Montréal, le 22 mai 2004
L’Agence France-Presse (AFP) traduit habituellement en français les désignations d’organisations émanant des pays anglophones (en particulier les États-Unis et l’Angleterre), en y accolant par contre très souvent les acronymes ou les sigles d’origine. Que voilà une douteuse pratique rédactionnelle !
Ainsi l’AFP accole-t-elle le Comité conjoint des services de renseignement britanniques au (à la ?) JIC [1], la Commission américaine des opérations de Bourse à la (au ?) SEC [2], l’Association américaine de l’industrie du disque à la RIAA [3], l’Union pour la défense des libertés civiles de Californie à l’ACLU [4], l’Association des industries informatiques des États-Unis à la CCIA [5], l’Administration pour la sécurité des transports du même pays à la TSA [6], la Commission fédérale du commerce du même pays à la FTC [7], le Service de renseignement militaire du ministère de la Défense de Grande-Bretagne, respectivement au DIS et au MoD [8]. (On nous laisse deviner les mots se cachant sous les abréviations, une façon comme une autre d’apprendre l’anglais.)
La pratique de l’AFP devient choquante quand on se rend compte qu’il en va autrement avec les autres langues. Ainsi les Forces armées révolutionnaires de Colombie est-elle accolée tout simplement et logiquement aux FARC [9], le parti Nouvelle force républicaine de Bolivie à la NFR [10], la Centrale ouvrière bolivienne à la COB [11], l’Impôt sur la circulation des marchandises et services du Brésil à l’ICMS [12], le Conseil législatif palestinien au CLP [13], l’Union patriotique du Kurdistan à l’UPK [14], le Parti démocratique du Kurdistan au PDK [15]. (Pourquoi diable se familiariser avec l’espagnol, le brésilien, l’arabe et le kurde !)
Pour l’AFP, on le voit bien, l’anglais se situe dans une classe à part (les autres langues étant secondaires). N’y a-t-il pas là encore la trace de cette malheureuse et incompréhensible fascination pour la langue de Bush et Blair, dont on nous intoxique, mais qu’on redemande ? Comprenne qui pourra !
Il en sera éventuellement de nous ce qu’il en est aujourd’hui des Néerlandais, qui disent dans leur langue NATO (OTAN), AIDS (SIDA), SARS (SRAS), et qui n’y voient aucun problème. Pendant ce temps, les États-Uniens font des remakes de films étrangers, considèrent Sydney, en Australie, comme la plus belle ville du monde et consentent à dire « bonjour » quand ils viennent chez vous.
Cette guerre à finir, nous la perdrons vraisemblablement, mais tâchons de reporter l’échéance le plus loin possible.
Pour finir, à quand Agence France-Presse (FPA) ? Puis France-Presse Agency (FPA) ? Puis...
Sylvio Le Blanc, Montréal (Québec)
Une réponse
Cette tribune d’un correspondant du Québec lui a valu cette réponse (Acrimed, le 24 mai 2004) :
"L’Agence France-Presse préfère l’anglais" : c’est ainsi que s’intitule l’un des derniers textes mis "en ligne" sur votre site. Malheureusement l’argumentaire de son auteur québécois repose sur des exemples non pertinents : FARC correspond tout aussi bien à Fuerzas Armadas Revolucionarias de Columbia (et les anglais qui traduisent par Revolutionary Armed Forces of Columbia utilisent aussi le sigle FARC), le parti NFR à Nueva Fuerza Republicana, la COB à Central Operária Boliviana, l’ICMS à Imposto sobre a Circulação de Mercadorias e Serviços. Les différences seront vraisemblablement minimes entre les sigles portugais, espagnols et français... Il faudrait au moins chercher des exemples qui font exception.
Pour l’arabe, il me semble que le sujet est plus délicat - passage d’un alphabet à un autre. On ne peut prétendre dans ce cas au sigle original. Alors utiliser CLP parce que le conseil utilise lui même PLC en anglais ne me semble pas très choquant.
N’ayant pas de compétences en kurde, j’ai quand même trouvé un site en kurde où l’on se réfère au PDK (Parti Demokratî Kurdistan) (lien périmé). Par contre, seul exemple qui montrerait une volonté de traduire tout en français (et non pas en anglais d’ailleurs), l’UPK (Patriotic Union of Kurdistan en anglais, PUK, est apparemment originalement en kurde Yekitî Nistimanî Kurdistan (YNK ?). Mais là encore, à partir du moment où un mouvement s’exprimant en anglais traduit son sigle en anglais, il ne me semble pas choquant qu’on retraduise le sigle anglais en français dans un texte français.
Pour résumer : l’exemple des FARC montre que les anglophones respectent le sigle lorsque celui n’est pas traduit en anglais. On trouverait de même qu’ils respectent les sigles français non traduits en anglais (INSEE, SMIC, RMI... et AFP). Il est donc logique que les auteurs français en fassent de même - en anglais comme dans toute autre langue. Dans les exemples cités par l’auteur, l’AFP a tout au plus traduit en français les sigles qui avaient été traduits préalablement en anglais par les mouvements eux-mêmes.On pourrait voir là au contraire une volonté de se libérer de "l’hégémonie" de l’anglais.
Il reste donc à démontrer que c’est l’AFP qui différencie les sigles anglais des autres dans un souci d’insidieusement privilégier l’anglais par rapport aux autres langues. Monter au front d’une "guerre" culturelle contre les EU (Etats-Unis d’Amérique, ou, en suivant l’exemple espagnol : EEUU) comme le suggère la fin de l’article semble dans ce cas non seulement disproportionné mais également injustifié.
Cordialement,
F.S et Y.P.