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Vrais catalogues, faux magazines : la presse féminine sort ses « magalogues »

par Véronique Maurin,

Une nouvelle génération de « féminins » est en train de s’implanter en France ! En quête de nouveaux créneaux pour une rentabilité maximum, trois grands groupes industriels de la presse féminine lancent leurs « magalogues ». Entre « magazine » et « catalogue », ce « concept marketing » s’affirme d’entrée de jeu et clairement en totale contradiction avec les règles et les principes essentiels du monde de la presse [1].

Shopping : le « magalogue » de Prisma est apparu en mai 2003. Il se positionne comme le « premier magazine de shopping de France. Mods, celui du Groupe Marie Claire sortira le 15 février 2004 et se présente comme un magazine bimestriel de shopping « premier guide de mode et de beauté haut de gamme ». Quant à Glamour, celui de Condé Nast France, il est attendu pour le 15 mars.

Pour la première fois en France, sans provoquer la moindre réaction, le moindre scandale, des éditeurs de la presse magazine sont en train de mettre sur le marché, des catalogues entièrement dédiés à la consommation et qui, grâce à leur « label » de « magazine », présentent l’avantage d’être payants pour les annonceurs comme pour les lectrices !

Des catalogues payants !Des magazines qui n’ont plus besoin de faire de place au « journalisme ». Dans le numéro 3 de Shopping, hors consommation, il n’y a plus ni article, ni information, investigation, interview ou de reportage. Et dans l’ours à part une rédactrice en chef adjointe, la rédaction ne comporte que des spécialistes mode, beauté, déco....

Alerte et questions (1)

Comment ne pas s’indigner qu’un tel catalogue payant ait pu obtenir l’agrément de la commission paritaire ? A ce titre, et au nom de la liberté d’expression et du pluralisme, ces catalogues payants, sont distribués par les MNPP, mais aussi et surtout ils bénéficient des aides directes et indirectes attribués de la presse. Quelle ironie, quel scandale, quelle honte ! Pour garantir la liberté de la presse, ces catalogues payants sont tout bonnement aidés, subventionnés par l’ensemble des contribuables français. Les voilà exonérés de la taxe professionnelle, et bénéficiant d’un taux de TVA à 2,1%, et d’avantages fiscaux, ainsi de de réduction pour leurs tarifs postaux ou SNCF. Un beau pactole !

Jusqu’à quand les avantages prévus pour garantir une véritable presse d’information, de plus en plus en péril, de plus en plus menacée, vont-ils être détournés au bénéfice de grands groupes industriels ?

A l’heure où la notion d’auteur est menacée, ou le statut et la déontologie des journalistes se font de plus en plus floues, ne faut-il pas refuser que des spécialistes en communication, en marketing bénéficient de la carte de journalistes professionnels ?

Le vrai visage de la presse féminine

Finalement le seul avantage, si l’on peut dire, de ces « magalogues » est qu’ils dévoilent le vrai visage de la presse féminine. Sans plus chercher à se cacher derrière des alibis vaguement féministes ou sous une soit disant complicité féminine, intime et toujours réactionnaire, la presse féminine, avec ses « magalogues », se pose clairement comme une presse entièrement soumise à des intérêts privées, comme un outil au service d’une idéologie archi libérale, celle de la consommation forcenée et à tout prix.

Une trahison et une catastrophe les femmes. Face à une société paradoxale et contradictoire, qui proclame l’égalité des sexes alors que les droits des femmes sont de plus en plus menacés et que leur situation économique régresse, les femmes n’ont plus ni repères ni relais, ni soutien. Pas plus du côté des féminins que du côté des autres médias.

Et une plaie pour toute la presse. Réservés pour le moment à la presse féminine, ces « magalogues » qui n’ont plus rien à voir ni avec la presse, ni avec le journalisme, risquent fort en cas de succès, de faire des petits dans toute la presse magazine.

Alerte et questions (2)

Qui oserait affirmer que les lectrices en se détournant de cette presse, pouvaient être les seules à la mettre en échec ? Comment ignorer le pouvoir de séduction dont dispose la presse féminine ? Comment ignorer qu’en dépit de tous ses titres, de son apparente extraordinaire variété, toute la presse féminine d’aujourd’hui fonctionne selon trois mécanismes bien rodés : séduction, distraction et manipulation. Et alors qu’une grande partie des femmes se détourne de ce secteur de presse, forte du revenus de ses annonceurs, la presse féminine parvient non seulement à survivre mais plus encore à maximaliser ses profits. Un paradoxe, un miracle ? Non une réalité !

Faisons ensemble les comptes du prestigieux Marie Claire. Après avoir attiré plus d’un Million de lectrices dans les années soixante, il fonctionne aujourd’hui, avec profit et bénéfice, avec 400.000 lectrices, soit 7,5% de moins qu’en 97. Avec un prix kiosque à 2E50 les 400.000 lectrices de Marie Claire rapportent mensuellement 1ME. Mais avec leurs 130 pages de pub mensuelles, à 31.000E la page les annonceurs rapportent aux : 4.000.000 E.

Rendez- vous compte : chaque mois les annonceurs de Marie Claire rapportent quatre fois plus que ses lectrices ! Alors quiconque persiste à considérer que les femmes sont défendues, soutenues par la presse féminine se leurre complètement. La presse féminine, avec ou sans « magalogue », est à l’entière disposition de ses clients principaux : les annonceurs. Des clients prioritaires et de plus en plus exigeants.

Et les annonceurs ne s’intéressent guère aux femmes qui lisent ni à celles qui achètent les féminins. Plus que le score de diffusion, c’est le score d’audience des magazines qui dicte leurs choix. Ils recherchent par dessus tout, des « feuilleteuses », celles qui chez une amie ou chez le coiffeur, tournent les pages et gobent sans même le savoir les images et les messages des grandes marques. Et si aujourd’hui encore Marie Claire demeure le chouchou des annonceurs, c’est qu’en terme d’audience, avec ses trois millions de « feuilleteuses » mensuelles, il est compte encore parmi les meilleurs des féminins. Une aubaine pour les grandes marques de mode, de parfums et de cosmétiques.

Et les « magalogues », ces nouveaux produits marketing, dans lesquels il n’y a plus rien ni à lire, ni rien qui informe ou fait réfléchir, sont tout simplement une « presse » faite par et pour les annonceurs. Qui souhaitent par dessus tout que les femmes ne soient plus que des consommatrices « feuilleteuses » pressées. Pour le plus grand profit des grandes marques de mode, de parfums et de cosmétiques.

Alors que faire ? De quelles armes disposons-nous pour que les femmes ne puissent plus être dupes ? De quelles armes disposons nous, pour que les annonceurs et les éditeurs respectent les règles de la presse et les journalistes ? Prises au piége, elles aussi, de plus en plus de journalistes de la presse féminine sont en alerte, doutent et s’interrogent. Demain peut-être elles oseront prendre la parole. Pour dénoncer une presse aux ordres, une presse qui manipule et qui ment.

Véronique Maurin

Lire également :"De la puissance de la presse féminine"

 
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Notes

[1Première version : 5 décembre 2003, complétée et corrigée le 6

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