Accueil > Critiques > (...) > Laurent Joffrin, modernisateur de la gauche

En direct sur France Culture : les aboiements de Laurent Joffrin contre Acrimed

par Julien Salingue,

Le jeudi 16 février, dans la matinale de France Culture, Henri Maler, pour Acrimed, était invité à débattre de cette question : « La défiance à l’égard des médias est-elle justifiée ? ». En deux temps : 20 minutes d’interview par le journaliste Guillaume Erner, suivies d’ un « débat » d’une vingtaine de minutes avec Laurent Joffrin, directeur de Libération.

Nous reviendrons dans un prochain article sur le déroulement de l’ensemble de l’émission et notamment sur ce qu’il nous enseigne quant à la possibilité de formuler une critique des médias comme la nôtre au sein même des grands médias. Mais il valait la peine de nous arrêter d’abord sur la prestation de Laurent Joffrin lors de son « débat » avec Acrimed, tant il a donné à voir ce que l’éditocratie peut produire de pire : arrogance, mépris, mensonges… le tout en déployant des efforts constants pour tenter d’empêcher son interlocuteur d’exprimer son point de vue.

Laurent Joffrin ne débat pas, il aboie

Quiconque a entendu jeudi 16 février la « discussion » entre Acrimed et Laurent Joffrin a constaté à quel point ce dernier a une conception singulière du débat. Ainsi, s’il s’est un peu moins exprimé, en temps cumulé, qu’Henri Maler, il a multiplié les interventions intempestives, destinées à empêcher son interlocuteur de développer ses arguments. Nous avons ainsi décompté 27 interruptions de Laurent Joffrin alors qu’Henri Maler s’exprimait, ce qui, rapporté au temps de parole total, représente, en moyenne, environ une interruption toutes les 20 secondes.

Le tout non pour exposer un argument ou dissiper un malentendu, mais pour entraver le raisonnement de son interlocuteur, tenter de lui faire perdre le fil de son propos et le déstabiliser.

Ainsi en va-t-il, dès le début de la séquence, alors qu’Henri Maler entend répondre à certaines accusations portées par Laurent Joffrin contre Acrimed – au cours d’une intervention où Laurent Joffrin n’a pas, lui, été interrompu.

On écoute :



Ce qui, donne, une fois retranscrit :

- Henri Maler : « […] Il y a des choses que je ne peux pas laisser passer, et en voici deux. La première c’est que monsieur Laurent Joffrin a des kilomètres de papiers d’expression dans les médias, des centaines, voire des milliers, d’heures d’expression dans les radios et les télévisions. C’est la première fois que… »
- Laurent Joffrin : « C’est mon métier, c’est normal. »
- Henri Maler : [Rires] « Oui. Défenseur du pluralisme… »
- Laurent Joffrin : « Vous savez, de faire "ahahaha oui", ce n’est pas un argument. C’est un argument un peu faible. »
- Henri Maler : « Écoutez je sais pour vous avoir… »
- Laurent Joffrin : « C’est un argument nul, même. »
- Henri Maler : « … Je sais pour vous avoir entendu que vous êtes un spécialiste de l’intervention arrogante et qui coupe systématiquement… »
- Laurent Joffrin : « Non je vous contredis… »
- Henri Maler : « … et qui coupe systématiquement… »
- Laurent Joffrin : « Permettez-moi de vous contredire, c’est dommage, c’est embêtant pour vous… »
- Henri Maler : « … et qui coupe systématiquement la parole à tous ses contradicteurs. »
- [Guillaume Erner : « Laurent Joffrin, s’il vous plait, laissez répondre Henri Maler. »]
- Laurent Joffrin : « Allez-y, parlez ». [Rires]
- Henri Maler : « C’est gentil… »
- Laurent Joffrin : « Je suis très gentil. »
- Henri Maler : « J’ai quelques minutes d’expression pour vingt ans, vous avez des heures d’antenne, il y a une inégalité structurelle qui est une inégalité fondamentale, il me faudrait des centaines… »
- Laurent Joffrin : « Mais vous avez qu’à vous porter candidat à l’élection pour être directeur. »
- Guillaume Erner : « Laurent Joffrin s’il vous plait, laissez parler Henri Maler ! »
- Henri Maler : « Il continue, hein… Et il s’étonne qu’on l’épingle. Arrêtez de jouer ce rôle de chien de garde qui passe son temps à mordre les mollets de tous ses interlocuteurs, comme vous l’avez fait… »
- Laurent Joffrin : « Effectivement vous n’aimez pas la contradiction. »
- Henri Maler : « C’est ce qu’il appelle la contradiction… »
- Laurent Joffrin : « Bah oui. » [Rires]
- Henri Maler : « C’est ce qu’il appelle la contradiction : interrompre, interrompre… »
- Laurent Joffrin : « Bah allez-y, exprimez-vous ! »
- Henri Maler : « … interrompre de façon systématique, alors qu’on a un droit de parole absolument illimité, un interlocuteur qui n’a que quelques minutes pour s’exprimer, c’est la conception que monsieur Joffrin se fait de la démocratie, première remarque. […] »


Où l’on constate :

 Que Laurent Joffrin considère que pérorer à longueur d’antenne est « son métier » et que, pour avoir le droit de s’exprimer équitablement face à lui, il convient de « se porter candidat à l’élection pour être directeur [d’un média] » (nous y reviendrons).
 Que lorsque l’on fait remarquer à Laurent Joffrin qu’il passe son temps à interrompre ses interlocuteurs, il se défend en… interrompant son interlocuteur.
 Que Laurent Joffrin, qui se croit sans doute dans une cour de récréation, pense que couper la parole à quelqu’un pour lui dire que son argument est « nul », c’est le « contredire ».
 Que Laurent Joffrin se comporte d’une manière tellement insupportable que même Guillaume Erner tente deux fois de le rappeler à l’ordre (ce qu’il fera de nouveau à plusieurs reprises au cours de l’émission).

