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Les journalistes du quotidien québécois Le Soleil contre la concentration

Nous publions ici, présenté et transmis par un correspondant, un tract des journalistes du Soleil [1], en lutte au Québec contre les concentrations et leurs effets : en particulier la publication par tous les journaux du groupe des chroniques d’une même « auteur » (Acrimed)

Mercredi 16 juin 2004, les lecteurs assidus du journal québécois Le Soleil ont découvert que plusieurs articles de leur journal n’étaient signés par les journalistes-maison.

Dans son édition du jeudi 17 juin, le journal précise, à la page 2, dans une "note aux lecteurs" que :

« Vous avez peut-être noté que, dans notre livraison d’hier, plusieurs textes étaient signés "Le Soleil" plutôt que par le nom de leur auteur. Il s’agit d’un choix des journalistes du journal Le Soleil qui veulent par là protester contre la concentration de la presse et la publication des chroniques de M. Alain Dubuc dans l’ensemble des quotidiens du réseau Gesca. Cette situation pourrait se reproduire tous les jours où paraît la chronique de M. Dubuc, soit les mercredis, vendredis et samedis. À noter que les chroniqueurs, éditorialistes, collaborateurs, journalistes surnuméraires et stagiaires du Soleil continuent de signer leurs textes.  »


Vérification faite auprès d’un journaliste du Soleil, ce dernier nous a expliqué que : « ce midi [mercredi 16 juin 2004], les employés du Soleil ont pique-niqué sur le trottoir pour sensibiliser la population à la « montréalisation tranquille  » de l’information à Québec (et au Québec) en général et au Soleil en particulier. « Dans le but de susciter un début public sur la question, nous avons distribué [un tract] à tous ceux qui passaient à proximité. »

Voici donc le tract distribué hier par les journalistes du Soleil :



DIX QUESTIONS SUR UNE MANIF

- Est-ce que les employés du Soleil manifestent pour obtenir un meilleur salaire ou de meilleures conditions de travail ?
NON. La manifestation d’aujourd’hui n’a rien à voir avec l’argent ou avec la négociation d’une nouvelle convention collective. Nous voulons informer le public des effets néfastes de la concentration de la presse sur Le Soleil et sur la région de Québec. Nous ne pouvons plus rester silencieux devant la « montréalisation » grandissante de notre journal. À Québec, Le Soleil constitue la dernière grande salle de nouvelles capable de couvrir à la fois les sports et la politique internationale, à la fois la politique fédérale et les nouvelles régionales. Mais pour combien de temps encore ?

- La manifestation d’aujourd’hui aurait-elle pu se dérouler plus tôt ?
NON. Depuis l’achat du Soleil par le Groupe Gesca, en 2001, nous avions choisi de laisser le bénéfice du doute au nouveau propriétaire. La publication de la chronique d’Alain Dubuc, trois fois par semaine, dans tous les journaux du Groupe, constitue la goutte qui fait déborder le vase. Lentement mais sûrement, Le Soleil se fait dépouiller de sa personnalité. Pour chaque texte du Soleil publié dans La Presse, on retrouve désormais quatre textes de La Presse publiés dans Le Soleil. Un exemple
récent parmi tant d’autres ? En avril, La Presse a expédié trois journalistes à Boston pour couvrir la série entre le Canadien et les Bruins. Le Soleil n’en a dépêché aucun, se contentant de reprendre les textes du « grand frère » montréalais.


- Est-ce que vos moyens de pression vont se limiter à une manifestation ?
NON. À partir d’aujourd’hui, chaque fois que la chronique d’Alain Dubuc sera publiée dans Le Soleil, le mercredi, le jeudi et le samedi, les journalistes refuseront de signer leurs textes.


- Votre mouvement est-il dirigé contre Alain Dubuc ?
NON. Si les chroniques d’Alain Dubuc étaient publiées dans un seul journal, personne n’y trouverait à redire. C’est leur publication dans tous les quotidiens du groupe Gesca qui pose un problème. À quoi bon maintenir des journaux qui publient tous les mêmes textes, les mêmes points de vue ?


- Est-ce que la concentration de la presse touche la population de Québec en général ?
OUI. La concentration de la presse a tendance à rendre tous les médias semblables. Nous croyons que le public sort perdant d’un mouvement qui réduit le nombre de paires d’yeux scrutant l’actualité. Peu à peu, les médias de Québec et des régions sont confinés à un rôle purement local. Ils deviennent de simples satellites des médias montréalais. À plus ou moins long terme, la concentration de la presse entraîne aussi le transfert des postes de direction à Montréal.


- La concentration de la presse inquiète-t-elle seulement les journalistes du Soleil ?
NON. La Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) a désapprouvé la publication des chroniques d’Alain Dubuc dans tous les journaux Gesca. Il y a deux ans, l’Assemblée nationale a même consacré une commission parlementaire à l’étude des problèmes posés par la concentration de la propriété de la presse.


- Le public peut-il faire quelque chose par rapport à la concentration de la presse ?
OUI. Les groupes de presse sont extrêmement préoccupés par leur image de marque. Ils doivent tenir compte des sensibilités de leurs lecteurs. Ces derniers ne doivent pas hésiter à exprimer leurs inquiétudes pour faire comprendre qu’ils n’accepteront pas n’importe quoi.


- Les propriétaires du Soleil ont-ils déjà reconnu les dangers de la concentration de la presse ?
OUI. Peu après l’achat du Soleil, en 2001, les nouveaux propriétaires s’étaient engagés à maintenir le Soleil comme « journal national ». Ils avaient notamment promis de protéger la personnalité du journal, en lui permettant de conserver ses propres articles d’opinion. Les propriétaires du Soleil ont renié leurs promesses.

- Les employés du Soleil ne sont-ils pas un peu alarmistes ?
NON. Depuis 30 ans, l’évolution des médias de Québec est pour le moins inquiétante. Faut-il rappeler le transfert de la quasi-totalité de la production télé de Québec vers Montréal ? Faut-il rappeler que le Journal de Québec et l’hebdomadaire Voir-Québec publient un grand nombre de textes de leur « maison mère », de Montréal ?

- Est-ce que certains textes continueront à être signés ?
OUI. En vertu de la convention collective, les chroniqueurs et les éditorialistes doivent continuer à signer leurs textes. Les journalistes à statut précaire (stagiaires, pigistes, surnuméraires, etc.) continueront aussi à signer leurs textes, pour ne pas faire l’objet de représailles.



De notre correspondant :
Ahmed Fouednejm
fouednejm@hotmail.com et fouednejm@yahoo.com

 
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Notes

[1Le Soleil est un quotidien généraliste québécois, fondé en décembre 1896. Il diffuse à 115 000 exemplaires environs. Depuis 2000, il appartient au groupe Gesca qui possède plus de moitié des quotidiens francophones du Québec, dont La Presse (publié à Montréal). (note d’Acrimed)

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