Face au matraquage institutionnel, médiatique et publicitaire pour le « oui » au référendum du 29 mai, R.A.P. dénonce un « non-choix » imposant au citoyen un texte dangereux sur le fond, et dangereux par les modalités et le climat de son adoption.
Pour soutenir le « oui », l’écrasante majorité des rédactions et nombre de journalistes - ou d’animateurs qui se font passer pour tels - ont abandonné la déontologie et l’impartialité qui devraient être les leurs. Les commentaires transpirent le mépris qu’on a pour ceux du « non » ; le choix des invités est orienté ; l’organisation des débats les plus emblématiques est partiale. Est-ce ainsi qu’on entend défendre un texte renforçant prétendument le rôle des citoyens et l’Europe sociale et politique ? Le « oui » est aussi soutenu à grand renfort de publicités institutionnelles simplistes - notamment sur les réseaux commerciaux d’affichage publicitaire. La moins scandaleuse n’est pas celle qui est orchestrée dans les établissements scolaires, spécialement à destination des élèves de terminale... À l’instauration d’un débat qui serait porteur de sociabilité, d’investissement et de sensibilisation des citoyens, on préfère recourir à la manipulation grossière des masses sous couvert de « pédagogie ».
Avec l’Observatoire français des médias, Acrimed, de nombreux journalistes révoltés par la partialité de leur rédaction et plus de 200 autres organisations, R.A.P. dénonce le parti pris inacceptable des médias pour le « oui » au référendum. Nous y ajoutons de manière plus générale la collusion entre pouvoirs économiques, politiques et médiatiques, dont l’hégémonie publicitaire est à la fois un effet et une cause.
S’il était adopté, le TCE aurait des conséquences profondes sur l’ensemble de la société et notamment sur de nombreux terrains de la lutte antipublicitaire. À titre d’exemple : développer la concurrence dans l’éducation va ouvrir encore un peu plus l’école à la publicité ; de même pour les médias, déjà largement pervertis par la logique de concurrence et de rentabilité économique. Ne renforce-t-on pas la place dominante des entreprises ? Les citoyens seront-ils ravalés encore un peu plus au rang de consommateurs ? Quel rôle subsistera pour les institutions républicaines sommées de ne pas « fausser » le fonctionnement du marché ? La croissance économique devient l’alpha et l’oméga de toute la société, alors qu’on sait que les ressources naturelles sont finies et les équilibres planétaires déjà compromis par la boulimie productiviste et consumériste.
Nous rappelons que l’histoire de la publicité et celle du libéralisme économique sont étroitement liées. En confortant une Europe par trop basée sur le libéralisme économique - « une économie sociale de marché hautement compétitive » - le TCE répond mal ou pas du tout aux aspirations de nombre d’Européen et de Français.
Nous voyons dans la main-mise actuelle des entreprises et de la publicité sur la politique et sur les médias la raison du « non-choix » qui est imposé aux Français : voter par « oui » ou « non » un tel texte dans son ensemble, là où nombre des sujets abordés pris séparément pourraient justifier aux yeux de chacun un choix différent. « Non-choix » aussi parce que le citoyen est sommé de voter « oui » sous peine d’être représenté comme un anti-européen, voire comme un xénophobe.
R.A.P. dénonce aussi l’obscurantisme des instituts de sondages, dopés eux aussi à la publicité : il est déplorable qu’on s’en tienne à la seule question du « oui » et du « non » et qu’on ne tente pas, par exemple, d’évaluer combien de français sont pour l’Europe et ont une lecture critique de ce traité - qu’ils aient pris in fine la décision de voter « non » ou celle de voter « oui » sous couvert de pragmatisme politique. Et l’on passe bien souvent sous silence le taux d’indécision, le vote blanc ou les intentions abstentionnistes.
Il serait temps de sortir du débat réducteur « pour ou contre l’Europe » auquel on voudrait ravaler le débat sur le TCE, pour aborder la seule question qui compte, à savoir : « de quelle Europe voulons-nous ? ». À ce titre, il faudrait dire enfin que quelle que soit l’issue du scrutin, c’est dans la capacité des citoyens européens à réinvestir le social, le médiatique et le politique que se fera la construction de l’Europe que nous voulons.
Nous revendiquons un « Non » civique : celui du refus de limiter la participation des citoyens par une procédure aussi restrictive dans ce cas qu’un référendum, celui du refus d’un débat manipulé par des médias sous influence, celui enfin de l’investissement dans le champ politique qui ne doit pas être la chasse gardée des entreprises et des appareils politiques.
R.A.P. demande enfin :
- que l’équilibre des débats et la pluralité dans les médias soient rétablis ;
- que les responsables politiques engagent une discussion sur l’après référendum qui ne se limite pas à un slogan de marketing politique tel que « il n’y a pas de plan B » ;
- qu’on avance des mesures concrètes de renforcement du rôle des citoyens et de l’indépendance des médias ;
- qu’on adopte enfin des mesures explicites et pragmatiques de réduction de la manipulation publicitaire qui tend à réduire la vie politique aux apparences de la démocratie.
« [...] par le moyen de méthodes toujours plus efficaces de manipulation mentale, les démocraties changeront de nature. Les vieilles formes pittoresques - élections, parlements, hautes cours de justice - demeureront mais la substance sous-jacente sera une nouvelle forme de totalitarisme non violent. Toutes les appellations traditionnelles, tous les slogans consacrés resteront exactement ce qu’ils étaient au bon vieux temps, la démocratie et la liberté seront les thèmes de toutes les émissions radiodiffusées et de tous les éditoriaux mais [...] l’oligarchie au pouvoir et son élite hautement qualifiée de soldats, de policiers, de fabricants de pensée, de manipulateurs mentaux mènera tout et tout le monde comme bon lui semblera »
Aldous Huxley - Retour au meilleur des mondes - 1959