Et encore ne s’agit-il ici que d’une première « vague » d’interruptions joffrinesques : nous vous épargnons les autres [1].


Laurent Joffrin est arrogant

Les interruptions ponctuées de ricanements de Sa Suffisance Laurent Joffrin, visiblement fier de son entreprise de destruction de la discussion, sont un sommet d’arrogance. Mais le directeur de Libération ne s’est pas contenté de tenter d’empêcher Henri Maler de s’exprimer. Cette arrogance a en effet été redoublée par une succession de propos méprisants à l’égard d’Acrimed, accusée, d’une part, de ne rien connaître à la vie des rédactions et aux conditions de travail des journalistes et, d’autre part, de répéter toujours la même chose ou, dans les termes de Laurent Joffrin, d’ « écrire toujours le même article ».

Ainsi :

- « Vous écrivez le même article depuis vingt ans sur les journaux que j’ai eu l’honneur de diriger ou d’animer pour nous expliquer qu’on n’est pas indépendants. »

- « La critique ça ne consiste pas toujours à miner les choses à la base, en disant "voilà, ils sont sous influence, sous la coupe de…". C’est toujours le même article qui revient quoi, c’est toujours la même chose… »

- « J’en ai lu beaucoup, mais j’ai arrêté, c’est toujours la même chose, donc évidemment au bout d’un moment je m’arrête. »

Toujours la même chose ? C’est manifestement faux, comme n’importe quel lecteur moins occasionnel que Laurent Joffrin peut s’en convaincre. Et comme il serait excessif d’affirmer que Laurent Joffrin, cet éternel modernisateur de la gauche, écrit le même éditorial depuis 35 ans. Notons au passage que la richesse de la pseudo-argumentation de notre éditocrate est telle qu’il a répété trois fois le même propos en quelques minutes – ce qui ne manque de piquant lorsque l’on sait que « l’argument » consistait à accuser Acrimed d’écrire toujours la même chose.

« Argument » ressassé une quatrième fois, avec une dose d’arrogance supplémentaire :

- « Ce qui me frappe, bon je ne les lis pas beaucoup hein, mais j’ai regardé, puisque j’étais invité, c’est… il n’y a jamais rien de bien. Quand vous lisez ce truc-là, il n’y a jamais rien de bien. Tout est euh… critiquable. Enfin, tout est critiquable, par définition, mais la conclusion c’est toujours : c’est pas bien. »

Acrimed est donc en réalité, selon l’immense Laurent Joffrin, un « truc ». Les adhérents et les contributeurs de notre association apprécieront, de même que les dizaines de milliers de personnes qui fréquentent régulièrement notre site. On en vient même à se demander pourquoi Laurent Machin a accepté de descendre de son piédestal pour s’asseoir dans le même studio de radio que l’un d’entre nous.…

Autre ressassement accusateur, asséné avec tout autant d’arrogance : Acrimed ne connait rien à la vie des rédactions et des journalistes :

- « Je voulais vous faire une invitation, puisque si vous considérez que notre journal est mal géré, vous devriez y venir, vous voyez. Vous devriez venir, moi je vous invite. vous venez, ce matin par exemple, ou demain, quand vous voulez, au comité de rédaction, et puis vous verrez comment on travaille, ce serait intéressant pour vous de faire une enquête de terrain, pour une fois, hein ? »

- « Vous savez il y a un proverbe en journalisme, qui est un peu sarcastique, qui dit "l’enquête est l’ennemi de l’angle". Ça veut dire que si vous avez un préjugé sur quelque chose, si vous faites une enquête, c’est embêtant parce que vous êtes obligés de changer d’idée. C’est juste un conseil que je leur donne : vous devriez faire ça, dans les journaux, aller voir, vraiment, comment ça se passe ».

- Henri Maler : « […] Dialoguer avec une rédaction cela ne pose absolument aucune question… »
- Laurent Joffrin : « C’est une idée qui ne vous était pas venue à l’esprit jusqu’à présent, manifestement. »

Simples d’esprit que nous sommes ! Voilà vingt ans qu’Acrimed observe les médias, informe sur l’information, et formule des propositions de transformations des médias. Mais nous n’avions jamais pensé, avant que son altesse Laurent Joffrin ne nous éclaire gracieusement de ses lumières, à nous intéresser aux conditions concrètes d’exercice de la profession, et à « enquêter » à ce propos… De toute évidence, le directeur de Libération, qui expliquait quelques minutes plus tôt que son « métier » consistait à pérorer à longueur de temps dans les studios de radio et sur les plateaux de télévision, ferait bien, plutôt que de nous donner des leçons, d’ « enquêter » un peu plus. Cela lui éviterait de se ridiculiser en racontant n’importe quoi.


Laurent Joffrin raconte n’importe quoi

Car Laurent Joffrin a en réalité démontré qu’il possédait, entre autres qualités, une capacité à aligner les contre-vérités sur un ton empreint de l’assurance de celui qui croit – ou veut faire croire ? – qu’il sait absolument tout. Menteur ou bonimenteur ? Les deux sans doute.

