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D’une manipulation politico-syndicale à une « bavure » médiatique

Juillet 2002 à Pantin : Guet-apens imaginaire et orchestration médiatique

Par le « Collectif droit, justice et citoyenneté à Pantin »

« Une bande de jeunes massacre à coups de battes de base-ball trois policiers à vélo, dont une femme » ? Comment les fausses nouvelles diffusées par FO Police ont été relayées dans les médias.

Nous publions ici le dossier réalisé par le « Collectif droit, justice et citoyenneté à Pantin », et mis à la disposition de la presse sous le titre « D’une manipulation politico-syndicale à une bavure médiatique » [1], ainsi que la lettre adressée au Procureur de la République

Pantin, le 7 avril 2003

Les évènements du 24 juillet 2002 qui se sont déroulés dans la cité des Pommiers à Pantin ont connu un retentissement national, et laissé un souvenir de violence extrême : Une bande de jeunes massacre à coups de battes de base-ball trois policiers à vélo, dont une femme.

À l’origine, un simple incident violent provoqué par un contrôle abusif d’identité par trois jeunes policiers probablement peu formés. XXX est un jeune mineur, dont l’identité est déjà parfaitement connue des policiers, ce qu’ils reconnaissent eux-mêmes. Ceux-ci affirmeront par la suite qu’il fumait un joint, ce qui aurait provoqué le contrôle d’identité. Cette information se révèlera fausse. Donc, un jeune, mineur, noir (est-ce important ?), tout seul, connu des policiers et qui ne se livre à aucune activité répréhensible. Le contrôle d’identité est donc injustifié. Il n’a comme fonction que de matérialiser la présence et le pouvoir de la police. Contrôle violent : le jeune mineur est plaqué au mur, puis jeté au sol où il est maintenu en force. C’est ensuite que les accrochages avec un premier puis un deuxième jeune, arrivés au secours du mineur, eurent lieu.

Ce déroulement des faits, désormais parfaitement établi, n’a rien à voir avec ce qu’ont rapporté les médias ni avec le souvenir qu’en a gardé l’opinion publique.

Alors, que s’est-il passé ?

1. Le SGP-FO diffuse de fausses nouvelles

Dans une dépêche de l’agence Reuters, publiée à 16 heures 22 « un responsable de FO Police » déclare : « Les jeunes, qui avaient des battes de base-ball, se sont rebellés et se sont même emparés des bâtons de défense des policiers pour les frapper. » L’agence Reuters titre sa dépêche : « Trois policiers frappés à coups de battes de base-ball. »

L’AFP axe sa dépêche sur : Trois policiers roués de coups, « de source syndicale policière ». Les trois policiers « sont tombés dans un véritable guet-apens a-t-on précisé de même source  ». L’AFP cite ensuite « un responsable du syndicat général de la police (SGP-FO) », qui détaille le guet-apens : « Le policier qui vérifiait les papiers a été frappé à coups de poing au visage, de même que la femme stagiaire. L’autre collègue, un jeune adjoint de sécurité qui s’était esquivé pour alerter les secours, a été rattrapé puis roué de coups avec une batte de base-ball. Il est resté inanimé plus d’une demi heure. »

Au même moment, le SGP FO, décidément extrêmement actif sur cette affaire, publie un communiqué officiel qui commence ainsi : « A 14 heures 30 trois policiers en VTT seraient tombés dans un traquenard, alors qu’ils circulaient rue des Pommiers, un groupe de jeunes leur aurait fait signe pour les appeler... » Dans le même communiqué, le SGP-FO a déjà trouvé une explication à ce traquenard : la vengeance. « Il est à noter que ces fonctionnaires ont procédé hier, 23 juillet 2002, à l’interpellation de ces mêmes jeunes, et auraient mis en fourrière un engin deux roues interdit à la circulation sur la voie publique. ».

