Accueil > (...) > Lu, vu, entendu

Lu, vu, entendu : « A vendre et à déguster »

Quelques merveilles de l’indépendance. Quelques miettes des grands débats.

I. A vendre

 Journalistes à vendre ? L’« Agence conseil en personnalités » GlamSpeak annonce (sur la page d’accueil du site) : « Nos clients sont des entreprises, institutions, associations, agences conseil en communication événementielle, communication corporate et relations publiques, agences de marketing services et de publicité, producteurs et agences de casting. » Et précise [1]

« Nos clients :
- 40% : agences d’événementiel pour des conventions, séminaires, lancements de produits.
- 40% : annonceurs pour des conventions, séminaires, lancements de produits.
- 10% agences corporate et de relations publiques pour des conventions, séminaires, lancements de produits.
- 10% : agences de publicité pour des campagnes publicitaires.

Les personnalités que nous mandatons pour nos clients :
- 20% : animateurs télévision.
- 05% : comédiens, chanteurs.
- 30% : journalistes.
- 15% : sportifs.
- 30% : universitaires, sociologues, consultants. »

Nous l’avions déjà signalé (Lu, vu, entendu n°23 : « Scories »), le site « GlamSpeak » propose des locations/ventes de journalistes. Jean-Marc Sylvestre est l’un d’entre eux, mais il n’est pas le seul. La journaliste Eglantine Denjoy, chroniqueuse dans l’émission de TF1
« Les coulisses de l’économie », animée par... Jean-Marc Sylvestre, est, elle aussi, proposée en location, avec quelques autres professionnels des médias, dont Jean-Michel Aphatie, « un journaliste multi-cartes, capable d’exceller tant au niveau de l’écrit, de l’oral ou du visuel ».

« Ménages », mes beaux « ménages » ...

 Journalistes à acheter ? Un site (désormais périmé, 30-12-2012)- « Berman et Associés Conseil, Agence en communications » présente trois Agences : « Together », « C’est dit, c’est écrit ! », et « Télévision & Co ». « C’est dit, c’est écrit ! ». Passons sur la première. Restent les deux autres :

- « Bureau de presse et Relations Publiques [...] l’agence « C’est dit, c’est écrit ! » voit le métier des Relations Presse comme un véritable investissement au long cours . Régulièrement, à l’année, l’agence développe des opérations de Relations Presse qui visent à véhiculer de façon permanente au travers de la presse toutes les informations concernant l’identité d’une entreprise et renforcer la notoriété et l’image de ses produits et services. »

- Télévision & Co se présente : « Notre métier : La médiatisation TV. Elle permet d’ initier des reportages dans les émissions magazines et les journaux télévisés sur toutes les chaînes (chaînes hertziennes ou câblées en national et régional). Il s’agit de convaincre les journalistes de tourner un sujet porteur des bons messages que l’entreprise souhaite faire passer. La puissance et l’efficacité de ce média donnent aux reportages diffusés un impact inégalé . [...] Notre expertise du média télévision permet aux entreprises d’ apparaître clairement avec leurs messages grâce aux images , commentaires , prises de paroles (dans le respect des contraintes imposées par le CSA.) [...] Télévision & Co propose son savoir faire aux entreprises qui recherchent une opportunité supplémentaire de valorisation grâce à la force et à la magie du média télévision [...] Le savoir faire de Télévision & Co est unique. Il s’adapte à des stratégies de communication très différentes quelque soit la puissance du plan médias. Télévision & Co permet de prendre la parole en dehors des écrans publicitaires . Télévision & Co permet de prendre la parole en tant que référent dans son domaine d’activité. Télévision & Co permet de prendre la parole lorsque l’entreprise n’a pas les moyens d’investir dans les spots TV . [2]  »

  Indépendance à vendre ? A signaler, cette brève « sportive », parue sous le titre « Canal + se venge de l’Equipe » dans Libération du 1er avril : « La veille de la parution, le 25 mars, de l’enquête intitulée "Le dossier noir du PSG" dans l’Equipe magazine, Canal + a prévenu la régie publicitaire du journal sportif qu’il suspendait aussi sec ses publicités dans les titres du groupe jusqu’à nouvel ordre. L’hebdo relatait dans ce numéro des pratiques douteuses du club parisien durant la période 1998-2005. » Le chantage à la publicité est un sport comme les autres.


