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« Rétention de sûreté » : Le Parisien et Le Figaro récidivent

par Jean Pérès,

Le Parisien (75% Amaury, 25% Lagardère) et Le Figaro (100% Dassault) s’étaient déjà distingués, il y a peu, en interprétant d’une manière plus que tendancieuse et déjà très favorable au gouvernement le contenu du projet de loi sur la Rétention de sûreté au moment de sa discussion à l’Assemblée nationale et au Sénat, comme on peut le lire ici même sous le titre : « Information ou instrumentalisation ? Le Figaro, Le Parisien et les criminels récidivistes »

Les deux quotidiens continuent dans la même voie en contribuant à la propagande du Ministère de la Justice et du Président de la République en faveur de la rétroactivité de cette loi. Alors que Le Parisien utilise dans ce but un document « secret » qu’il fait mine d’avoir subtilisé au ministère de Rachida Dati. Le Figaro publie un sondage aux questions biaisées sensé démontrer l’adhésion de l’opinion publique à la position du pouvoir en place.


I. Le « scoop » du
Parisien  !

Le Parisien du 21 février 2008 annonce en « une » : « 32 criminels sexuels bientôt libérés » et juste en dessous, en très gros caractères : « La liste secrète de la justice ».

En page 3, on trouve, en fac-simile, un extrait de cette « liste secrète » qui offre aux lecteurs du Parisien trois noms ; en fait, trois prénoms puisque les noms ont été délicatement recouverts de blanc, on ne sait par qui du Ministère de la Justice ou du Parisien. En face de ces prénoms, les « infractions » (un « viol en récidive » et deux « avec arme »), le « type de victime » (« majeurs »), les lieux de condamnations et les peines prononcées (« 15 ans », « 20 ans », « 18 ans » ), un « Résumé des faits » plutôt succinct, en quelques lignes : un viol 5 mois après sa libération au terme de 5 ans de prison pour le récidiviste, 9 viols en 3 ans et 2 tentatives pour le deuxième, et agression suivie de viol à la sortie du RER de « plusieurs victimes » avec menace à l’arme blanche en une année pour le troisième. Enfin, dans une troisième colonne, la « date prévisible de libération » (« 7 décembre 2008 », « 2 avril 2010 », « 19 mai 2009 »).

Seulement, pour le deuxième, est fait mention de l’effet des années de détention carcérale : «  selon l’administration pénitentiaire, il ne cache pas ses intentions de récidiver à la sortie  » [souligné dans le document] Ce genre d’ « information » délivrée par une anonyme « administration pénitentiaire » est aussi grave qu’invérifiable. Ce qui n’empêche pas un Etienne Mougeotte, dans son éditorial du Figaro du 25 février 2008, de désigner sans vergogne à la vindicte publique « Ceux qui, dans les mois et les années qui viennent, vont sortir, alors qu’ils sont des récidivistes en puissance et ne s’en cachent pas […] quelques dizaines d’individus prêts à violer, torturer et souvent tuer à leur sortie de prison ».

L’objectif de ce « scoop » est clair : mobiliser les lecteurs du Parisien et, au-delà, l’opinion publique, non seulement contre les criminels qui ont accompli leur peine et qui vont bientôt sortir de prison, mais surtout en faveur de la loi.

Basse propagande

Mais pourquoi publier cela ce 21 février ?

Le Parisien nous le dit en première page, mais en plus petits caractères : «  Le Conseil constitutionnel se prononce aujourd’hui sur la loi Rétention de sûreté, destinée à lutter contre la récidive ». Il nous le répète en deuxième page dan le chapô de l’article titré « Que faire des criminels en fin de peine ? » : « Justice. La chancellerie a établi une liste confidentielle de 32 détenus, auteurs de crimes sordides, dont la libération est prévue dans les trois ans. Un document explosif à l’heure où le Conseil constitutionnel examine la loi controversée relative à la rétention de sûreté ». Dans le corps de l’article de tête est explicité le sens de la publication de la liste : « “ Une façon, estime la chancellerie, de placer les membres du Conseil constitutionnel devant leurs responsabilités . Une manière aussi de “ leur montrer, à l’aide d’histoires singulières, que ce que nous proposons a une nécessité immédiate ”. »

Il s’agit donc bien, de l’aveu même du ministère (tel qu’il est rapporté par Le Parisien) de faire pression par la publication de cette liste – qui n’avait donc aucune vocation à rester secrète, bien au contraire - sur le Conseil constitutionnel, contrairement à ce que prétend – sous une forme interrogative le porte-parole du ministère de la Justice, Guillaume Didier, lorsqu’il déclare : « Qui peut penser que le Conseil constitutionnel puisse être soumis à des pressions ? [1] » (Reuters, 21/02/2008)