Deux heures après les faits, le ton est donné, une version cohérente et colorée a été construite, et par FO Police. Groupe de jeunes, battes de base-ball, traquenard, les mots clé sont lancés, et désormais, c’est à elle que toute la presse va s’adresser pour obtenir des informations. Et les responsables FO ne vont pas se faire prier pour les décliner sur tous les tons.

Sur FR3, édition régionale du 24 juillet, Gilles Petit, secrétaire départemental (par intérim) du SGP FO, est interviewé. Il déclare : « Des collègues patrouillaient quand, sur leur droite, un groupe de 8 à 10 jeunes leur ont fait signe de venir. Les policiers se sont dirigés vers eux. Ils n’ont pas eu le temps de descendre de leur vélo et se sont fait agresser. Le fait que les jeunes leur aient fait signe me fait penser qu’ils avaient prémédité leur coup. » Gilles Petit a dû suivre des cours de communication. Les détails concrets (sur leur droite, 8 à 10 jeunes, pas eu le temps de descendre de vélo), la personnalisation du témoignage (me fait penser) sont admirables pour quelqu’un qui ne fait que broder sur les communiqués officiels de son organisation. Le témoignage de Gilles Petit sera repris dans le 19/20 de FR3 qui précisera que les trois policiers sont hospitalisés, et que leurs jours ne sont pas en danger.

Sur TF1, France 2 et LCI, c’est Dominique Fagiolini, présenté comme secrétaire du SGP FO, qui s’exprime. Il reprend le traquenard sous des formes diverses (dix jeunes qui appellent les policiers sur LCI, plus prudent sur France 2 : peut être à coups de battes de base-ball, l’enquête le dira). TF1 titre : Des jeunes auraient agressé des policiers à coups de poing et de battes de base-ball.

À noter que dès ce premier jour, les chaînes de télévision donnent également la parole aux jeunes de la cité, dont le témoignage ne variera jamais : un contrôle d’identité brutal sur un jeune fumeur de joint (il faut dire que c’est plausible, même si cela s’avèrera inexact, en l’occurrence) contesté oralement, puis bagarre.

Le 25 juillet, l’affaire, telle qu’elle a été montée par le SGP-FO, prend encore de l’ampleur.

La presse écrite prend le relais des informations télévisées, et de façon souvent extrêmement violente.

Le Parisien après avoir titré : « Trois policiers roués de coups par vengeance » parle de traquenard et de lynchage. Mobile, « Selon nos informations (sources ? Ndlr), les jeunes auraient voulu se venger de la confiscation, la veille, d’une moto appartenant à l’un d’entre eux par des fonctionnaires du commissariat de Pantin. ’Ce guet-apens était prémédité, les jeunes avaient déjà leurs battes de base-ball’ confie un policier (qui  ? Ndlr)  ». Tout ceci est du roman pur. Suit un récit très complet, vivant, bien écrit, plein de rebondissements, du vrai polar, et tout aussi imaginaire que nous ne discuterons pas pour ne pas empiéter sur l’instruction en cours.
« Yoann, Elisabeth et Karim se retrouvent cernés par un groupe d’une dizaine de jeunes gens. L’un d’entre eux s’empare du tonfa, la matraque de l’un des agents. Simultanément, la policière prend les premiers coups au visage, s’effondre, avant d’être tabassée à terre à coups de poing, de pied, et de batte de base-ball. Karim, adjoint de sécurité, entre dans une cour d’immeuble pour prévenir les secours. ’Je l’ai vu passer avec son revolver à la main, mais les autres lui ont sauté dessus avant qu’il n’ait le temps de réagir’ raconte un riverain. Plusieurs garçons le passent à tabac et le laissent inconscient au pied de l’immeuble. Il ne reprendra conscience que trente minutes plus tard grâce à l’intervention du Samu. Yoann réussit à mieux se protéger, mais était hier dans un très grand état de choc émotionnel. Elisabeth, elle, gît ensanglantée. ’Je lui ai porté des mouchoirs en papier pour qu’elle se nettoie le visage, raconte Jane, elle ne voyait plus rien.’ Cette gardienne de la paix stagiaire a été transportée en fin d’après midi à l’hôpital Lariboisière à Paris. ’Défigurée’ selon un témoin, elle souffre de trois fractures à la mâchoire, d’une autre à l’œil droit. La jeune femme a également perdu 14 dents. Rapidement une cinquantaine de policiers arrive sur place et cerne les accès de l’immeuble. Le témoignage de Yoann, confirmé par ceux des riverains, indique que les agresseurs sont cachés juste après la bagarre au 42 de la rue des Pommiers. Tous sont immédiatement identifiés  ». Notons simplement la phrase : « la policière prend les premiers coups au visage, s’effondre, avant d’être tabassée à terre à coups de poing, de pied, et de batte de base-ball. » Dans Le Parisien, les sources ne sont pas identifiées.

