Rappel des faits
Mardi 15 juillet 2003 aux Chorégies d’Orange. Au début de la retransmission d’ « Othello » sur France 2, on peut voir et entendre les personnels artistiques et techniques des Chorégies sur le plateau, expliquer au public qu’ils refusent le nouveau régime de l’assurance-chômage des intermittents, mais qu’ils assurent le spectacle pour que les Chorégies vivent. Mais avant que ne commence la retransmission proprement dite, France 2 diffuse trois encarts publicitaires vantant les avantages du récent « accord », signé par des syndicats minoritaires parmi les s intermittents du spectacle
Comme le signale une dépêche de l’AFP datée du 16 juillet, « lorsque les personnels techniques des Chorégies ont vu dans les coulisses sur leurs écrans, avec le décalage du différé, les encarts de l’Unedic, une protestation s’est élevée dans leurs rangs et une majorité ont voté la grève immédiate, c’est à dire l’arrêt, après le deuxième acte de la représentation. » [1]
Que croyez-vous que fit, pour assurer sans doute la continuité du Service public, la direction de France 2. La réponse est dans cette ultime information de la dépêche de l’AFP : « Les téléspectateurs, quant à eux, ne se sont aperçus de rien, les deux derniers actes ayant été diffusés avec les images captées samedi soir. »
Une réaction du personnel de France 2
Le texte suivant est la réaction du personnel de France 2 à la suite de la rediffusion mouvementée du spectacle " Othello " de Verdi, lors des Chorégies d’Orange. Elle a été publiée par la Coordination des intermittents et précaires d’Ile de France [2]
– « Chorégies d’Orange : La réponse de France 2 à Jacques Chirac »
Les Chorégies d’Orange ont évité à ce jour les mouvements de grève voulus par leurs personnels artistiques et techniques pour s’opposer à l’accord scélérat du 26 juin sur les Annexes spécifiques Cinéma Spectacle des salariés intermittents. La Direction a usé d’un chantage systématique et culpabilisant : " ne faites pas le jeu du Front National qui, à la Mairie d’Orange, veut la peau de ce Festival ".
Les Chorégies retransmettaient hier soir sur France 2, en léger différé, le spectacle " Othello " de Verdi. Un accord entre les salariés et la Direction impliquait la retransmission, en préalable au spectacle, d’une adresse au public des personnels, expliquant qu’ils assuraient le spectacle pour que les Chorégies survivent au Front National, mais qu’ils continuaient à refuser l’accord du 26 juin minoritaire, destructeur et non négocié.
Rappelons que cet accord prétend trouver sa légitimité dans la chasse aux dérives et aux abus, particulièrement des grandes sociétés de diffusion audiovisuelles et des sociétés privées de production prestataires de services qui camouflent des salariés permanents en intermittents pour " confier " à l’UNEDIC une part de leur masse salariale, rappelons que cet accord pourtant protège ces dérives et ces abus, et paradoxalement élimine les authentiques intermittents, un tiers dès sa mise en application, le reste progressivement plus tard. Rappelons enfin que Jacques Chirac, le 14 juillet après avoir fait l’éloge de cet accord, a affirmé que la chasse aux abus et aux dérives était prioritaire pour le gouvernement.
Ce soir-là, comme lors de la représentation de samedi, les personnels ont bien pu s’exprimer, soulevant des réactions contrastées, majoritairement hostiles du public : le département du Vaucluse bat des records en matière de vote pour le Front National. Les téléspectateurs ont pu voir la retransmission de cette intervention, mais ils ont eu droit à un cadeau inattendu de France 2.
France 2, après le brouhaha en public, a fait passer un déroulé publicitaire de l’UNEDIC vantant les mérites de cet accord, dans le plus grand silence, une voix suave le lisant pour les téléspectateurs à la vision défaillante. Après la tempête, le calme tranquille d’un accord signé entre le MEDEF et ses filiales hors de toute négociation, avec la bénédiction des plus hautes
autorités de l’Etat : un sujet de réflexion pour Culture Pub sur M6 ! Ni le Président des Chorégies d’Orange, député UMP du Vaucluse, ni Eve Ruggieri qui commentait la retransmission, ni le réalisateur sur place n’ont été informés de cette décision de la chaîne.
Ni, bien sûr, les personnels qui, scandalisés par cette méthode de propagande pour le MEDEF (déjà initiée par France 2 sur le dossier retraites) votaient en majorité la grève immédiate. Après le 2ème acte, rechantage de la Direction des Chorégies, le spectacle reprend avec retard
et sans les lumières, éclairé pleins feux par des quartz.
Cet épisode de grève, de discussion avec la Direction, puis de reprise du spectacle, bien qu’enregistré par les caméras, les téléspectateurs n’en n’ont pas eu connaissance. Les téléspectateurs n’ont même pas vu le spectacle en léger différé : il fallait leur cacher la décision des personnels jusqu’au bout. Sans la moindre annonce, France 2 leur a montré non pas la représentation en cours mais les images des deux derniers actes captées le samedi soir précédent.