Ainsi, lorsque Laurent Joffrin recommande à Acrimed de s’intéresser à la vie des rédactions et aux conditions de travail des journalistes, on se demande s’il se rend compte de l’énormité de son propos. « J’ai regardé [le site d’Acrimed] puisque j’étais invité », prétend-il. Mais si Laurent Joffrin avait effectivement regardé le site d’Acrimed, il n’aurait pas dû manquer de remarquer, par exemple, que le jeudi 16 février au soir, c’est-à-dire le même jour que l’émission de France Culture, Acrimed organisait un débat, en présence de trois journalistes (dont Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, anciens de… Libération), consacré aux conséquences de la prise de contrôle par des oligarques d’un nombre toujours plus important de médias. Une soirée au cours de laquelle a notamment été évoquée la longue grève d’i-Télé contre l’actionnaire Bolloré.

Une initiative qui est loin d’être isolée : depuis plus de quinze ans, Acrimed organise régulièrement des réunions publiques de ce genre [2], au cours desquelles nous convions régulièrement des journalistes de tout type de médias qui viennent échanger avec nous (et le public) à propos de leur travail, qu’il s’agisse de leurs enquêtes, de leurs publications ou des conditions d’exercice de la profession. Ces derniers mois, nous avons même organisé un cycle de projections-débats intitulé « À l’intérieur des rédactions », avec quatre documentaires consacrés précisément au thème que Laurent Joffrin nous accuse de ne pas traiter : le travail quotidien des rédactions. Des journalistes sont membres d’Acrimed, et notre association est en lien avec bien d’autres professionnels des médias, y compris des journalistes de « grandes » rédactions, ainsi qu’avec les principaux syndicats de journalistes. Bref : nous n’avons pas attendu monsieur Laurent Joffrin pour nous intéresser de près à la vie des rédactions et aux transformations de la profession.

Le directeur de Libération ferait d’ailleurs bien, plutôt que de nous administrer ses conseils, de s’intéresser à sa propre rédaction. Il apprendrait peut-être, par exemple, que pas plus tard qu’il y a un an, Acrimed a invité Johanna Luyssen, cheffe de service web à… Libération, pour discuter des transformations du métier de journaliste à l’heure d’internet [3]. Selon nos dernières informations, Libération ferait même partie de ces « grands médias » qui comptent au sein de leur rédaction des membres d’Acrimed. En d’autres termes : nul besoin de nous inviter dans ces rédactions, puisque nous y sommes déjà quotidiennement !

Les « enquêtes » de l’inspecteur Joffrin laissent visiblement à désirer. On comprend mieux, s’il a été aussi persévérant dans la lecture de nos articles que dans ses investigations concernant notre intérêt pour les conditions d’exercice de la profession de journaliste, pourquoi il prétend que nous écrivons « toujours le même article ». Il n’a probablement, du haut de sa superbe, pris le temps d’en lire qu’un seul, ayant mieux à faire que de se documenter davantage sur notre « truc », ce qui expliquerait pourquoi il a été incapable de citer un seul exemple à l’appui de ses élucubrations.


***


Fermement décidé, comme cela fut rappelé à l’antenne, à « prendre ses interlocuteurs pour des imbéciles » et à confirmer le rôle de « psychiatre » qu’il s’est attribué en rédigeant, sans le moindre fait à l’appui, Média-paranoïa, un impérissable ouvrage de vanité appliquée [4], Laurent Joffrin était venu sur le plateau de la « matinale » de France Culture, non pour débattre de la question posée – « La défiance à l’égard des médias est-elle justifiée ? » – mais pour régler ses comptes avec Acrimed [5]. Plus exactement : fâché parce que nous ne l’avons jamais appelé au téléphone (comme il l’a répété à plusieurs reprises), ses propres comptes personnels. Mal lui en a pris : en offrant aux auditeurs, comme nous l’avons souligné lors de l’émission, un « concentré du pire de l’éditocratie », il a involontairement justifié, et probablement renforcé, la défiance à l’égard des médias, du moins la critique de certaines de leurs sommités.


Julien Salingue




Annexe : transcription intégrale de la séquence



Guillaume Erner : Nous retrouvons Henri Maler, le fondateur de l’observatoire des médias Acrimed, qui est également maître de conférences en Science politique. À côté nous accueillons Laurent Joffrin, bonjour.

Laurent Joffrin : Bonjour.

Guillaume Erner : Vous êtes directeur de Libération. Suite à ce que vient de dire Frédéric Says, Frédéric évoque ce qui est au cœur de l’actualité depuis l’arrestation brutale du jeune Théo à Aulnay-sous-Bois, il y a eu un intérêt des médias pour la banlieue avec une couverture de ce thème. Votre avis sur cette couverture Henri Maler ?

