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Schneidermann : censuré volontaire

par Michel Ducrot, Patrick Lemaire,

Un sujet d’ " Arrêt sur images " est déprogrammé par la direction de France 5. Daniel Schneidermann approuve.

" Jean-Pierre Cottet, le patron de France 5, a décidé de déprogrammer l’émission de Daniel Schneidermann, qui devait être consacrée, dimanche prochain, aux ratés du traitement télé de l’affaire Alègre " rapportait Libération vendredi 12 septembre 2003 dans un article intitulé « "Arrêt sur images" censuré ». " Raison officielle : Arrêt sur images ne respectait pas son format habituel, alternance de reportages et d’invités en plateau. Il consistait cette fois en un long reportage de 45 minutes. En plus, selon la direction de la chaîne, ce "documentaire" n’était pas d’actualité.
Crainte d’indisposer Baudis en remettant l’affaire Alègre sur le tapis ? Selon nos informations, il s’agissait surtout pour Cottet de ne pas se fâcher avec France 2 : le reportage d’Arrêt sur images mettait en cause une de ses journalistes. "

Quelques heures plus tard, on apprend par Le Monde (daté 13 sept.) que Daniel Schneidermann, " le producteur, par ailleurs chroniqueur au Monde, a confirmé qu’il "ne s’estime pas censuré" par France 5 "qui n’a pas vu le documentaire". Le directeur général de France 5, "Jean-Pierre Cottet m’a donné des bonnes raisons. J’ai donc accepté de déprogrammer le sujet", a-t-il précisé. Pour M. Cottet, ce documentaire s’éloignait du principe de l’émission " (cf. "Arrêt sur images" annule un sujet sur l’affaire Alègre).

Mais, dans l’après-midi, le site du Nouvel Obs affirme, lui, que " contrairement à ce qu’affirme la chaîne publique, la déprogrammation de l’émission "Arrêt sur images" spécial Affaire Alègre n’est pas simplement due à un problème de format. La mise en cause de journalistes de France 2 a légèrement agacé Olivier Mazerolles " (cf. "Arrêt sur images" : France 5
recule devant France 2
).

Censure ?

Selon la version officielle, " on ne peut pas parler de censure quand on sait que la direction de France 5 a pris sa décision en accord avec Daniel Schneidermann et, qui plus est, sans avoir visionné l’émission auparavant ".

" La réalité est différente ", poursuit " le Journal permanent du Nouvel Obs " :

" Nouvelobs.com est en effet en mesure d’affirmer que France-Télévisions a bel et bien tenté de déprogrammer le documentaire. A l’origine de l’affaire, une demande d’interview adressée à Olivier Mazerolle par l’auteur du reportage (d’ "Arrêt sur images"), Mickaël Richard. A la réception de ce fax, le directeur de l’information de France 2, Olivier Mazerolle, a modérément apprécié que les limiers d’"Arrêt sur Images" s’intéressent aux errements de la ligne éditoriale de sa chaîne, notamment l’affaire du témoignage de Djamel, un travesti mythomane complaisamment interviewé au journal de 20 heures du service public. Mazerolle a donc fait part de sa mauvaise humeur à Marc Tessier, le super-patron de France-Télévisions… qui a transmis son courroux à Jean-Pierre Cottet, responsable de France-5. Arguant du fait que la diffusion d’un documentaire serait mal venue dans un magazine de plateau et que le sujet Alègre n’était plus dans l’air du temps, Cottet s’est donc opposé à la diffusion du sujet ce dimanche.
Mais voilà, la direction de France-Télévisions a aussi cru bon de se vanter de ce fait d’arme auprès de Camille Pascal, secrétaire général du CSA et bras droit de Dominique Baudis. Stupeur du Président du CSA, qui voyait plutôt d’un bon œil la diffusion d’un 52 minutes critiquant l’emballement médiatique autour de l’affaire ! Et l’ancien maire de Toulouse, qui témoigne dans le documentaire, de rappeler l’auteur pour l’assurer qu’il n’était pour rien dans la "censure"… "

Version confirmée le lendemain, samedi 13 septembre, par Libération, sous le titre "France 5 censure une émission sur l’affaire Alègre".

" Un tel imbroglio en dit long sur l’esprit de cour de certains des responsables de France-Télévisions ", relève le site du Nouvel Obs. Dont l’ironie épargne néanmoins Daniel Schneidermann quand il nie toute censure, dédouanant ainsi la direction de France 5...