Le Figaro donne également un récit coloré, mais dont les sources sont mieux identifiées. Origine des faits : un banal contrôle d’identité, selon un porte-parole de la direction de la police nationale. Pour la suite du récit, la source c’est : « Dominique Fagioni, responsable du syndicat général de la police (FO) en Seine Saint Denis, qui s’est déplacé sur les lieux. » (A quelle heure s’est-t-il déplacé ? Ndlr)

« Les insultes fusent, vite suivies de coups de pied et de poing. Les policiers sont débordés par une bande de plus en plus étoffée, dont plusieurs membres se trouvent mystérieusement armés de battes  ». Là encore, la suite du récit est particulièrement précise et animée. Et tout aussi sujette à caution que le début du récit. « L’adjoint de sécurité réussit à s’esquiver et alerte les secours, mais il est rattrapé puis cogné avec un bâton. Il restera inanimé pendant plus d’une demi heure. Pendant ce temps, ses deux collègues ploient aussi sous ce qui devient un passage à tabac en règle. Au point que le plus âgé tombe à terre. La jeune femme est blessée à l’œil et à la mâchoire. Pis,’Ils se sont alors emparés du bâton de défense du chef de patrouille avec lequel ils se sont acharnés’ raconte Dominique Fagiolini...Ce n’est qu’après plusieurs minutes que les assaillants se volatilisèrent. »

Ni Le Parisien, ni Le Figaro ne donnent d’autres versions que les versions policières, qui sont en fait la version du SGP-FO.

L’Humanité, dans une brève, est sur la même longueur d’onde et parle de guet-apens « selon un syndicat policier ».

Libération donne plus la parole aux jeunes des Pommiers. Le récit de l’incident semble cependant essentiellement policier. « Les policiers, cernés par un attroupement spontané. ’Un groupe leur est tombé dessus à bras raccourcis. Ils ont pris de sacrés coups.’ (C’est une citation, mais le journal ne précise pas la source Ndlr). Certains auraient été portés à l’aide de battes de base-ball, mais aussi d’un tonfa dont est équipée la police, dérobé à cette occasion.  »

Le Monde daté du 26 juillet est un peu plus nuancé. Il parle « d’une dizaine de jeunes dont l’un armé d’une batte de base-ball selon la police  ». Plus loin dans l’article, la source sera mieux identifiée : c’est le lieutenant de police Rachid Azizi, chef du groupe recherche du commissariat de Pantin, qui parle de batte de base-ball. Mais le journal donne également la parole aux jeunes de la cité des Pommiers qui affirment : « L’histoire des battes, c’est de l’invention magique. »

Or, dès le 25 juillet, dès le lendemain des faits, la version FO Police apparaît pour ce qu’elle est : une construction sans rapport avec la réalité. L’un des policiers pris dans l’accrochage sort de l’hôpital, moins de 24 heures après y être entré (souvenez vous, ses jours n’étaient pas en danger...), et dément la thèse du guet-apens et des battes de base-ball. Par la suite, les trois vététistes nieront toujours avoir parlé à aucun moment de batte de base-ball ou de guet-apens. Alors, quelles sont les sources de FO Police ?