Henri Maler : Sur la couverture récente je n’ai pas grand chose à dire, on n’a pas fait les observations détaillées, qui sont en cours, sur la façon dont c’est traité. Mais il y a un problème général du rapport des médias et des banlieues. Je vais l’énoncer très rapidement. D’abord on dit « les banlieues », mais Levallois-Perret et Neuilly c’est en banlieue. Ensuite on dit « les quartiers sensibles ». Sensibles à quoi ? On pourrait dire les quartiers populaires, ce qui est plus exact, qu’on distinguerait des quartiers bourgeois. Et si on parle des quartiers populaires il faudrait espérer que les journalistes aient les moyens, la possibilité de se livrer à de véritables enquêtes. On évoquait tout à l’heure le risque d’une homogénéité croissante dans la façon de percevoir le monde. Bah oui. Nous en avons un autre exemple, j’évoquais le journalisme économique. Je prends les choses par le bout le plus extrême. Quand un Premier ministre dit que « expliquer c’est justifier », c’est inquiétant. Quand des journalistes, ou plus exactement des commentateurs, laissent entendre que tenter d’expliquer quelles sont les motivations des jeunes qui se mobilisent dans les banlieues, la nature des problèmes qui s’y posent, et laissent entendre que là encore expliquer ce serait justifier, c’est passablement angoissant. Il y a un excellent livre, qui est paru il y a quelques années maintenant, de Julie Sedel, sur les médias et les quartiers populaires, où elle met en évidence l’ensemble des biais, une façon homogène de poser les problèmes, on va dire comme cela. Ce qui homogénéise les sommets du journalisme, c’est une façon homogène de poser les problèmes. Alors ensuite, sur la façon d’y répondre il peut y avoir des petites différences : c’est ce qu’on appelle le pluralisme. Mais si on pose les problèmes toujours de la même façon, il y a fort peu de chances qu’on ait affaire, d’abord, à un journalisme d’enquête sociale, et ensuite à un journalisme effectivement diversifié.

Guillaume Erner : Laurent Joffrin, votre opinion à ce sujet, avez-vous l’impression qu’un certain nombre de thèmes sont traités de manière homogène dans les médias, qu’il s’agisse donc la question des banlieues, ou si vous souhaitez reformuler ce terme, ou sur la question économique par exemple ?

Laurent Joffrin : J’ai du mal à répondre pour « les médias » puisque je suis d’un média, mais je peux répondre pour Libération, si vous voulez, mais les autres, chacun a son prisme, ils sont différents, et on peut en faire la critique d’ailleurs. Mais nous on essaie d’aller sur place, de faire parler les gens, de donner les motivations des uns et des autres, et de comprendre comment fonctionne la police en tout cas à Aulnay-sous-Bois, il y a une question importante qui se pose puisque ça a été d’une violence extrême cette affaire. Donc je ne crois pas qu’on tombe sous la généralisation que monsieur Maler vient de faire, je suis content de le voir d’ailleurs puisque ça fait à peu près 20 ans qu’ils publient des articles contre moi, et contre Libération, et contre d’autres euh, je ne le connaissais pas bien, on ne s’est jamais vus [Je suis beau hein] beau je ne sais pas, mais enfin je suis content de voir votre tête en tout cas. Et je voulais vous faire une invitation, puisque si vous considérez que notre journal est mal géré, vous devriez y venir, vous voyez. Vous devriez venir, moi je vous invite. vous venez, ce matin par exemple, ou demain, quand vous voulez, au comité de rédaction, et puis vous verrez comment on travaille, ce serait intéressant pour vous de faire une enquête de terrain, pour une fois, hein ?

Henri Maler : Pour une fois ? Non mais attendez… Il y a des choses que je ne peux pas laisser passer, et en voici deux. La première c’est que monsieur Laurent Joffrin a des kilomètres de papiers d’expression dans les médias, des centaines, voire des milliers d’heures, d’expression dans les radios et les télévisions. C’est le première fois que…

Laurent Joffrin : C’est mon métier, c’est normal.

Henri Maler : [Rires] Oui. Défenseur du pluralisme…

Laurent Joffrin : Vous savez, de faire « ahahaha oui », ce n’est pas un argument. C’est un argument un peu faible.

Henri Maler : Écoutez je sais pour vous avoir…

Laurent Joffrin : C’est un argument nul, même.

Henri Maler : … Je sais pour vous avoir entendu que vous êtes un spécialiste de l’intervention arrogante et qui coupe systématiquement…

Laurent Joffrin : Non je vous contredis…

Henri Maler : … et qui coupe systématiquement…

Laurent Joffrin : Permettez-moi de vous contredire, c’est dommage, c’est embêtant pour vous…

Henri Maler : … et qui coupe systématiquement la parole à tous ses contradicteurs.

[Guillaume Erner : Laurent Joffrin, s’il vous plait, laissez répondre Henri Maler]

Laurent Joffrin : Allez-y, parlez.

Henri Maler : C’est gentil…

Laurent Joffrin : Je suis très gentil.

Henri Maler : J’ai quelques minutes d’expression pour vingt ans, vous avez des heures d’antenne, il y a une inégalité structurelle qui est une inégalité fondamentale, il me faudrait des centaines…

Laurent Joffrin : Mais vous avez qu’à vous porter candidat à l’élection pour être directeur.

Guillaume Erner : Laurent Joffrin s’il vous plait, laissez parler Henri Maler !

Henri Maler : Il continue, hein… Et il s’étonne qu’on l’épingle. Arrêtez de jouer ce rôle de chien de garde qui passe son temps à mordre les mollets de tous ses interlocuteurs, comme vous l’avez fait…

Laurent Joffrin : Effectivement vous n’aimez pas la contradiction.

Henri Maler : C’est ce qu’il appelle la contradiction…

Laurent Joffrin : Bah oui. [Rires]

Henri Maler : C’est ce qu’il appelle la contradiction : interrompre, interrompre…

Laurent Joffrin : Bah allez-y, exprimez-vous !