II. A déguster

 Un étrange Débat . Dans le Débat, n°139, mars-avril 2006, figure une chronologie des médias en France de 1953 à 2005. Elle est étrange : le livre de Schneidermann contre Bourdieu est cité, pas Les Nouveaux chiens de garde, dont l’impact fut sans doute plus grand ; Acrimed est présenté comme « un observatoire des médias d’extrême gauche », PLPL aurait été « mensuel, puis bimensuel, puis bimestriel », etc. Mais le plus drôle est l’item relatif au référendum sur le Traité constitutionnel européen. Texte intégral : « Le « non » au référendum sur le Traité constitutionnel européen, malgré un engagement massif des grands titres de presse pour le « oui », relance le débat sur le rôle des médias, la crédibilité des journalistes et la connivence des élites politico-médiatiques. « Les élites médiatiques ont une responsabilité », affirme Dominique Wolton, qui a dénoncé l’ « arrogance » de la presse nationale lors de la campagne. « Leur problème, c’est quand même d’être à l’écoute de la société, surtout quand on est au sommet de la hiérarchie ». » Il est certain que l’intervention de Dominique Wolton, héros patenté de la critique des médias, est ce qui a marqué les esprits...

 Plaisanteries ? Au cours d’un « chat » organisé le jeudi 30 mars 2006 sur le site du Nouvel Obs permanent, Jean-Louis Missika, prophète de La fin de la télévision (c’est le titre de son dernier livre) s’est laissé aller à de bouleversantes confidences.

- Question : - « Bonjour, pourquoi la recherche sur les médias est-elle si en retard par rapport à ses voisins européens ? »
- Réponse : - « Si vous avez suivi mes cours vous connaissez ma réponse : cette discipline en France a été accaparée par des bourdieusiens qui préfèrent l’idéologie et l’anathème à la recherche sérieuse et au débat d’idées. »

Sus aux « accapareurs » ! Mais sans anathème... La preuve :

- Question : - « Vous placez-vous dans la droite ligne de Bourdieu en ce qui concerne l’analyse des médias ? »
- Réponse : - « Il y a erreur complète sur mes idées, je suis un critique de Bourdieu, même si le concept d’imposition de problématique mérite d’être "sauvé".  »

Un concept « sauvé » par Jean-Louis Missika est forcément un bon concept.

 Secret des sources ? Marianne, 20 mai 2006, page 38, en bas droite. Une petite brève de rien du tout, anodine, intitulée « Besancenot regrette « Le Monde » de Plenel » est signée « Ph. C. » - comprendre Philippe Cohen.

Retranscription intégrale : « Depuis qu’Edwy Plenel a été licencié du quotidien Le Monde, l’hebdomadaire Rouge n’en finit plus d’éructer contre le quotidien du soir, ce journal « infect, odieux, insupportable ». « Que les progressistes, poursuit le journal de Besancenot, arrêtent d’acheter ce journal libéral à vernis de gauche ! Le Figaro, les Echos ou la Tribune suffisent à défendre Total ou les multinationales. » Voilà qui mettra du baume au cœur à Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, et à tous ceux qui, autour de lui, dénonçaient le « réseau trotskiste » de Plenel. »

Rien à dire. L’information est incisive, l’hebdomadaire de la LCR s’est toujours retenu de critiquer Le Monde, lorsque son directeur de rédaction était Edwy Plenel. Rien à dire sauf que... cette brève est très fortement inspirée d’une brève parue dans Le Plan B, n°2, sous le titre « Besancenot ne lit pas Rouge ». Le Plan B ? Une source trop peu recommandable pour un hebdomadaire recommandable tel que Marianne ? Nous avons connu Philippe Cohen mieux inspiré...