Manifestement, Le Parisien agit en auxiliaire d’une opération de propagande. En effet, le Conseil constitutionnel doit décider le 21 février précisément, jour de la publication de cette liste par Le Parisien, si la loi Dati sur la rétention de sûreté est ou non conforme à la constitution, le point le plus controversé étant celui de la rétroactivité de la loi, c’est-à-dire de son application à des actes commis avant qu’elle soit adoptée. Or, c’est bien sur ces cas de prisonniers libérables et « potentiellement dangereux » que porte toute la mise en scène du Parisien. L’accent mis sur l’horreur des crimes commis, sur leur caractère sexuel (alors que la loi ne vise pas spécifiquement les criminels sexuels), sur la dangerosité supposée des personnes recensées sur la « liste confidentielle », tout ce qui est mis en exergue par le journal vient en soutien de la position gouvernementale. Sans doute, des positions opposées sont citées, même plus que succinctement, comme il convient à une information qui veut se donner une apparence d’objectivité, mais la position dominante ne trompe personne.

D’où la colère des adversaires de la loi que l’Agence Reuters présente ainsi le même jour : « La publication jeudi par le journal Le Parisien d’une liste de 32 criminels sexuels [ce qui est faux, seuls 3 cas sont publiés] , établie par le ministère de la Justice, censés être concernés par la “ rétention de sûreté ” imaginée [sic] dans un projet de loi en cours d’examen a suscité l’indignation des syndicats de magistrats. Ils y voient une manipulation et une tentative de pression. Cette publication des profils de 32 détenus [toujours faux] en fin de peine, illustrée de reproductions de documents officiels, est intervenue à quelques heures d’un arrêt du Conseil constitutionnel sur ce projet de loi » (Reuters, 21-02-2008).

Une coopération parfaite

Si Le Parisien insiste beaucoup sur le caractère « confidentiel » de cette liste qu’il « s’est procurée », on ne peut pas en dire autant des autres acteurs.

Le Ministère de la Justice, qui devrait normalement manifester quelque irritation qu’un document réalisé par ses services soit, a son insu, communiqué au public, ne bronche pas. Au contraire, son porte-parole, Guillaume Didier, vient en confirmer l’authenticité dans les colonnes du quotidien : « Il se peut très bien que, parmi ces personnes, certaines ne soient pas placées dans des centres de sûreté ». Quant aux nombreux médias qui ont repris le « scoop », ou plutôt une dépêche de l’agence Reuters le relatant, aucun d’entre eux ne se demande comment et pourquoi le hardi Parisien s’est procuré ce « document confidentiel ». En somme, la coopération entre le ministère de la Justice et Le Parisien semble aller de soi, ne choque personne, n’est même pas relevée.


II. Quand
Le Figaro sonde

Or le Conseil constitutionnel, le jour même de la parution du « scoop » du Parisien a censuré partiellement, en considérant que la rétention de sûreté « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait quelle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l’objet d’une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ». Et Nicolas Sarkozy au nom de la défense des victimes potentielles s’est engagé… à essayer de contourner la décision du Conseil constitutionnel.

Dès le 25 février, Le Figaro demande par conséquent à l’IFOP de madame Parisot, patronne du Medef, de sonder sur la même question une opinion déjà si bien préparée par la propagande du Parisien et du ministère de la Justice associés, et confortée par les déclarations présidentielles.

Et le 26 au matin, Le Figaro claironne en gros caractères : «  Criminels dangereux 80% des Français approuvent Nicolas Sarkozy ». Et à nouveau en page 9 : «  Criminels dangereux  : les Français pour la rétention de sûreté ». Cité dans l’article de tête, Jérôme Fourquet, directeur adjoint du département d’opinion publique à l’IFOP déclare au Figaro que « L’adhésion au texte est portée par la certitude que la mesure peut éviter des crimes. ». Il présente ainsi comme un résultat de son sondage ce que, dans les questions posées, il n’a jamais mis en doute.

Dangereux ?

Le sondage comporte trois questions.

La première question, demande crûment aux sondés s’ils approuvent « la mesure, récemment adoptée par le Parlement, visant à instaurer le principe d’une rétention de sûreté ». Passons sur la précision de l’adoption par le Parlement qui prédispose favorablement le sondé et sur l’expression « instaurer le principe » alors qu’il ne s’agit pas d’instaurer le principe mais la réalité de la rétention de sûreté. Avant de répondre à cette question, le sondé qui n’est pas ou peu au courant de cette loi lira sans doute les questions suivantes.

La deuxième question affirme que les criminels visés par la loi « représentent à l’issue de leur peine une probabilité élevée de récidive » , et la dernière question évoque des « criminels toujours dangereux à l’issue de leur peine ».