Henri Maler : … interrompre de façon systématique, alors qu’on a un droit de parole absolument illimité, un interlocuteur qui n’a que quelques minutes pour s’exprimer, c’est la conception que monsieur Joffrin se fait de la démocratie, première remarque. Deuxième remarque : monsieur Joffrin est l’auteur d’un ouvrage qui s’appelle Média-Paranoïa, il a affaire ce matin, tant mieux pour lui, à l’un de ces paranoïaques, bien, qu’il a épinglés, dans lequel il n’y a, dans cet ouvrage, pas un exemple, pas un fait, pas une information exacte sur la nature des critiques qui sont faites, d’ailleurs qui sont très diverses, parce que des critiques des médias il y en a autant de variétés qu’il y a de champignons : il y a des champignons [vénéneux], il y a des champignons hallucinogènes, il y a des critiques des médias extrêmement diversifiées… Pour monsieur Joffrin, c’est un monde homogène. Je vous remercie de m’avoir permis de terminer les quelques phrases que je pouvais prononcer en votre présence…

Laurent Joffrin : Bah il ne fallait pas m’inviter si vous ne vouliez pas que je vous contredise [rires].

Henri Maler : Mais ce n’est pas des contradictions, c’est des aboiements !

Laurent Joffrin : C’est nul, ce que je dis est évidemment nul, et ce que vous dites est intelligent, c’est normal.

Guillaume Erner : Non mais plus généralement, puisque vous souhaitez inviter Henri Maler à Libération…

Laurent Joffrin : Mais oui, il est invité quand il veut !

Guillaume Erner : … qu’est-ce que vous aimeriez lui montrer… qu’est ce que vous aimeriez lui montrer ?

Laurent Joffrin : Mais ce qu’il veut ! Il peut se mettre dans mon bureau, puisque je lis sur son site que… enfin il sous-entend, je n’ai pas la citation exacte, que comme Libération est la propriété de Patrick Drahi, qui est un grand capitaliste des médias, etc., que on est sous influence et qu’il y a une censure, ou une autocensure, j’imagine que ce n’est pas direct, que c’est subreptice, donc je l’invite à venir voir comment…

Guillaume Erner : Est-ce que vous dans votre quotidien, Laurent Joffrin, vous avez l’impression d’être, effectivement, sous la coupe de votre actionnaire, en l’occurrence de Patrick Drahi.

Laurent Joffrin : Je vais vous expliquer, excusez-moi de parler encore hein, je suis désolé, on m’invite, donc je parle…

Henri Maler : Mais moi je ne vous interromps pas, hein.

Laurent Joffrin : Je parle parce qu’on m’invite, je n’ai pas du tout un temps de parole illimité, on me fait venir, je réponds. J’expose. Alors le journal fonctionne de la manière suivante, pour faire bref : moi je suis désigné par les actionnaires, mais je suis ensuite élu par l’équipe, à bulletin secret. Comme j’ai changé plusieurs fois de journal j’ai été élu six fois. Donc j’en déduis, si vous voulez, que si j’étais vraiment le valet de l’actionnaire, je pense qu’ils ne m’auraient pas réélu. Je pense qu’ils me font confiance. Premier point. Deuxième point, il y a une charte dans le journal, une société des rédacteurs. C’est pour ça que je vous invite : parlez à la société des rédacteurs de Libération, moi vous ne me faites pas confiance, c’est normal, mais parlez à la société des rédacteurs, elle vous dira si Drahi intervient ou si son influence se fait sentir dans les choix rédactionnels, de manière même inconsciente hein, de manière, comment dire, comme une sorte d’autocensure, qu’on se pratiquerait parce qu’on a au-dessus de nous un capitaliste puissant… Et vous verrez comment on choisit les reportages, comment on définit les angles des articles, et vous verrez comment moi je co-dirige la rédaction avec les autres rédacteurs en chef, si j’exerce une espèce de, de je-ne-sais-pas-quoi, d’orientation générale. Ce qui vous dérange au fond, c’est parce qu’on n’a pas les mêmes idées politiques. Vous vous êtes de la, de l’ex… de la gauche, de la gauche de la gauche, c’est marqué sur votre site donc je ne dévoile pas un secret, et donc vous considérez que ceux qui sont moins à gauche ne sont pas bien… Et je comprends ça, c’est ça votre motivation. Et vous écrivez le même article depuis 20 ans sur les journaux que j’ai eu l’honneur de diriger ou d’animer pour nous expliquer qu’on n’est pas indépendants… Mais venez voir !

Guillaume Erner : Henri Maler, pour reformuler ce que Laurent Joffrin vient de dire, est-ce que l’on pourrait par exemple vous demander si la critique n’est pas plus aisée que le fait d’informer, autrement dit lorsque vous rédigez les différentes notices sur le site d’Acrimed, qu’est-ce que vous auriez à dire, à ceux qui vous disent, voilà, aujourd’hui il faut produire de l’information quotidiennement lorsqu’on est dans un journal et il est plus facile de critiquer les différents défauts de ces journaux que de produire de l’information quotidiennement.

