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A propos du prétendu guet-apens de Pantin : Lettre au Procureur de la République

Par le « Collectif droit, justice et citoyenneté à Pantin »

Nous publions ici la lettre adressée au Procureur de la République de Pantin par le Bureau du « Collectif droit, justice et citoyenneté à Pantin ». A lire : le dossier réalisé par le collectif

Collectif droit, justice et citoyenneté à Pantin

Paris, le 29 mars 2003

Monsieur le Procureur de la République de Bobigny
173, avenue Paul Vaillant-Couturier
93000 - Bobigny

Monsieur le Procureur,

Nous avons l’honneur, par la présente, de vous signaler des faits susceptibles d’être poursuivis en application de l’article 27 de la loi du 27 juillet 1881.

En effet, des fausses nouvelles ont été sciemment portées à la connaissance des médias qui les ont répercutés, entraînant ainsi un grave trouble à l’ordre public.

Voici les faits.

 Le 30 décembre 2002, le quotidien Le Parisien Libéré, dans un article consacré aux « faits marquants » de l’année, a publié dans son édition locale un article rappelant les événements survenus à Pantin, rue des Pommiers, le 24 juillet de la même année. L’article indique que « trois îlotiers (...) se sont fait agresser par une dizaine de jeunes du quartier », information fausse, en elle-même , qui renvoie à une série d’autres informations, publiées dans les jours qui ont suivi les faits proprement dit.

 Dès la survenue des évènements du 24 juillet 2002, le syndicat SGP FO a tenté d’influencer les médias en diffusant des fausses nouvelles, reprises par la presse écrite et télévisuelle. Vous trouverez ci-dessous une illustration des propos que nous avançons :

1. Dans une dépêche de l’agence Reuters, publiée à 16 heures 22 « un responsable de FO Police » déclare : « Les jeunes, qui avaient des battes de base-ball, se sont rebellés et se sont même emparés des bâtons de défense des policiers pour les frapper. » L’agence Reuters titre sa dépêche : « Trois policiers frappés à coups de battes de base-ball. »

2. L’AFP pour sa part axe sa dépêche sur : Trois policiers roués de coups, « de source syndicale policière ». Les trois policiers « sont tombés dans un véritable guet-apens a-t-on précisé de même source ». L’AFP cite ensuite « un responsable du syndicat général de la police (SGP-FO) », qui détaille le guet-apens : « Le policier qui vérifiait les papiers a été frappé à coups de poing au visage, de même que la femme stagiaire. L’autre collègue, un jeune adjoint de sécurité qui s’était esquivé pour alerter les secours, a été rattrapé puis roué de coups avec une batte de base-ball. Il est resté inanimé plus d’une demi heure. »

3. Au même moment, le SGP FO publiait un communiqué officiel commençant ainsi : « A 14 heures 30 trois policiers en VTT seraient tombés dans un traquenard, alors qu’ils circulaient rue des Pommiers, un groupe de jeunes leur aurait fait signe pour les appeler... » Dans le même communiqué, le SGP-FO fournit comme raison principale de ce guet-apens la vengeance. « Il est à noter que ces fonctionnaires ont procédé hier, 23 juillet 2002, à l’interpellation de ces mêmes jeunes, et auraient mis en fourrière un engin deux roues interdit à la circulation sur la voie publique. ». Ainsi, deux heures après les faits, le ton est donné, une version cohérente a été construite par le SGP-FO Police. Groupe de jeunes, battes de base-ball, traquenard, les mots clé sont lancés, et désormais, c’est à cette organisation que toute la presse va s’adresser pour obtenir des informations. Et les responsables FO ne vont pas se faire prier pour les décliner sur tous les tons.