2. Pourquoi FO Police fabrique-t-elle des fausses nouvelles ?

Il ne faut pas oublier le contexte politique, très sensible ces jours-là. Après une campagne électorale que tout le monde a en mémoire, axée sur la dénonciation de la violence des jeunes de banlieue, de préférence « d’origine maghrébine », on est alors en pleine période de débat sur les projets de loi Sarkozy et Perben. Le 16 juillet, Sarkozy intervient à l’Assemblée Nationale pour présenter son projet de loi sur la sécurité intérieure, et le 17 juillet, Perben présente son projet de loi sur la justice au conseil des ministres. Entre le 24 et le 27 juillet, le Sénat débat des dispositions du projet de loi Perben qui permettent l’incarcération des mineurs à partir de 13 ans. Dans ce contexte, ce n’est donc absolument pas un hasard si les incidents qui se déroulent aux Pommiers donnent lieu à diverses formes d’exploitation politique.

Pour le SGP FO, il s’agit de faire pression, sur les hommes politiques et sur l’opinion publique dans le sens d’un renforcement de l’armement des policiers, de l’autonomie et du pouvoir des policiers. Juste quelques éléments, ramassés ici ou là, dans ses déclarations. Dans un communiqué officiel daté du 26 juillet, « le SGP FO se félicite qu’enfin le pouvoir en place donne, au travers de cette dramatique affaire, un signe fort aux fonctionnaires de la Police Nationale, lesquels ces dernières années se sont sentis abandonnés et non considérés ». C’est également Nicolas Couteau, présenté par la presse comme porte parole du SGP-FO, qui tire la morale des faits dans Le Figaro du 25 juillet : »Si les policiers avaient disposé d’un flash-ball... ils auraient pu s’en sortir à moindre mal. » Le même Nicolas Couteau qui, dans le journal Le Monde du 22 février 2003, donne la conception de son organisation face à la montée des violences policières : Il se félicite « d’un certain retour à l’ordre. Dans les années quatre-vingt, lorsque les policiers intervenaient dans les quartiers chauds, ils se disaient : pas de provocation, sinon on s’en va. Aujourd’hui, on nous dit qu’on doit s’imposer et que force doit rester à la loi. Quand on veut occuper le terrain, on rencontre forcément des résistances. » Quitte à les créer, ou les inventer.

3. Les politiques à l’unisson.

Les hommes politiques emboîtent le pas à FO avec une sorte de frénésie. Dans la journée, Raffarin, Sarkozy, Perben, Bédier dénoncent « l’exceptionnelle gravité », « l’horreur », « la sauvagerie des voyous » (AFP).Bédier ira jusqu’à dire : « Face à cette montée de la délinquance et en particulier de la délinquance des mineurs -dois-je rappeler que parmi les agresseurs, il y a un enfant de onze ans ( dans ce dossier, aucun mineur n’est accusé d’agression, le ministre prend ses fantasmes pour des réalités), il faut que la société apporte des réponses de très grande fermeté. » Claude Bartolone, député PS du 93 (et notamment des Pommiers), leur emboîte le pas, sans jamais avoir ressenti le besoin de se rendre sur place et de rencontrer les gens du quartier, ses électeurs, dénonce la lâche et violente agression que rien ne laissait prévoir, et réclame des sanctions dures et rapides. Et le PC de Pantin, qui parle de « déferlement de violence » réclame plus d’effectifs pour la police de proximité.
Entre les hommes politiques, c’est une véritable course à l’échalote : Qui sera le plus sécuritaire ?

4. Peut-on parler de « bavure médiatique » ?
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Oui. Soulevons plusieurs points :

- Les médias ont choisi de valoriser les déclarations de FO Police plutôt que celles de la direction de la police nationale, données dans le premier communiqué de Reuters, beaucoup plus neutres.

- Les 24 et 25 juillet, on retrouve les mêmes sources policières dans tous les médias, sans qu’apparaissent jamais la question : Comment le savez vous ? Vous y étiez ? Qui vous l’a rapporté ?

