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Pétition contre l’immigration : la machine Bolloré au service de Philippe de Villiers

par Jérémie Younes,

Pour imposer une pétition xénophobe initiée par Philippe de Villiers à l’agenda médiatique, il a d’abord fallu le forcing de l’empire Bolloré, puis le relais complaisant de médias « grand public ». Retour sur une séquence de co-construction médiatico-politique d’une « actualité » réactionnaire (et désormais ordinaire).

Depuis une dizaine de jours, l’empire médiatique Bolloré – le JDD, Europe 1 et CNews en tête – tente de mettre à l’agenda journalistique la pétition lancée par Philippe de Villiers demandant un « référendum sur l’immigration ». C’est d’abord dans le JDD, dimanche 7 septembre, que le fondateur du Puy du Fou annonce le lancement de sa pétition dans un grand entretien : « Pour sauver la France, il faut un référendum ». Reprise immédiate par le site d’Europe 1 (7/09) : « "Nous sommes en train de changer de peuplement" : Philippe de Villiers lance une pétition pour un référendum sur l’immigration », mais aussi par Valeurs Actuelles (7/09) et Le Figaro (7/09). Deux jours après, Europe 1 se réjouit : « Déjà 300 000 signatures ». Hélas, la pétition ne perce pas le plafond de verre de cette presse réactionnaire et vivote en circuit fermé – dans la sphère Bolloré. Pas découragée, CNews lance un tutoriel quelques jours plus tard – « "Exigeons un référendum sur l’immigration" : comment signer la pétition nationale lancée par Philippe de Villiers » (13/09) –, promu à grands renforts d’articles sur le site, de sujets diffusés à l’antenne et de discussions en plateau. Alexandre Devecchio se fend quant à lui d’une chronique sur Europe 1 (13/09) : « La gauche, censée représenter le peuple, a peur de la souveraineté populaire ». Sur X, Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction du JDD, prend part à l’agitation et fait une comparaison bien peu rigoureuse : « Les médias qui avaient dopé la pétition sur la loi Duplomb ignorent celle de Philippe de Villiers. Et pourtant, vous la signez à un rythme bien plus impressionnant ! »

Une poignée d’articles franchissent alors le seuil de la sphère Bolloré, témoignant de la capacité de ses influenceurs à faire pression sur les chefferies médiatiques mainstream, aussi chagrine soit la tonalité de ces premières reprises. C’est par exemple le HuffPost qui explique, le 12 septembre, « pourquoi cette pétition de Philippe de Villiers n’a pas la même valeur que celle contre la loi Duplomb » : « Le site mis en ligne par le polémiste d’extrême droite est tellement faillible qu’il est possible de signer plusieurs fois la pétition. » Idem sur France Info (12/09). De nombreux commentateurs sur les réseaux sociaux soulignent également le fait que cette pétition est un « piège à adresses mails », utile à Philippe de Villiers pour assurer la promotion de son prochain livre, à paraître chez Fayard.

Heureuse coïncidence, les éditions Fayard dépendent du groupe Hachette Livre, lui-même filiale du groupe Lagardère, lequel est contrôlé par Vincent Bolloré. Mieux : pour signer la pétition sur le site dédié, il est proposé de consentir « à ce que Philippe de Villiers communique mon adresse email à la société Lagardère Media News afin qu’elle m’adresse des informations, offres, bons plans et avantages promotionnels pour les titres JDD et JDNews. » Une affaire rondement menée !


Du coup de pouce de l’AFP… aux gros sabots du Figaro


Pas refroidi par ces manœuvres qui confinent à la tromperie, un relais politique de taille va apporter son concours à l’opération médiatique de l’empire Bolloré : Laurent Wauquiez. Sur X, le 15 septembre, le député LR annonce en grande pompe sa signature de la pétition. Coup de chance, le tweet du député LR est sélectionné par l’AFP ! L’info méritait sans nul doute une dépêche : elle tombe à 10h02, entraînant avec elle de nombreuses reprises qui permettent à la pétition de sortir pour de bon de la galaxie Bolloré. L’information « Wauquiez signe la pétition de De Villiers » est dans La Croix, Le Parisien, sur France Info, mais aussi dans Midi Libre, 20 Minutes, et même sur le site d’Ici Hérault (ex-France Bleu). Certains des papiers soulignent que le site lancé par Philippe de Villiers est bien curieux et que l’on peut signer la pétition plusieurs fois ; mais pas tous. Comme dans une partie de la presse régionale, le lendemain, alors qu’elle relate le meeting du RN à Bordeaux et le soutien apporté sur scène par Bardella à la pétition. Le même article – « Le RN déjà en campagne » (15/09) – est publié à l’identique dans cinq titres (au moins) du groupe Ebra, dont Le Progrès et L’Est Républicain [1], se contentant de noter que « la pétition lancée par Philippe de Villiers […] dépassait dimanche soir les 830 000 signataires ».

Dans ce marasme, la palme de la désinformation est sans doute pour Le Figaro, qui publie un article tapageur annonçant le million de signatures : « Référendum sur l’immigration : la pétition lancée par Philippe de Villiers dépasse le million de signatures » (15/09). Si le papier souligne (derrière un paywall) que le chiffre est « difficile à certifier », Le Figaro maximalise son impact en diffusant sur ses réseaux sociaux un grand visuel, avec une photo de Phillipe de Villiers, regard pénétré, et le chiffre « 1 million » en énormes caractères, accompagné du commentaire suivant : « Ce chiffre a été atteint plus vite que pour la pétition pour la loi Duplomb ».



Il est à noter que d’autres médias « grand public », tenant habituellement un rôle non négligeable dans la diffusion des cadrages et des préoccupations de l’extrême droite, ne plongeront pas aussi éhontément dans l’opération de l’empire Bolloré (et du Figaro). Une fois n’est pas coutume, BFM-TV publie par exemple une analyse plutôt correcte : « Liens avec l’extrême droite, pas de vérification... Pourquoi la pétition de Philippe de Villiers sur l’immigration est incomparable avec celle sur la loi Duplomb » (15/09).

Reste que par intérêt – idéologique et financier – bien compris, Le Figaro est prêt à jeter à la mer les principes les plus élémentaires du journalisme pour se faire le relais d’« événements » politico-médiatiques montés de toutes pièces par l’extrême droite et le groupe Bolloré. Il n’y a pas à dire : un agenda médiatique, ça se travaille !


Jérémie Younes

 
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Notes

[1Mais aussi dans Le Bien Public, Le Journal de Saône-et-Loire et les DNA.

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