4. Sur FR3, édition régionale du 24 juillet, Gilles Petit, secrétaire départemental (par intérim) du SGP FO, est interviewé. Il déclare : « Des collègues patrouillaient quand, sur leur droite, un groupe de 8 à 10 jeunes leur ont fait signe de venir. Les policiers se sont dirigés vers eux. Ils n’ont pas eu le temps de descendre de leur vélo et se sont fait agresser. Le fait que les jeunes leur aient fait signe me fait penser qu’ils avaient prémédité leur coup. » Ce témoignage de Gilles Petit sera repris dans le 19/20 de FR3 qui précisera que les trois policiers sont hospitalisés.

5. Sur TF1, France 2 et LCI, c’est Dominique Fagiolini, présenté comme secrétaire du SGP FO, qui s’exprime. Il reprend le traquenard sous des formes diverses (dix jeunes qui appellent les policiers sur LCI, plus prudent sur France 2 : peut être à coups de battes de base-ball, l’enquête le dira). TF1 titre : Des jeunes auraient agressé des policiers à coups de poing et de battes de base-ball.

Dès le 25 juillet, la presse écrite prend le relais des informations télévisées, et de façon souvent extrêmement violente.

6. Le Parisien après avoir titré : « Trois policiers roués de coups par vengeance » parle de traquenard et de lynchage. Mobile, « Selon nos informations, les jeunes auraient voulu se venger de la confiscation, la veille, d’une moto appartenant à l’un d’entre eux par des fonctionnaires du commissariat de Pantin. ’Ce guet-apens était prémédité, les jeunes avaient déjà leurs battes de base-ball’ confie un policier ». Suit un récit très complet, vivant, bien écrit, plein de rebondissements, et tout aussi imaginaire (qu’il ne nous appartient de discuter ici pour ne pas empiéter sur le travail en cours de la Justice) : « Yoann, Elisabeth et Karim se retrouvent cernés par un groupe d’une dizaine de jeunes gens. L’un d’entre eux s’empare du tonfa, la matraque de l’un des agents. Simultanément, la policière prend les premiers coups au visage, s’effondre, avant d’être tabassée à terre à coups de poing, de pied, et de batte de base-ball. Karim, adjoint de sécurité, entre dans une cour d’immeuble pour prévenir les secours. ’Je l’ai vu passer avec son revolver à la main, mais les autres lui ont sauté dessus avant qu’il n’ait le temps de réagir’ raconte un riverain. Plusieurs garçons le passent à tabac et le laissent inconscient au pied de l’immeuble. Il ne reprendra conscience que trente minutes plus tard grâce à l’intervention du Samu. Yoann réussit à mieux se protéger, mais était hier dans un très grand état de choc émotionnel. Elisabeth, elle, gît ensanglantée. ’Je lui ai porté des mouchoirs en papier pour qu’elle se nettoie le visage, raconte Jane, elle ne voyait plus rien.’ Cette gardienne de la paix stagiaire a été transportée en fin d’après midi à l’hôpital Lariboisière à Paris. ’Défigurée’ selon un témoin, elle souffre de trois fractures à la mâchoire, d’une autre à l’œil droit. La jeune femme a également perdu 14 dents. Rapidement une cinquantaine de policiers arrive sur place et cerne les accès de l’immeuble. Le témoignage de Yoann, confirmé par ceux des riverains, indique que les agresseurs sont cachés juste après la bagarre au 42 de la rue des Pommiers. Tous sont immédiatement identifiés ».

7. Le Figaro fournit également un récit coloré, mais dont les sources sont mieux identifiées. Origine des faits : un banal contrôle d’identité, selon un porte-parole de la direction de la police nationale. Pour la suite du récit, la source est nommée : « Dominique Fagiolini, responsable du syndicat général de la police (FO) en Seine Saint Denis, qui s’est déplacé sur les lieux. » (...) « Les insultes fusent, vite suivies de coups de pied et de poing. Les policiers sont débordés par une bande de plus en plus étoffée, dont plusieurs membres se trouvent mystérieusement armés de battes ». Là encore, la suite du récit est particulièrement précise. Et tout aussi sujette à caution que le début du récit. « L’adjoint de sécurité réussit à s’esquiver et alerte les secours, mais il est rattrapé puis cogné avec un bâton. Il restera inanimé pendant plus d’une demi heure. Pendant ce temps, ses deux collègues ploient aussi sous ce qui devient un passage à tabac en règle. Au point que le plus âgé tombe à terre. La jeune femme est blessée à l’œil et à la mâchoire. Pis, ’Ils se sont alors emparés du bâton de défense du chef de patrouille avec lequel ils se sont acharnés’ raconte Dominique Fagiolini...Ce n’est qu’après plusieurs minutes que les assaillants se volatilisèrent. »

