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« La gauche irresponsable » : ce que les médias font au débat parlementaire

par Maxime Friot, Pauline Perrenot,

C’est un remake de 2020. Lors de l’examen du précédent projet de réforme des retraites à l’Assemblée nationale, les chefferies éditoriales amplifiaient le « tonnerre » de l’hémicycle en imputant « l’obstruction » des débats à la seule gauche parlementaire. Déjà, l’information se résumait, pour l’essentiel, à placarder le nombre d’amendements déposés par les députés LFI. À monter bout à bout leurs « pires coups de gueule ». À les sommer de ne pas « entraver » le cours de la « bonne » démocratie.

Quatre ans plus tard, les médias dominants agissent toujours sur le débat démocratique tels une loupe déformante. Bien sûr, du « chahut » a lieu. Bien sûr, des invectives sont échangées. Bien sûr, les débats sont mouvementés. Mais le compte rendu médiatique du processus parlementaire a ceci de profondément dé(sin)formant qu’il sélectionne, hiérarchise et amplifie certains faits au service d’un cadrage éditorial établi, manifeste dans la plupart des médias : faire le procès d’une gauche politique « irresponsable ».

Comme de coutume, ce type de traitement répond en tous points aux exigences commerciales des médias en quête de buzz... et de fracas, tout en prétendant le déplorer.

D’une part, spectaculariser les gesticulations de députés, les « punchlines » et les noms d’oiseaux qu’ils profèrent est (et restera) toujours plus « télégénique » que la diffusion ou le compte rendu d’échanges d’arguments, qui ont bel et bien eu lieu dans l’hémicycle, mais sont passés sous les radars. Nous en avons précédemment donné deux exemples : un premier tiré de l’émission « C à vous », lorsque des prises de parole de la Nupes en commission furent coupées pour n’en garder que les termes jugés « violents », lesquels furent ensuite montés les uns à la suite des autres ; et le second, issu de l’émission « C ce soir » consacrée au procès d’un tweet de Thomas Portes, présenté comme « l’incarnation » de la « violence symbolique » du moment...

D’autre part, le commentaire permanent – mode de traitement de l’actualité sur lequel repose la quasi-totalité des émissions politiques et qui se substitue au débat argumenté – y trouvera une matière inépuisable (et largement son compte) : « Bienvenue en Absurdistan » (Alba Ventura, RTL, 14/02) ; « jusqu’au-boutisme » (Le Monde, 18 et 20/02) ; « sempiternels démons de l’obstruction et des batailles de procédure » (Le Figaro, 17/02), « bazardisation de l’Assemblée » (Jean-Michel Aphatie, LCI, 15/02), etc. Les journalistes politiques n’aimant rien tant, de surcroît, que se focaliser sur les stratégies partisanes au détriment du fond, ils s’en seront donné à cœur joie.

Un bon exemple de la faillite de ce journalisme politique : Le Parisien. Entre le 30 janvier – date d’entrée de la réforme en commission des Affaires sociales – et le 17 février – arrêt des échanges dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale –, le lecteur ne trouvera rien de consistant sur les argumentaires avancés par les parlementaires de gauche. En revanche, il ne saura que faire de l’avalanche d’articles consacrés aux stratégies des différentes chapelles politiques, ainsi qu’au « tapage » (7/02) et autres « coups de chaud » (17/02) dans l’hémicycle. Bref, au « spectacle affligeant » de la « pagaille à l’Assemblée » (13/02), dont se délecte... la rédaction. La gauche est, systématiquement, la principale force politique dans le viseur. Le 13 février en particulier. Dans un grand dossier, le journaliste politique Marcelo Wesfreid tricote des petites phrases d’élus pour faire monter la mayonnaise et disserter de « l’inquiétude [grandissante] sur le climat de violence » après « la polémique déclenchée par le député LFI Thomas Portes ». En face, l’air responsable, Bernard Cazeneuve trône au-dessus d’une interview exclusivement orientée sur les Insoumis/Nupes et titrée : « "Ces élus préparent le triomphe de la violence" », déjà introduite à la Une du quotidien : « "L’excès et l’injure avilissent la politique" »... Sans commentaire. Un numéro chargé, donc, qui pouvait compter sur son directeur des rédactions pour l’alourdir davantage. Édito de Nicolas Charbonneau :

On se souvient du discours de Robert Badinter à la tribune de l’Assemblée nationale en septembre 1981 [contre la peine de mort]. [...] Plus jamais on ne trancherait de têtes en France. Plus jamais on ne décapiterait. Quarante années plus tard, un député de la République ceint de son écharpe tricolore pose pour la photo, bravache, le pied sur un ballon à l’effigie de la tête d’Olivier Dussopt [...]. Ce n’est pas la première fois que la décapitation est une référence au sein de ce mouvement politique. [...] En octobre dernier, Jean-Luc Mélenchon appelait à faire mieux qu’en 1789 [...]. Le Parlement n’est pas un cirque, c’est un sanctuaire. On n’y piétine pas les symboles, on ne se vautre pas dans l’immonde, on mesure ses paroles, on tient son rang et on s’interdit toute offense à l’intelligence.

C’est bien dans ce contexte que les éditocrates, du haut de leur chaire médiatique, se chargent de régler des comptes plutôt que… rendre compte des débats. « Ils cassent les codes de la bienséance du débat parlementaire » s’indigne Thomas Legrand dans Libération (14/02). Et Quand Christophe Barbier évoque « l’échec complet de la procédure parlementaire », ce n’est pas l’usage du 47.1 par le gouvernement qu’il dénonce : « Ça ne marche plus l’Assemblée nationale, avec les obstructions par les amendements, les invectives […]. Avec une extrême gauche menée par LFI extrêmement virulente, qui n’est pas là pour améliorer les textes ou les faire adopter, mais uniquement pour bloquer le système – c’est leur stratégie révolutionnaire. » (« C dans l’air », 18/02)

Et les outrances de se succéder. Jean-François Kahn :

Il est arrivé, dans la foulée des dernières élections, je sais pas, une cohorte de crétins, qui ne savent rien, que crier, que hurler, c’est terrible. (LCI, 12/02)

Alain Duhamel :

Ce sont des révoltés qui vomissent la société, qui vomissent tout ce qu’elle représente sur le plan économique, social, psychologique, politique, etc. (BFM-TV, 13/02)

Raphaël Enthoven :

Ils contestent les résultats des élections, ils soutiennent des factieux, ils maudissent leurs adversaires, Ils hurlent dans l’Hémicycle, ils livrent leurs collègues à la vindicte. Dans cette secte déguisée en soviet, les principes sont nobles ; les méthodes sont immondes. (Twitter, 10/02)

Ou encore cet édito de Nicolas Beytout, en Une de L’Opinion (14/02), qui commence par « C’est désormais un incontournable de la vie politique française : le nom de Jean-Luc Mélenchon est synonyme de violence » et qui se termine avec : « La colère qu’il met en toute occasion oblige à s’interroger : que ferait-il du bouton nucléaire ? »

« On est entre le camp de gitans, le camp de guignol, enfin ce qu’on veut, mais c’est quelque chose qui, de toute façon, tire tout le débat démocratique et le débat politique vers le bas » expliquait Anna Cabana sur BFM-TV (13/02), reprenant les termes du sénateur UDI Hervé Marseille. Le débat médiatique vole-t-il vraiment plus haut que le débat politique ?


Maxime Friot et Pauline Perrenot

 
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