Première source (mineure) de déformation : le choix de la cible. Plutôt que de condamner les actes de guerre de l’armée israélienne et le refus officiel du gouvernement d’Ariel Sharon d’ouvrir une enquête ou de laisser l’ONU enquêter, Le Monde préfère renvoyer dos à dos le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne et prendre pour cible la pitoyable dérobade de l’ONU. Cette critique de biais permet de se " défausser ", mais avec la hauteur de vue qui sied à l’éditorialiste anonyme.
Deuxième source (majeure) de déformation : la présentation des faits. Pressé de se débarrasser de l’hypothèse de " massacres ", Le Monde s’en remet au rapport de Human Rights Watch (HRW), précis sur les faits constatés, mais prudent à l’extrême sur la qualification juridique des actes de guerre. Mais cette prudence devait être encore trop imprudente : Le Monde y ajoute ses propres précautions. Voici comment.
Dans un communiqué daté du 3 avril, HRW affirme : " Les faits suggèrent que les Forces de Défense Israéliennes (FDI) ont commis des crimes de guerre, lors de l’opération militaire conduite dans le camp de réfugiés de Jénine, a dénoncé Human Rights Watch dans un rappport publié aujourd’hui après une semaine d’enquête. Human Rights Watch n’a pas trouvé de preuves confirmant les allégations de massacres commis par les FDI, dans le camp, contre des centaines de Palestiniens. ".
Et le communiqué résume en ces termes les propos de l’un des membres de l’équipe d’enquête, Peter Bouckaert :
" Les abus que nous avons étudiés, à Jénine, sont extrêmement graves et dans certains cas, ils semblent constituer des crimes de guerre. Des enquêtes criminelles sont nécessaires pour déterminer les responsabilités individuelles concernant les plus graves de ces violations. De telles enquêtes relèvent d’abord et avant tout du devoir du gouvernement israélien mais la communauté internationale doit s’assurer qu’une réelle recherche des coupables aura réellement lieu. "
Notons que Peter Bouckaert (et plus généralement le HRW) se contente d’affirmer que des preuves de massacres n’ont pas été trouvées et que les abus " semblent constituer des crimes de guerre ". La lecture du rapport le confirme amplement : la restriction - " semblent " - se rapporte exclusivement à la qualification juridique des " abus ", car HWR s’en remet au gouvernement israélien pour conduire les " enquêtes criminelles " et confirmer juridiquement les " présomptions ".
Que reste-t-il de ces prudences - dont on peut craindre qu’elles soient politiquement orientées - dans l’éditorial du Monde ? Ceci :
" Rien ne permet de penser que l’armée israélienne a perpétré des massacres à Jénine. Des enquêtes internationales, comme celle de Human Rights Watch, font état de violences dont certaines pourraient être qualifiées de "crimes de guerre" commis à l’encontre de civils ou de combattants désarmés. "
Comparons :
– HWR : " Human Rights Watch n’a pas trouvé de preuves confirmant les allégations de massacres commis par les FDI, dans le camp, contre des centaines de Palestiniens. "
– Le Monde : " Rien ne permet de penser que l’armée israélienne a perpétré des massacres à Jénine "
– HWR : " Les abus que nous avons étudiés, à Jénine, sont extrêmement graves et dans certains cas, ils semblent constituer des crimes de guerre. "
Le Monde : " violences dont certaines pourraient être qualifiées de "crimes de guerre" commis à l’encontre de civils ou de combattants désarmés. "
De ce qui semble juridiquement constitutif de " crime de guerre ", on est passé à ce " qui pourrait être qualifié de "crime de guerre" ".
Petit glissements sémantiques pour un enterrement politique… " de référence ".
L’éditorialiste anonyme du Monde, amoureux des " petits faits vrais ", n’a pas lu le rapport qui en établit - provisoirement - une liste accablante.