8. Libération donne plus la parole aux jeunes des Pommiers. Le récit de l’incident semble cependant essentiellement policier. « Les policiers, cernés par un attroupement spontané. ’Un groupe leur est tombé dessus à bras raccourcis. Ils ont pris de sacrés coups.’ Certains auraient été portés à l’aide de battes de base-ball, mais aussi d’un tonfa dont est équipée la police, dérobé à cette occasion. »

9. Le Monde daté du 26 juillet est un peu plus nuancé. Il parle « d’une dizaine de jeunes dont l’un armé d’une batte de base-ball selon la police ». Plus loin dans l’article, la source sera mieux identifiée : c’est le lieutenant de police Rachid Azizi, chef du groupe recherche du commissariat de Pantin, qui parle de batte de base-ball.

Dès le 25 juillet, dès le lendemain des faits, la version FO Police apparaît pour ce qu’elle est : une construction sans rapport avec la réalité. L’un des policiers pris dans l’accrochage sort de l’hôpital, moins de 24 heures après y être entré, et dément la thèse du guet-apens et des battes de base-ball. Par la suite, les trois vététistes nieront toujours avoir parlé à aucun moment de batte de base-ball ou de guet-apens.

 De toute évidence, le SGP FO, s’est donné comme objectif de faire pression sur les hommes politiques et sur l’opinion publique dans le sens d’un renforcement de l’armement des policiers, de l’autonomie et du pouvoir des policiers. Les éléments suivants le montrent. Dans un communiqué officiel daté du 26 juillet, « le SGP FO se félicite qu’enfin le pouvoir en place donne, au travers de cette dramatique affaire, un signe fort aux fonctionnaires de la Police Nationale, lesquels ces dernières années se sont sentis abandonnés et non considérés ». Nicolas Couteau, présenté par la presse comme porte parole du SGP-FO, tire la morale des faits dans le Figaro du 25 juillet : « Si les policiers avaient disposé d’un flash-ball... ils auraient pu s’en sortir à moindre mal. »

Le 26 juillet, quand la justice abandonne la thèse du traquenard, le SGP-FO poursuit un objectif : faire pression sur la justice. Il prononce lui-même des réquisitions dans cette affaire puisqu’il écrit dans un communiqué officiel : « sans préjuger de la décision indépendante du magistrat instructeur... les auteurs des faits sont passibles de la cour d’assises ».

Les quatre éléments du délit de fausses nouvelles sont ainsi réunis.

_- La publicité (les arguments du syndicat SGP-FO ont été largement diffusés dans les médias).
_- Le caractère faux des nouvelles diffusées a été démontré par les premières investigations qui ont exclus toute notion de guet-apens de même que toute utilisation de batte des base-ball.
_- Le trouble à la paix publique car ces fausses nouvelles ont entraîné des ressentiments et désigné une catégorie de la population (les jeunes des cités) à la vindicte publique.
_- L’intention coupable de celles et de ceux qui ont voulu instrumentaliser la police et la justice, nourrissant ainsi les objectifs qu’ils se sont assignés.

Nous vous remercions de prendre toute disposition afin d’interrompre la prescription liée à ce délit et de nous tenir informés du suivi que vous avez donné à ce signalement.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Procureur, l’expression de nos sentiments distingué.

Pour le Collectif Droit, Justice et Citoyenneté à Pantin

(Suivent signatures et adresses de trois responsables du Collectif : Alexandre Bilous, Catherine Lévy et Marie-Noëlle Thibault)

 
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