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Courrier international, thermomètre de la presse dominante européenne

par Jérémie Fabre,

Chaque semaine, dans la rubrique « Ils parlent de nous », Courrier international donne la parole à un journaliste d’un média étranger sur un sujet d’actualité française. Cette rubrique, à l’instar du journal lui-même (qui revendique historiquement une « confrontation des points de vue »), reflète en partie les orientations de la grande presse européenne ; en étudier le contenu permet donc de prendre la mesure du pluralisme qui y a cours – ou, en l’occurrence, de son absence.

Malgré la diversité des thèmes abordés dans cette rubrique « Ils parlent de nous », sur les vingt derniers numéros (depuis le numéro 1205, pour la semaine du 5 au 11 décembre 2013, jusqu’au numéro 1225, daté du 24 au 30 avril 2014), neuf chroniques ont été consacrées à un sujet particulièrement brûlant : la politique économique du gouvernement français. Et sur ces neuf chroniques, huit relaient le point de vue d’un journaliste partisan… de la réduction impérative des déficits publics, du libéralisme économique et des injonctions européennes, bref de l’austérité et de la « réforme ».

Ainsi, si dans le numéro n°1205, Vibeke Knoop Rachline (correspondante du quotidien norvégien Aftenposten) se désole que « La France n’est pas prête à élire de purs gestionnaires », dans le numéro 1213, Sophie Pedder (correspondante de l’hebdomadaire britannique The Economist), se réjouit du « virage social-démocrate » de François Hollande, « un véritable pas dans la bonne direction ». Un virage bien trop lent pour Michaela Wiegel (correspondante du quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung) dans le numéro 1218, pour qui « les actes se font attendre », louant dans la foulée les réformes libérales de l’Allemand Gerhard Schröder. Comme l’explique Fiachra Gibbons (journaliste irlandais installé à Paris) dans le numéro 1219, ce qui explique l’expatriation supposée des « jeunes entreprenants », c’est que « monter une start-up ici est un parcours du combattant ».

Dans le numéro 1224, Sophie Pedder, une habituée, fait la promotion de son livre Le Déni français, qui soutient notamment qu’« il faut rapidement s’inspirer des exemples allemands et suédois pour redynamiser l’économie et stimuler l’esprit d’entreprise » [1]. Un livre qui aurait pu être écrit par n’importe lequel de nos experts économiques nationaux. Enfin pour Christian Schubert (correspondant économique du Frankfurter Allgemeine Zeitung) dans le numéro 1222, « la lutte contre le déficit ne va pas assez vite. Le problème réside essentiellement dans les dépenses publiques et sociales. Il faut les réduire » ; il importe donc de « briser les tabous du PS », car « il n’y a pas de redressement sans douleur ».

La politique économique du gouvernement français concerne aussi l’Union européenne. C’est à ce titre que Rudolf Balmer (correspondant du quotidien allemand Die Tageszeitung), dans le numéro 1215, se permet d’affirmer que « faire baisser l’euro, c’est un leurre », enjoignant à l’Allemagne « de faire la sourde oreille à de telles revendications ». Pour Christian Wernicke (correspondant à Paris du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung), « la France doit respecter les règles » européennes de l’austérité, d’autant plus que « les dépenses de l’État atteignant 57 % du PIB, il n’est a priori pas trop difficile de réaliser des économies ». Il s’agit pour elle d’ « un problème avant tout mathématique et non politique ».

Seul le numéro 1209 nous présente un point de vue différent, d’une neutralité ébouriffante. Ainsi pour Miguel Mora, correspondant du quotidien espagnol El País, à propos des différences entre l’austérité espagnole et française, « on verra bien qui a les meilleurs résultats ».

La presse européenne est-elle aussi unanime quant à l’absence d’alternative à l’austérité que ce que Courrier international laisse entrevoir dans cette rubrique ? Une telle absence de pluralisme à l’échelle d’un continent serait aussi sidérante qu’inquiétante, et il est peut être préférable de penser (naïvement ?) que Courrier international a tout simplement mal cherché.

Jérémie Fabre

 
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Notes

[1Comme on peut le lire ici, et apprendre au passage que The Economist est « le journal le plus objectif et intransigeant au monde dans le domaine économique. »

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