La contradiction n’est pas mince, et l’animateur d’ " Arrêt sur image " est contraint de réagir. Interpellé sur le site Internet de l’émission, il donne, ce même 12 septembre à 18h16 [1], une version plus conforme à celle rapportée par le site Nouvel Obs :

" Vendredi dernier, après le tournage où je venais d’annoncer la spéciale Alègre pour la semaine suivante (celle-ci), Jean-Pierre Cottet, directeur général de France 5, m’a appelé. Il était contre, pour deux raisons : d’abord, pas d’actualité sur le sujet, ensuite risque avec une émission toute en images de désorienter les télespectateurs de retour de vacances, qui n’étaient pas encore réhabitués à leur émission préférée. J’ai trouvé ces deux arguments recevables, et j’ai accepté de reporter l’émission, après que JPC m’ait confirmé par écrit qu’il n’avait évidemment aucune objection de principe à des prolongements documentaires de notre travail, sur ce sujet comme sur d’autres, à l’intérieur ou à l’extérieur du magazine.
Voilà tout ce que je sais de première main. Le lendemain mercredi, Dominique Baudis m’a appelé (après avoir appelé Michael Richard, auteur de l’enquête), pour m’affirmer qu’il n’était pour rien dans cette déprogrammation, et m’informer que son directeur de cabinet au CSA avait reçu plusieurs coups de fil, dont un de Marc Tessier, président de France Télévisions (et supérieur de JPC), l’informant de l’épisode, en pensant manifestement lui faire plaisir.
Bien. Qu’en déduire ? Qui a demandé à qui d’appeler qui ? Cette enquête me parait compliquée, et moyennement intéressante. J’ai plutôt tendance à faire confiance à la bonne foi de JPC, qui respecte totalement notre liberté depuis son arrivée (comme ses prédecesseurs d’ailleurs), et qui doit pourtant en entendre sur nous de vertes et de pas mûres dans les réunions du haut Etat major de France Télévisions. Qu’une nervosité particulière se soit exprimée à France 2 ou ailleurs à propos de cette émission-ci, c’est possible, mais je n’ai pas davantage de précisions, et j’ai pour habitude de ne répondre qu’aux arguments qu’on formule devant moi. Voilà.
Evidemment (et c’est la seule chose qui compte), ce travail remarquable de Michael Richard sera programmé très vraisemblablement la semaine prochaine, à moins de très forte actualité médiatique (je ne veux plus donner de date. Chat échaudé...) "

Ne doutons pas que les deux arguments de Jean-Pierre Cottet que Daniel Schneidermann a trouvés recevables tomberont d’eux-mêmes la semaine prochaine :
- une semaine après la convocation de Dominique Baudis par le juge, le sujet sera davantage d’actualité qu’aujourd’hui.
- les téléspectateurs seront complètement réhabitués à leur émission préférée…

Mais, si l’on se souvient qu’il n’en est pas à sa première dénégation, on peut trouver le " justicier " dominical du PAF pour le moins magnanime avec la censure.

En mars 2003, au plus fort de la polémique sur le livre de Pierre Péan et Philippe Cohen La Face cachée du Monde, il avait nié, ici-même, qu’une de ses chroniques dans Le Monde Télévision avait été victime d’une censure de la part de la direction du quotidien (cf. Le Monde censure Daniel Schneidermann et Le Monde : la chronique censurée de Daniel Schneidermann).
Daniel Schneidermann expliquait déjà que la modification s’était faite " à la demande de la rédaction en chef, après négociations avec moi " (cf. Deux précisions de Daniel Schneidermann) [2].

(Actualisation du 21 septembre 2003)

A défaut du reportage de 45 minutes initialement prévu pour le 14 septembre, l’émission d’ "Arrêt sur images" du 21 septembre a été consacrée à " l’affaire Alègre ".
Dans son " format habituel ".

 
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Notes

[1Le lien est désormais « mort » ou « introuvable » (Acrimed, 2009).

[2A propos des liens, dans les années 80, entre le reporter chargé de suivre la police, Edwy Plenel, et le dirigeant du principal syndicat de policiers, Bernard Deleplace, Schneidermann avait écrit initialement :
" Le Plenel de la période Deleplace, le signataire de ces lignes l’a côtoyé. Il traversait en trombe notre bureau des reporters, rue des Italiens, son papier à la main, pour faire irruption dans le bureau des chefs, sur le coup de 10 h 30, toujours à la limite de l’heure du bouclage (fatidique heure de bouclage, hier comme aujourd’hui). On ne savait jamais s’il avait enquêté jusqu’à la dernière seconde, ou s’il s’agissait d’une ruse plenélienne pour éviter que l’article soit relu de trop près par les chefs. Les chefs tempêtaient, mais publiaient le papier. Pas le choix. L’investigation n’attend pas.
Quand Plenel traversait ainsi le bureau en trombe, l’œil fiévreux, c’était généralement parce qu’il tenait une interview de Bernard Deleplace. Ou une tribune libre de Bernard Deleplace. Ou le compte-rendu d’un congrès policier de Deleplace. Les reporters protestaient. Non qu’ils sousçonnassent quelque obscure turpitude, mais pour des raisons plus pragmatiques : les comptes-rendus des activités deleplaciennes leur en prenaient, à eux, de la place, dans les colonnes forcément limitées du journal. " (cf. Le Monde : la chronique censurée de Daniel Schneidermann).

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