lecture du papier de Paris Match (« Merci, Marie-Laure Delorme. Heureux que vous ayez donné le ton. ») ; ou encore après un article élogieux paru dans La Règle du Jeu (« Mes autres combats sont là : #Ukraine, #Israel et tant d’autres. Mais Nuit Blanche est, c’est vrai, le plus personnel de mes livres. Merci, Sylvain Fort. »).
Il ne faut pas s’y tromper : si chaque ouvrage de BHL est salué de la sorte, ce n’est pas pour son contenu mais pour son auteur. Un auteur dont Guy Hocquenghem, avait déjà diagnostiqué, en 1986, la raison d’être dans sa lettre ouverte : « Drogué aux médias, à la popularité, tu ne tiens qu’à l’applaudimètre. Ton inexistence morale, chevalier du vide, révèle l’inexistence, sous l’armure, des croisés de notre génération blanche. Et cette inexistence est inscrite en tes initiales, BHL. Tu n’as même pas de nom à toi, rien qu’un sigle, comme RATP ou SNCF. » [11]
Mathias Reymond