Mépris de la Direction des Chorégies, mépris de la commentatrice, mépris du réalisateur, mépris des personnels artistiques et techniques, mépris du public : la totale pour France 2. Sa Direction dit qu’elle a décidé de " diffuser ces encarts par souci d’équité, pour que la chaîne ait une position équilibrée et que tous les points de vue soient exprimés ". La réalité oblige à dire qu’elle a obéi, très obligeamment, aux injonctions du sieur Loiseau, administrateur CFDT de la holding, qui semble préférer à l’unanimité hostile d’une profession vivante, les lignes glacées d’une page de publicité.
Des questions demeurent sans réponses :
1. La page de publicité mensongère qu’a passé France 2 a coûté fort cher au budget de l’UNEDIC si gravement déficitaire. Elle est en effet parue, à deux reprises, pleine page dans la plupart des grands quotidiens nationaux et régionaux : un budget considérable et secret, selon certaines sources de l’ordre de 35 000 ? la page, décidé par le Président CFDT de l’UNEDIC et son Vice-Président MEDEF, pour un accord non agréé ! Question : France 2, qui a du mal à joindre les deux bouts, est-elle liée par contrat publicitaire à l’UNEDIC pour boucler son budget ou fait-elle délibérément cadeau de la somme très coquette que représente un passage de plusieurs minutes de télévision ? Question : le CSA a semble-t-il interdit la publicité dans le déroulement d’une ouvre à la télévision publique, ces " encarts " ont pourtant été clairement identifiés comme publicitaires dans la presse écrite ?
2. Le " souci d’équité " qui anime France 2 l’amènera-t-elle à accorder de façon systématique une intervention de la FNSAC CGT pour répondre aux slogans et mensonges du gouvernement, de la CFDT et de leur maître le MEDEF ? Car le souci d’équité n’est pas unilatéral.
3. On a beaucoup parlé des " montages " audiovisuels de la réalité dans les Balkans ou au Moyen Orient. Cette façon de passer sans avertissement du direct au message publicitaire, puis du direct aux images d’archives, et de censurer le direct (lors du débat filmé entre la Direction et les personnels) n’interroge-t-elle pas le CSA sur l’objectivité des images fournies par une télévision publique ?
Mais une réponse, celle de France 2 hier soir, ne souffre plus de questions. Les interventions sur les abus des chaînes publiques du Ministre Aillagon, du Premier Ministre Raffarin ou du Président de la République n’inquiètent ni France 2, ni Marc Tessier, PDG de France Télévisions. Elle sait que l’accord scélérat protège leurs combines, il leur suffit de se transformer en officine de propagande active, et toutes ces menaces officielles resteront paroles verbales et effets d’annonces.
Une brève correspondance, suivis de brefs commentaires
– Courriel de Michel Ducrot (20 juillet 2003)
« J’attends toujours une explication sérieuse au sujet des panneaux
de propagande diffusés au début de la retransmission d’Othello. Je ne suis pas le seul à avoir protesté à la suite de ce scandale. Qu’attendez-vous pour faire votre mea-culpa ? »
– Réponse par courriel du Chef du Service Communication Téléspectateurs
« Bonjour,
Vous manifestez votre mécontentement à la suite de la diffusion d’un bandeau de
l’UNEDIC avant la représentation d’Otello aux Chorégies d’Orange. Vous souhaitez
en connaître la raison.
Je vous remercie d’avoir pris le temps d’écrire à France 2 pour faire part de votre opinion.
France 2, en tant que chaîne de service public, s’attache à rester un lieu où la liberté d’expression occupe une place prépondérante. Elle a pour mission d’informer tout en respectant l’équilibre des points de vue de chacun, afin que les téléspectateurs puissent se faire une opinion personnelle.
Dans cet esprit, la chaîne a accordé le droit de parole aux intermittents en grève au cours de plusieurs émissions (Les 100 ans du Tour de France, Vélo club.). Dès lors que les syndicats non signataires de l’accord Unedic s’étaient exprimés, il était légitime de permettre aux signataires de ce même accord de faire valoir leur position.
J’ai transmis votre réaction à la Direction des Programmes ainsi qu’à la Direction de la Rédaction afin qu’elles en prennent connaissance.
Bien cordialement,
Dominique Margotin
Chef du Service Communication Téléspectateurs »
Brefs commentaires d’Acrimed
Qu’en termes élégants et « communicationnels » ces choses-là sont dites.
- « La chaîne a accordé le droit de parole aux intermittents en grève au cours de plusieurs émissions (Les 100 ans du Tour de France, Vélo club.). ». La chaîne n’a rien accordé du tout : elle s’est résignée à laisser la parole à des intermittents dans l’intérêt de son accord avec la Société du Tour de France, inquiète de voir son spectacle perturbé de façon intempestive et … intermittente.
- « Dès lors que les syndicats non signataires de l’accord Unedic s’étaient exprimés, il était légitime de permettre aux signataires de ce même accord de faire valoir leur position. ». En vérité, c’est l’Unedic qui s’est exprimé dans un message publicitaire et non « les signataires de ce même accord », qui s’étaient déjà exprimés à plusieurs reprises.
- « … ». Ce silence vous est offert par le « Chef du Service Communication Téléspectateurs » sur les conditions de passage du message publicitaire de l’Unedic et la diffusion, non de la représentation en cours, mais des images des deux derniers actes captées le samedi soir précédent.