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Nathalie Saint-Cricq dans Libération : une « pointure » et beaucoup de cirage

par Olivier Poche,

On le sait depuis l’édito signé Jonathan Bouchet-Petersen, et intitulé « Les insoumis sont pénibles, ils nous obligent à défendre Nathalie Saint-Cricq et, pire, Pascal Praud », Libération a fort peu goûté la campagne de LFI pour l’inscription sur les listes électorales qui avait suscité une tempête de désapprobation comme le petit monde médiatique outragé sait si bien les orchestrer. Nouvelle pièce fournie par la défense de l’éditocrate du service public : un portrait, dégoulinant de complaisance, publié dans l’édition du 4 avril. Un papier de ceux dont on se demande si quelqu’un l’a relu et validé avant publication, sans trop savoir quelle réponse espérer.

Comme l’indique clairement le chapô, c’est bien le conflit ouvert par les affiches de LFI et la « polémique » qui s’en est suivie qui justifient ce portrait : « Membre de la famille Duhamel, la journaliste télé au caractère bien trempé ne se laisse pas déstabiliser par les accusations de connivence et de macronisme lancées par LFI. » Et pour cause : l’autrice du portrait, Virginie Bloch-Lainé, membre d’une autre grande « famille » française et appartenant sensiblement au même monde que notre « journaliste télé », va s’efforcer de la défendre, et de délégitimer ces « accusations ». À cet égard, le premier paragraphe est un chef d’œuvre du genre :

A l’antenne, elle est mordante. Physiquement, elle ne vacille pas, mais par la parole, elle balance et balaie la poussière. En raison de ces qualités, sa discrétion lors du débat entre Macron et Le Pen avant le second tour de la présidentielle de 2017 avait été moquée. Alors que voulez-vous, qu’elle se taise ou qu’elle l’ouvre ? C’est le sort d’une excellente journaliste de provoquer une myriade de fantasmes. Nathalie Saint-Cricq serait très riche, terriblement macroniste et peut-être d’autres choses encore. Épouse de Patrice Duhamel, ancien directeur général de France Télévisions, belle-sœur d’Alain Duhamel et mère du journaliste de BFM TV Benjamin Duhamel, elle concentrerait entre ses mains l’information des citoyens.

D’un côté, une « excellente journaliste », bourrée de « qualités ». De l’autre, une « myriade de fantasmes » [1], des injonctions contradictoires (« qu’elle se taise ou qu’elle l’ouvre ? »), et des accusations ridicules : « elle concentrerait entre ses mains l’information des citoyens ». Personne n’a jamais prétendu cela, mais c’est une constante des plaidoiries médiatiques pro domo : on caricature sans complexe le discours des opposants, ce qui a le double mérite de leur enlever tout crédit et d’éviter de répondre à leurs critiques et arguments.

D’ailleurs, les opposants n’auront pas leur mot à dire : on y lira surtout des citations de Nathalie Saint-Cricq [2]. Les deux autres sources de Virginie Bloch-Lainé sont Arlette Chabot, qui trouve sa consœur « généreuse et attentive aux autres. Elle est exceptionnelle, et je ne dis pas ça pour être gentille », et Ali Baddou, qui la trouve pour sa part « exigeante et bienveillante ». Et… c’est tout.

C’est presque tout : le portrait assemble des bribes d’information sur son parcours, son salaire (et sa transparence) [3], ses deux premiers romans, ses vacances en Corse, sa rencontre amoureuse avec « Patrice », ses grands-parents résistants, son frère qui dirige le journal fondé par le grand-père, aventure résumée ainsi par Nathalie (la sœur) – et par elle seule : « C’est un processus qui peut sembler dynastique mais on ne possède pas le journal. C’est une coopérative ouvrière. »

Bref, un ramassis d’éléments biographiques, qui paraissent d’autant plus anecdotiques qu’aucune idée directrice ne semble présider à leur sélection, sinon la volonté de montrer l’« excellente journaliste » sous son meilleur jour – sans exclure des messages annexes : « La journaliste est intransigeante sur deux points : les atteintes à la laïcité et à l’antisémitisme, qui souvent se maquille en antisionisme. »

On retrace à (très) grands traits sa vie de « reporter, en Israël pendant la guerre du Golfe, en Roumanie pendant la révolution de 1989 », son éloignement « du terrain », son retour « à l’écran », son renvoi dans la « charrette » de Sarkozy. On cite les avis (comblés) de ses amis Arlette et Ali. On évoque la « polémique AOC » en invitant Nathalie – et elle seule – à dire « franco de port ce qu’elle pense de cette affaire ». Et Nathalie de faire une révélation pleine de courage : « À sa place, j’aurais démissionné rapidement. » Nathalie, à sa place d’éditocrate, s’était surtout abstenue de toute déclaration compromettante, en prétendant se « mettre en retrait » selon des modalités baroques qui avaient « agacé à France Télés » et fait « jaser en interne », comme le révélait un article de… Libération. Mais des motifs de cet « agacement », du contenu de ces « jaseries », on ne saura rien – même pas leur existence. De même qu’on ne saura rien des critiques précises et argumentées, qu’on a pu formuler, ici même par exemple, à l’encontre de cette éditocrate et du tort qu’elle et ses pairs font au débat public, à la démocratie en général, et à la gauche en particulier.

Pour finir, on apprendra que « Nathalie Saint-Cricq n’a pas demandé à relire ses propos avant la publication du portrait » : la précision s’imposait en effet ! Pourtant, « de plus petites pointures l’exigent », glisse Bloch-Lainé dans un ultime coup de brosse. Une « pointure » – le mot dit bien ce que Virginie voit en Nathalie : voilà son point de vue, qui explique son portrait, en tout point conforme aux attentes de cette dernière. Et de Libération ?


Olivier Poche

 
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Notes

[1En effet délirants : Saint-Cricq serait riche et macroniste !

[2Qui pourra par exemple déplorer « toute la méchanceté dont [les gens de LFI] sont capables ».

[3« Parce qu’elle sait que les imaginaires s’emballent, elle nous montre son salaire, sur son smartphone, au bas de sa fiche de paie : 5 789 euros net, treizième mois compris. »

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