Henri Maler : Alors je réponds directement à votre question mais je voudrais revenir sur un certain nombre de propos tenus par Laurent Joffrin. Ce que nous faisons, une association composée essentiellement de bénévoles, nous avons un salarié dans toute la rédaction, ce que nous faisons c’est que nous informons sur l’information. Nous essayons d’informer à la fois sur son contenu, les conditions de sa fabrication, et les différents biais. Première remarque. Deuxième remarque : quand j’écoute Laurent Joffrin, il parle comme parlait son ouvrage Média-Paranoïa, c’est-à-dire qu’il fait en même temps les questions, les réponses, il présente de façon schématique. J’ai dit tout à l’heure, je le dis simplement, que l’indépendance d’une rédaction ça n’est pas forcément l’indépendance de chaque journaliste pris individuellement. J’ai dit tout à l’heure, et je le redis, que l’on voit apparaître maintenant dans les différents médias des techniques de management qui sont empruntées aux techniques capitalistes. Je ne me suis pas prononcé sur la façon dont fonctionne Libération, qui est un média parmi d’autres. J’ai dit tout à l’heure, tout ça monsieur Joffrin qui peut-être l’entendait dans son taxi n’en a tenu absolument aucun compte. Il a dans la tête un petit film qu’il déroule consciencieusement, selon lequel toute critique des médias qui n’a pas reçu l’aval de la profession ou plus exactement de la façon dont monsieur Joffrin prétend représenter la profession, est nulle. Il ne faut pas, monsieur Joffrin, prendre vos interlocuteurs pour des imbéciles.

Guillaume Erner : Mais, au-delà de ça, et je vais laisser répondre Laurent Joffrin, l’invitation n’est pas malhonnête, le fait de venir dialoguer avec la rédaction.

Henri Maler : Ah mais j’en parlerai à mes camarades mais dialoguer avec une rédaction cela ne pose absolument aucune question…

Laurent Joffrin : C’est une idée qui ne vous était pas venue à l’esprit jusqu’à présent, manifestement.

Henri Maler : Mais enfin…

Laurent Joffrin : Vous ne m’avez jamais posé une question !

Guillaume Erner : Laurent Joffrin.

Laurent Joffrin : Vous êtes un procureur…

Henri Maler : [Rires] Extraordinaire !

Laurent Joffrin : Je lis ce que vous écrivez, excusez-moi !

Henri Maler : Vous êtes un psychiatre.

Laurent Joffrin : Non mais, vous êtes un accusateur, un procureur, un critique, comme vous voulez, peu importe…

Henri Maler : Ce n’est pas pareil.

Laurent Joffrin : Donc vous êtes un critique qui ne pose jamais de questions aux gens dont vous parlez, c’est quand même bizarre.

Henri Maler : C’est absolument inexact.

Laurent Joffrin : Mais vous ne m’avez jamais posé de question ! Vous m’avez posé une question déjà, dans votre vie, à moi, pour m’écouter, ce que je pouvais dire ?

Henri Maler : Vous avez dit quelque chose à notre propos qui ne soit pas faux, falsifié, malhonnête, globalisant ?

Laurent Joffrin : Mais vous n’aviez qu’à me poser la question, puisque vous le faites maintenant, 20 ans après, c’est quand même bizarre ?

Guillaume Erner : Il ne s’agit pas d’un débat sur Acrimed ou sur Libération

Laurent Joffrin : Mais si c’est un débat sur Acrimed ! Pourquoi pas ?

Guillaume Erner : Laurent Joffrin, vous qui êtes aujourd’hui à la tête d’un journal, ça n’est pas ce journal en particulier qui est incriminé, mais les médias en général car ceux-ci sont aujourd’hui accusés d’avoir fait le lit du populisme…

Laurent Joffrin : Oui, enfin oui, oui et non, oui.

Guillaume Erner : … est-ce que vous avez aujourd’hui le sentiment d’être, en quelque sorte, responsable d’une montée des populismes, est-ce que vous avez au contraire l’impression, au travers de votre exercice journalistique, de maintenir un certain nombre de digues démocratiques ?

Henri Maler : Excusez-moi…

Guillaume Erner : Laurent Joffrin d’abord, et ensuite vous aurez la réponse.

Henri Maler : Oui mais je voudrais lui répondre quand même.

Guillaume Erner : [Rires] Si on répond à la réponse… Allez-y Laurent Joffrin, et Henri Maler ensuite.

Laurent Joffrin : Est-ce qu’on est responsable du populisme ? En partie oui, parce qu’on fait des erreurs, les médias se trompent, prennent des mauvaises voies, des mauvais angles… oui on a une part de responsabilité je pense. Alors, comment l’analyser, c’est autre chose. D’abord notre pouvoir n’est pas celui qu’on dit. SI on avait autant de pouvoir que ça, l’opinion évoluerait dans le sens qu’on souhaite. Ce n’est pas du tout le cas, manifestement. Par exemple au moment du Traité constitutionnel européen, la plupart des médias, ou des éditorialistes en tout cas, se sont prononcés pour le Traité, et les gens ont voté contre. Comme quoi notre pouvoir n’est quand même pas formidable. Et par ailleurs les gens se méfient des médias, comme vous le savez. Donc c’est difficile de prêter aux médias beaucoup de pouvoir, dès lors que les gens s’en méfient. Si vous vous méfiez de quelque chose, vous ne faites pas ce que vous dit celui dont vous vous méfiez. Autrement, sur la réalité des banlieues populaires, on a peut-être commis des erreurs, mais dans tous les sens. Peut-être qu’on n’a pas très bien entendu, compris, les réactions des populations qui étaient là avant, qu’elles soient d’origine française ou étrangère d’ailleurs, peu importe mais, et qui se sont retrouvées dans des situations très difficiles, et on n’a pas très bien compris cette protestation-là, ou les… ce que les gens appellent maintenant la France périphérique, peut-être qu’on n’a pas vraiment donné la parole à ces gens-là et qu’ils se sentent abandonnés ou, comment dire, méprisés même, à certains égards, par la presse parisienne, pas par la presse régionale mais par la presse parisienne.