- Plus grave, à partir du 25 dans la journée, on sait que les informations de FO Police sont fausses. On est assez près des évènements eux mêmes et des premiers articles pour qu’une mise au point énergique porte auprès de l’opinion publique. Cette mise au point - mise en cause ne sera jamais faite. Pire, la version FO est encore acceptée sans critique par de nombreux médias.

Prenons l’exemple de Libération, qui, le 26 juillet, après avoir rapporté la version des jeunes de la cité, donne la version policière « notamment de source syndicale » : traquenard, batte de base-ball, vengeance, tous les ingrédients des premiers communiqués FO. Et ajoute : « Les coups de battes de base-ball sont tombés sur trois policiers qui ont eu le ’tort’ d’interpeller un individu » résume l’UNSA Police.  » Le changement de source syndicale ne change rien. La version est toujours celle de FO. Comment se fait-il qu’elle ne suscite aucune question de la part du journaliste ?

Pour sa part, L’Humanité qui consacre le 26 juillet aux évènements son premier grand article sous le titre Chaos Pantin. Sous titre : « Le SGP-FO s’insurge et la droite récupère. » « On parle d’un contrôle d’identité qui dégénère... En fait, la veille, il y avait eu une interpellation et un deux roues avait été saisi » selon la police (revoilà la vengeance et le traquenard) . Les guillemets indiquent qu’il s’agit d’une citation, mais « la police » est un peu vague. Dans le paragraphe suivant, l’interlocuteur est mieux identifié : il s’agit de Gilles Petit, du SGP-FO 93, qui signale que « les jeunes sont tous connus des services de police » (donc, il ne sera pas très difficile de les arrêter tous, n’est-ce pas, monsieur Petit ? Ndlr) et souligne que « les policiers n’étaient pas équipés de flash-ball ». Gilles Petit, celui là même qui avait donné ce remarquable interview à FR3 régional quelques heures à peine après les faits.

Les médias, nous abrégeons, sont à partir du 26, de plus en plus prudents. D’autant que, le 26 juillet le parquet de Bobigny ouvre une information judiciaire pour « violences ayant entraîné la mutilation ou l’infirmité d’un fonctionnaire de police », écartant toute notion de préméditation, et donc de traquenard, guet-apens ou autre. Et semble prendre en compte essentiellement les blessures de la policière. Mais jamais, nulle part, une réflexion critique sur ce qu’a été cette manipulation, et comment elle a été relayée.

Jusqu’à cet article du Parisien du 30 décembre 2002 qui reprend : « Drame ... agression par une dizaine de jeunes... une policière passée à tabac... Karim...tombé inconscient après avoir reçu de nombreux coups... Des jeunes se jettent sur la jeune femme qu’ils rouent de coups avant de s’en prendre aux deux autres fonctionnaires  ». C’est purement et simplement la version policière de l’affaire. Ainsi ce journal a d’abord relayé la version guet-apens, batte de base-ball. Puis, lorsque celle-ci ne tient plus, la nouvelle version policière, sans les mots qui ont fait mouche auprès de l’opinion publique, mais en maintenant une vision des faits dont le journal verra bien, lorsque l’instruction sera finie, qu’elle n’a pas plus de réalité que l’autre. Rappelons qu’il n’y a aujourd’hui qu’un seul jeune mis en examen pour avoir porté des coups à un policier, après avoir lui-même reçu un coup de tonfa, et que ce jeune a toujours nié avoir touché à la policière.

5. Les conséquences.

Mais la diffusion de fausses nouvelles pendant deux jours, la façon dont les médias les ont relayées ne sont pas sans conséquences. Nous avons déjà évoqué les conséquences politiques. Mentionnons deux autres autres conséquences graves :

 Sur l’exercice du métier de policier, comme sur celui de juge. Le SGP-FO provoque un lynchage médiatique. Si les jeunes arrêtés au moment des faits avaient été jugés en flagrant délit, comme le souhaitait FO, ils auraient pu prendre jusqu’à dix ans de prison « sous la pression de l’opinion publique » et nous parions qu’ils les auraient pris. Le lynchage médiatique se serait transformé en lynchage judiciaire.