L’affirmation de la dangerosité des criminels en fin de peine intervient à deux reprises et dans deux questions sur trois pour les sondés et à deux reprises dans les titres du Figaro.
Or, justement, une des questions faisant l’objet de vifs débats porte sur le fait qu’il est très difficile, voire impossible de savoir, notamment pour des psychiatres, si ces condamnés sont dangereux ou pas à leur sortie de prison, et que cette incertitude doit être mise en balance avec l’atteinte aux libertés que constitue le maintien en détention de prisonniers qui ont accompli leur peine.

Mais si on martèle, comme le fait le sondage du Figaro-IFOP, et Le Figaro lui-même, que ces prisonniers sont après leurs années de prison «  toujours dangereux  », le citoyen sondé et le lecteur ne peuvent que souhaiter que ces dangereux individus soient neutralisés. Et quand Jérôme Fourquet déclare que « L’adhésion au texte est portée par la certitude que la mesure peut éviter des crimes », on peut lui répondre que l’adhésion au texte est plutôt portée par la formulation des questions du sondage.

« La réponse est "oui ”. Mais quelle était la question ? » (Woody Allen)

Pour enfoncer le clou, relevons le résultat le plus remarquable de ce sondage : 81% des sondés sont « d’accord » avec la phrase suivante : « La rétention de sûreté va diminuer le taux de récidive en maintenant en détention les criminels toujours dangereux à l’issue de leur peine ».

Faute de préciser de quelle récidive il s’agit, la question, telle qu’elle est posée, ne porte pas sur un quelconque effet dissuasif sur des criminels considérés comme moins dangereux : l’IFOP, Institut Français d’Opinion Publique, demande à des citoyens s’ils pensent que les criminels dangereux commettront moins de crimes si on les maintient en détention. La seule réponse possible à la question ainsi entendue est évidemment « oui », puisqu’ils seront enfermés ! Pourtant, d’après les résultats du sondage, seuls 37% des sondés sont « tout à fait d’accord » avec cette phrase, tandis que 44% sont « plutôt d’accord », et il se trouve même une étonnante proportion de 19% de « l’échantillon représentatif » qui ne sont « pas d’accord ».

On peut s’interroger sur la question à laquelle les sondés ont cru répondre quand ils ont déclaré qu’ils n’étaient « pas d’accord ». Ou plutôt sur le degré d’attention avec lequel ils ont rempli le questionnaire (il s’agit d’un sondage par « questionnaire auto-administré en ligne », c’est-à-dire rempli par les sondés sur Internet), ou encore sur la manière dont les opinions politiques des personnes sondées interfèrent avec leur compréhension des questions posées. Mais on s’interrogera surtout sur le sérieux d’un sondage qui élabore de telles questions ; et même sur l’ensemble d’un dispositif qui produit de telles absurdités.

Le résultat affiché de ce questionnement subtil est de faire passer pour des partisans de la rétention de sûreté tous ceux qui pensent qu’elle va réduire le nombre de récidivistes, ce qui est difficilement contestable. La critique de la loi porte en effet sur la légitimité de la rétention, pas sur son efficacité qui est aussi certaine que le serait la castration systématique de tous les délinquants sexuels considérés comme dangereux pour les empêcher de récidiver. On ne doute pas que dans cette dernière hypothèse, l’IFOP poserait la bonne question : « Etes-vous tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord, ou pas du tout d’accord avec cette phrase ? “La castration va diminuer le taux de récidive des délinquants sexuels ”. Et Jérôme Fourquet pourrait à nouveau affirmer : « L’adhésion au texte est portée par la certitude que la mesure peut éviter des viols. »

Du côté du Parisien, la publication limitée à trois cas extraits d’un document ministériel avec mise en scène du caractère « secret », « confidentiel » de ce document, du côté du Figaro, la publication d’un sondage aux questions orientées au-delà des limites de la décence. Pourquoi tant de peine ? La loi Dati ne serait-elle pas défendable avec des arguments rationnels ? Et le principe de la non-rétroactivité des lois ne mérite-t-il pas ce travail de « pédagogie » que tant de commentateurs invoquent à tout propos ?

Jean Pérès

 
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Notes

[1La phrase joue sur l’ambiguïté de l’expression « être soumis à des pressions » dans ce contexte où elle peut signifier “ »être l’objet de pressions » ou bien « céder à des pressions ». Alors que l’on peut affirmer, pour flatter son indépendance, que le Conseil constitutionnel ne cèdera pas à des pressions, il ne dépend aucunement de lui qu’il en soit l’objet ou non. Mais ainsi tournée, la phrase laisse entendre que, comme le Conseil constitutionnel est supposé imperméable aux pressions, le ministère n’en a pas exercé. Ce qui manifestement faux.

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