Guillaume Erner : Henri Maler, une réaction par rapport à ce que vient de dire Laurent Joffrin.

Henri Maler : Non, je voudrais terminer d’argumenter sur ce qu’il a dit précédemment. Le problème de l’indépendance des rédactions, ce n’est pas quelque chose que l’on juge journaliste par journaliste ou en rendant visite aux responsables de Libération. La question de…

Laurent Joffrin : Pas aux responsables, aux journalistes.

Henri Maler : Et il continue à m’interrompre.

[Rires de Guillaume Erner]

Laurent Joffrin : Mais non mais vous dites…

Guillaume Erner : Laissez parler Henri Maler.

Henri Maler : Le grand démocrate Laurent Joffrin…

Laurent Joffrin : Mais c’est un débat, mais calmez-vous.

Henri Maler : … quel que soit…

Laurent Joffrin  : Mais c’est un débat contradictoire, voilà, c’est un direct, on s’interrompt, il faut s’habituer, ce n’est pas grave !

Henri Maler : Mais vous ne faites que cela…

Laurent Joffrin : Mais non, vous aussi !

Henri Maler : Mais vous ne faites que cela…

Laurent Joffrin : Allez-y, parlez, parlez, parlez, parlez, parlez.

Henri Maler : Arrêtez de jouer au roquet, c’est un rôle qui vous va très mal.

Laurent Joffrin : Mais non, mais non. Ne vous inquiétez pas…

Henri Maler : Laissez-moi simplement…

Laurent Joffrin : Allez-y !

Henri Maler : … calmement, sereinement, développer un argument jusqu’au bout, peut-être même une phrase avec une subordonnée, vous vous rendez compte ?

Laurent Joffrin : Ah oui, j’aurais du mal à la comprendre. [Rires]

Henri Maler : [Soupir]

Guillaume Erner : Henri Maler, Henri Maler, regardez-moi et continuez.

Laurent Joffrin : Non mais allez-y, non mais allez-y !

Henri Maler : Si vous voulez savoir ce qu’est l’éditocratie, quelle est l’arrogance absolument insupportable de ses représentants, vous écoutez Laurent Joffrin ce matin. C’est tout ce que j’ai à dire. Maintenant je veux bien parler des sujets que vous abordez, mais je trouve inutile de dialoguer avec quelqu’un qui ne dialogue pas, qui ne discute pas, qui aboie…

Guillaume Erner : S’il vous plait, si vous pouvez par exemple réagir à ce que Laurent Joffrin vient de dire, non pas en vous interrompant mais précédemment, sur la responsabilité des médias dans la montée du populisme.

Henri Maler : Alors c’est un point avec lequel je suis d’accord avec Laurent Joffrin. Les médias ne sont pas tout-puissants. Ils sont beaucoup moins puissants qu’ils ne le disent, que parfois ils le croient, ou qu’ils le laissent entendre. Ils ne sont pas tout-puissants, ça ne veut pas dire qu’ils sont impuissants. Bien sûr, si les médias faisaient l’opinion ou si l’opinion était placée sous le contrôle permanent des médias, et de médias de la Corée du Nord, ça risquerait de provoquer un certain nombre de dégâts. Simplement ils ont des pouvoirs. Des pouvoirs qu’il faudrait distinguer, ce qui prendrait plusieurs heures d’argumentation, et notamment ils ont un pouvoir de problématisation. C’est-à-dire une capacité de dire comment les problèmes doivent être posés, et à partir du moment où de façon convergente, non concertée, mais de façon convergente, la façon dont les problèmes sont posés est relativement homogène, ils ont un effet de légitimation. Et nombre de critiques, de méfiance à l’égard des médias, vient de la façon, est contestée la façon de poser les problèmes. Je termine d’une phrase sur les quartiers populaires. Si on pose les problèmes des quartiers populaires essentiellement, je ne dis pas uniquement, ce serait faux, sous un angle sécuritaire, sous l’angle de comment assurer le maintien de l’ordre, chasser les délinquants, éviter que les voitures s’enflamment, etc., etc., vous êtes sûrs que vous passez complètement à côté de la façon dont vivent les gens dans les quartiers populaires. Dans la presse écrite cela n’est pas homogène, bien évidemment, bien évidemment, mais il y a une façon de poser les problèmes qui est convergente. Je vais citer un exemple : quand monsieur Philippe Val, j’ai cité peu de noms vous voyez, explique que le plus grand danger pour le journalisme c’est le « sociologisme », je suis halluciné. Et quand il explique, je suppose que je vais faire sourire Laurent Joffrin là, qu’il explique que ce qui ne va pas dans la journalisme c’est l’influence d’Acrimed dans les écoles de journalisme, on se demande comment l’ancien directeur de France Inter a pu le rester, avec de telles idées, d’une stupidité sans limite.

Guillaume Erner : Laurent Joffrin, une réponse à ce sujet. Est-ce que vous considérez là aussi qu’il y a en quelque sorte un ferment dissolvant dans cette critique des médias qui est faite par Acrimed, ou au contraire un aiguillon utile à la profession.

