Suppositions ...
Supposons que, journaliste d’investigation, vous vous proposiez de rédiger une " synthèse " critique - et même très critique - sur les errements médiatiques consécutifs aux attentats du 11 septembre 2001.
Vous disposez de peu de temps et, dans l’exercice solitaire de votre métier, vous n’avez pas pu lire toute la presse internationale et française, décrypter des émissions de radio et de télévision, relever ces commentaires, délicieux et redoutables, qui font de nos éditorialistes l’élite du journalisme français.
Heureusement, vous connaissez quelques sites bien informés et si vous ne les connaissez pas encore, un usage judicieux d’un moteur de recherche vous permettra de les découvrir.
C’est ainsi que vous trouverez une abondante documentation sur des sites anglo-saxons : MédiaLens, MediaChannel, Fair, par exemple.
Mais aussi sur des sites français ou, du moins, sur l’un d’entre eux : le site d’Acrimed. Sur ce site ou ailleurs, vous trouvez également de nombreuses références aux sites mentionnés ci-dessus ainsi qu’au site du Tocsin, et à des articles du Monde Diplomatique ou de Pour Lire Pas Lu.
Mais comment allez vous vous y prendre pour faire œuvre originale à partir de ces " matériaux " déjà élaborés ? Comment aller-vous citer vos sources ?
Conseils...
Vous pouvez ne tenir aucun compte de cet avertissement que Serge Halimi plaçait en note des Nouveaux chiens de garde :
Avertissement au lecteur : le plagiat, qui constitue une forme de vol intellectuel, n’est presque jamais sanctionné par la profession. Pis, des auteurs déjà convaincus d’avoir eu recours à ce procédé continuent de bénéficier des faveurs médiatiques. En France, la technique la plus courante consiste à piller l’article d’un confrère, son analyse et ses données, tout en le citant une seule fois, en général sur un point tout à fait accessoire. Quand il est confronté à l’évidence de sa rapine, le malfaiteur pris en flagrant délit a même parfois l’audace de répliquer : " Vous avez vu que je vous ai rendu hommage "... Dans la presse américaine, une pratique de ce type entraîne le discrédit professionnel du coupable ; dans les universités, l’exclusion définitive de l’étudiant ou du professeur.
Mais vous pouvez aussi, bien que cet avertissement s’adresse au lecteur (ou que vous ne l’ayez pas lu), vous défendre de toute accusation de pillage ou de plagiat, en citant abondamment, précisément, constamment vos sources.
Par exemple, vous indiqueriez nettement, au moins la première fois que vous mentionnez Acrimed : "Sur le site d’Acrimed (" Action-Critique-Médias "), Observatoire des médias de l’Association du même nom)" en donnant l’adresse du site.
Et à chaque fois que vous mentionnez pour la première fois une page ou un article précis, vous indiqueriez l’adresse et le nom de l’auteur. Pour les autres mentions, un seul rappel suffira : " Source : Acrimed, art.cit."
Evidemment, les citations seraient entre guillemets et les idées un peu originales (sur le site d’Acrimed, on en trouve quelques unes ...) ne seraient pas purement et simplement paraphrasées.
Vous tenteriez d’éviter de multiplier les négligences qui pourraient jeter un doute sur votre probité ou, même, plus simplement, sur votre sincérité.
Vous voulez un contre-exemple ? En voici un qui n’est nullement imaginaire, ... car l’ouvrage " de synthèse " que nous évoquions pour commencer existe bel et bien.
Pillages ?
L’auteur nous ayant présenté des excuses et s’étant engagé à rétablir la vérité à l’occasion d’une (très éventuelle ...) deuxième édition du livre en question, nous laisserons aux journalistes d’investigation le soin de découvrir son titre et son éditeur...
Ce qui nous importe ici c’est le cas d’école : de journalistes, bien évidemment.
Alerté par un acrimédien vigilant, nous avons, à notre demande, obtenu de l’éditeur (très amical, au téléphone...) un exemplaire du livre en question.
Quelle ne fut pas alors notre stupeur de constater que plus de 20 pages de cette " synthèse " étaient directement empruntées au site d’Acrimed , un site et une association dont la notoriété mondiale rend manifestement inutile que soient précisées sa nature et son adresse sur la toile.
Au fil de ces 20 pages, Acrimed est mentionné très souvent, il est vrai, mais pas toujours, loin s’en faut : avec pour seule indication " Source : Acrimed ", sans aucune référence au site de l’Association.
De surcroît, ces indications de sources, quand elles existent, figurent de telle sorte qu’il est souvent impossible de savoir à quoi elles font référence. Comment savoir, pour ne citer qu’un seul exemple (sur une bonne dizaine) que la discrète mention "source : Acrimed" au milieu d’un paragraphe de la page 95 se rapporte en réalité à la totalité des pages 93-95, consciencieusement recopiées et à peine modifiées ?
Enfin, la plupart des passages empruntés le sont aux " notes recueillies et rédigées par Henri Maler ", sans qu’il soit fait état de cette origine, alors que cette formulation était destinée à évoquer à la fois un travail collectif d’Acrimed (réalisé en partie avec la documentation de PLPL et de Serge Halimi pour Le Monde Diplomatique, expressément cités) et une mise en forme personnelle.
Un dernier mot : ces remarques ne concernent que le site d’Acrimed, mais la plupart d’entre elles peuvent être étendues aux autres sources de l’auteur, notamment anglo-saxonnes, mentionnées ci-dessus.
Ce qui n’en rend que plus cocasse l’avertissement de l’éditeur :
" Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite ou transmise sous aucune forme ou par quelque moyen électronique ou mécanique que ce soit, par photocopie, enregistrement ou par quelque forme d’entreposage d’information ou système de recouvrement sans la permission écrite de l’éditeur ".