Dans le cadre d’un lynchage, la police n’a pas besoin d’enquêter, de récolter des preuves, elle se contente de désigner des coupables. Comment expliquer autrement quelques lacunes plus que regrettables de son travail ?

Exemple : Deux heures après les faits, elle arrête deux suspects. La jeune policière blessée a le visage en sang. Les vêtements des suspects (en particulier leurs chaussures, elle aurait été tabassée à coups de pied) ne sont pas conservés pour analyse. Pas plus que n’est analysé le tonfa (matraque) d’un des policiers dont un jeune s’est emparé, pour éviter de se faire exploser la figure d’après lui, pour massacrer la policière d’après les policiers. Là non plus, aucune analyse ne sera faite, qui aurait pourtant permis d’avoir des certitudes.

Autre exemple : La version FO parle de bandes de jeunes. Seuls deux jeunes sont arrêtés deux heures après les faits pour avoir participé à la bagarre. Il va falloir ensuite en trouver d’autres. Sinon, comment la version FO peut elle tenir ? Pendant plusieurs semaines, la cité des Pommiers sera systématiquement ratissée, de nombreux jeunes arrêtés, conduits au poste, mis en garde à vue avant d’être relâchés. Fabriquer des coupables, plutôt que de renoncer à son histoire.

 À travers ces campagnes médiatiques, la stigmatisation des jeunes de banlieue et de leurs « quartiers difficiles » est systématiquement poursuivie. La campagne de FO Police éveille bien des échos.

Le 24 juillet, quelque temps après le premier communiqué de FO, voici un communiqué officiel de la FPIP, syndicat de policiers français :

« Une dizaine de salopards - tous connus des services de police et sacrifiant à un sauvage rituel - ont dans la cité des Pommiers littéralement massacré les policiers venus les contrôler suite à l’usage de drogue... Il est plus que temps de restaurer l’autorité de l’Etat ! Nicolas Sarkozy et le Gouvernement viennent de faire l’expérience et prendre, nous l’espérons, la dimension des conditions dans lesquelles les serviteurs de l’ordre doivent garantir la Paix publique. La sauvagerie de l’agression dont ont été victimes trois policiers qui ne faisaient que leur devoir doit engager le pouvoir à dépasser les bonnes intentions exprimées à l’occasion des élections. » Les mêmes choses sont dites, plus brutalement.

 Aboutissement ultime : « SOS Racaille », qui écrit sur son site, en date du 26 juillet :

« Identité des cinq racailles. Trois flics agressés dont une femme : les racailles se déchaînent. Et bien, au cas où la justice ne serait pas assez sévère, voici les identités des quatre principaux responsables de cet exploit ». (Suivent cinq noms et leurs adresses).

Ce sont des menaces, pas voilées du tout, et qui font d’autant plus peur qu’elles ont été suivies de menaces de mort au domicile de la mère d’un des jeunes cités.

Sur ces cinq noms, au moins un, et probablement deux ne sont jamais apparus dans la presse. D’où SOS Racaille les tient-il, moins de deux jours après les faits ?

Ce même 26 juillet, quand la justice abandonne la thèse du traquenard, SOS Racaille, la FPIP et le SGP-FO ont le même réflexe : faire pression sur la justice.

« Au cas où la justice ne serait pas assez sévère » dit SOS Racaille, « la FPIP prévient ! Ces agressions intolérables doivent être sanctionnées sans faiblesse  » écrit la FPIP, et « sans préjuger de la décision indépendante du magistrat instructeur... les auteurs des faits sont passibles de la cour d’assises » déclare le SGP-FO le 26 juillet dans un communiqué officiel.

 
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Notes

[1Le titre « Juillet 2002 à Pantin : Guet-apens imaginaire et orchestration médiatique » est donc un titre choisi par Acrimed.

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