Laurent Joffrin : Dissolvant non. Qu’ils donnent leurs opinions, c’est normal. Mais ce qui me frappe, bon je ne les lis pas beaucoup hein, mais j’ai regardé, puisque j’étais invité, c’est… il n’y a jamais rien de bien. Quand vous lisez ce truc-là, il n’y a jamais rien de bien. Tout est euh… critiquable. Enfin, tout est critiquable, par définition, mais la conclusion c’est toujours : c’est pas bien. C’est pas indépendant c’est néolibéral, c’est je-sais-pas-quoi, etc. Il y a… par exemple, depuis un certain temps, la presse a sorti un certain nombre de choses, par exemple sur Fillon, ou sur la Syrie, moi je trouve que c’est plutôt du bon travail, qu’ils ont bien travaillé les gens du Canard enchaîné par exemple, ou les gens de France 2. Ils ont bien fait de faire ça. Bah il faut le dire ! La critique ça ne consiste pas toujours à miner les choses à la base, en disant « voilà, ils sont sous influence, sous la coupe de… ». C’est toujours le même article qui revient quoi, c’est toujours la même chose…

Henri Maler : Que vous n’avez pas lu.

Laurent Joffrin : Si si, j’en ai lu beaucoup, mais j’ai arrêté, c’est toujours la même chose, donc évidemment au bout d’un moment je m’arrête.

Henri Maler : C’est faux.

Laurent Joffrin : Et donc euh, voilà. Il faut faire la… Et il faut quand même aller sur place ! Vous dites non je n’ai pas besoin d’aller sur place. Mais si, il faut aller sur place ! Vous savez il y a un proverbe en journalisme, qui est un peu sarcastique, qui dit « l’enquête est l’ennemi de l’angle ». Ça veut dire que si vous avez un préjugé sur quelque chose, si vous faites une enquête, c’est embêtant parce que vous êtes obligés de changer d’idée. C’est juste un conseil que je leur donne : vous devriez faire ça, dans les journaux, aller voir, vraiment, comment ça se passe. Venez ! Encore une fois, venez voir ! Si on est si évidemment sous la dépendance de quelqu’un, ça doit se voir quand même !

Guillaume Erner : Henri Maler, là aussi pour reformuler ce que vient de dire Laurent Joffrin, est-ce que vous avez la sensation de trouver dans certains organes médiatiques plus d’articles, ou de couvertures qui vous paraissent satisfaisantes ?

Henri Maler : Évidemment oui.

Guillaume Erner : Est-ce que vous pouvez, dans ce cas-là, nous donner des exemples, ou des noms ?

Henri Maler : Nous rêvons depuis plusieurs mois et même plusieurs années d’avoir une rubrique qui s’intitulerait, le titre est une peu long, « un autre journalisme est possible, la preuve c’est qu’il existe déjà ». Le problème, qui échappe totalement à Laurent Joffrin et à un certain nombre de ses confrères…

Laurent Joffrin : Comme tant de problèmes.

Henri Maler : [Silence agacé]

Laurent Joffrin : [Rires]

Guillaume Erner : Vous l’avez un peu titillé, c’était normal.

Laurent Joffrin : Décontractez-vous, c’est un débat démocratique.

Guillaume Erner : Allez-y Henri Maler.

Henri Maler : Ce n’est pas un débat. Ce n’est pas un débat. Un débat cela consiste à échanger des arguments monsieur Joffrin, et donc laisser l’interlocuteur développer…

Laurent Joffrin : Allez-y.

Henri Maler : … et ne pas passer son temps à mordre les mollets de l’interlocuteur quand on n’est pas d’accord avec lui. Il faudra que vous appreniez à être moins arrogant, et à…

Laurent Joffrin : Donc quand on vous contredit on est arrogant.

[Guillaume Erner : Un mot de conclusion Henri Maler.]

Henri Maler : Mais ce n’est pas, ce ne sont pas des contradictions, ce sont des assertions…

Laurent Joffrin : Oui, c’est des piques. Excusez-moi, je suis désolé, voilà, je m’excuse.

Henri Maler : Il a, je le répète, des heures et des heures d’antenne…

Laurent Joffrin : Mais ce n’est pas moi qui ai choisi ça.

Henri Maler : … et dès qu’il a affaire à un interlocuteur minoritaire et minorisé, il essaie de l’empêcher de parler. Il est un concentré de ce qu’il y a de pire dans l’éditocratie. Voilà monsieur Joffrin.

Laurent Joffrin : Voilà. C’était la prémisse, Et on en arrive à la conclusion. [Rires]

Guillaume Erner : Merci à tous les deux, je ne sais pas si l’auditeur s’y retrouvera mais voilà, on a essayé effectivement de proposer un débat sur la manière dont les médias s’intéressent à la démocratie. Merci d’avoir été en notre compagnie, on vous retrouve donc dans les colonnes de Libération et sur le site Acrimed.

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Voir la transcription intégrale de la séquence en « annexe ».

[2Les « Jeudis d’Acrimed » et les « Journées de la critique des médias » notamment.

[5Ainsi qu’il l’a lui-même reconnu à mots à peine couverts :
- Guillaume Erner : « Il ne s’agit pas d’un débat sur Acrimed ou sur Libération... »
- Laurent Joffrin : « Mais si c’est un débat sur Acrimed ! Pourquoi pas ? »

A la une