 Le conformisme ? Un « produit » de Bourdieu et Halimi. Le 27 mai 2006, Elisabeth Lévy consacre son émission, « Le Premier pouvoir » (France Culture, 8h10) aux écoles de journalisme, avec comme invité Hervé Brusini, directeur délégué à l’information de France 3. Ce dernier évoque notamment une « vacuité de la pensée » chez les journalistes. Et il est tellement question, durant l’émission, du conformisme des journalistes que Nicolas Weill, journaliste du Monde présent dans le studio, s’étonne : « Ce qui m’étonne dans le tableau que vous faites, finalement assez sombre, de la profession, c’est que j’ai entendu dire - et vous allez me confirmer, ou m’infirmer, si cette information est vraie - c’est que l’idéologie la plus en vogue chez les élèves d’écoles de journalisme, c’était, disons, une vision du journalisme mise en forme selon les théories de Bourdieu, que Serge Halimi était assez en vogue - celui qui a écrit Les Nouveaux chiens de garde qui est une critique en règle du journalisme. Alors comment ça se fait que ça produise ce que vous décrivez ? ». Bourdieu et Halimi « en vogue » dans les Ecoles du journalisme ? Vraiment ? Et cela « produit » le conformisme ? Nicolas Weill est décidément très subtil... Au point de susciter cette « réponse » extasiée d’Hervé Brusini : « Aaah, bonne question ! Peut-être parce que c’est tombé à côté de la plaque. Et que ça ne décrivait peut-être pas la réalité du concret de l’exercice même du journalisme. »

 Ebriété médiatique ? Les auditeurs de France Culture (oui ...Culture) on eu droit à une nouveau témoignage de l’indéfectible affection qu’Elisabeth Lévy porte à Acrimed [3]. Le samedi 29 avril 2006, l’émission a pour thème : « Vie et mort du CPE : crise politique, ébriété médiatique ? » Sans doute faut-il mettre au compte de cette ébriété cette affirmation de notre imprécatrice : « Acrimed, eux, voit quand même une espèce de mobilisation pro-gouvernementale qui est assez difficile à déceler. » Le droit de dire n’importe quoi, surtout quand on ne craint pas d’être contredite est le droit imprescriptible d’Elisabeth Lévy (du Service public...).

 Promesses tenues ? Le Parti socialiste n’a plus aucune excuse pour ne pas prendre l’engagement de mettre un terme à l’appropriation des médias par des groupes industriels qui dépendent des marchés publics. Et nul doute que s’il revient au gouvernement, il tiendra cette fois cet engagement, déjà pris en 1997 et oublié peu de temps après. La preuve : cette interview de Jean-Marc Ayrault, porte-parole du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale, sur France Inter le 15 mai 2006 (8h28) dans « Question Directe » :

- Pierre Weill : - « Jean-Marc Ayrault, Laurent Fabius a dit que Nicolas Sarkozy a le soutien de la haute finance et, je cite hein, d’un certain nombre de médias. C’est aussi votre opinion ? »
- Jean-Marc Ayrault : - « Oh ben, je pense que Nicolas Sarkozy effectivement a des liens importants avec la haute finance, certains grands groupes industriels ; il représente pas du tout les intérêts populaires, mais cela ne l’empêche pas du tout de faire beaucoup de démagogie  ».
- Pierre Weill : - « Quels groupes industriels ? »
- Jean-Marc Ayrault :- « Ecoutez, là, je pense qu’on sait bien qu’il y a une, une sorte de symbiose entre beaucoup de dirigeants politiques français aujourd’hui, et c’est encore... c’est beaucoup plus vrai, chez Nicolas Sarkozy, avec l’oligarchie industrielle et financière. On connaît tous ses liens avec les grands groupes de l’arm... »
- Pierre Weill : - « Mais lesquels ? Lesquels ? »
- Jean-Marc Ayrault : « Ben, écoutez, moi, je ne suis pas au gouvernement, je ne suis pas dans la majorité ; ce que je constate, c’est qu’aujourd’hui... »
- Pierre Weill : - « Vous ne voulez pas répondre ! »
Jean-Marc Ayrault : - « ... une bonne partie de la presse est dans les mains de l’armement...  »
- Pierre Weill : - « Oui ? »
- Jean-Marc Ayrault : - « ...qu’ une bonne partie de la presse, et notamment télévisée, est dans les mains d’entreprises qui bénéficient de commandes publiques, et, et je crois que ça pose un vrai problème de démocratie. C’est pas seulement...  »
- Pierre Weill : - « Ce sont donc les médias qui soutiennent Nicolas Sarkozy ? »
- Jean-Marc Ayrault : « Non, je ne dis pas ça, je ne dis pas ça, je ne veux pas faire le procès... parce que là, entre faire le procès du système politico-financier et médiatico-financier, et des structures qui permettent d’informer les français, et faire le procès des journalistes, il y a un pas. Mais je ne fais pas le procès des journalistes. Les journalistes font leur métier. Mais je ne peux pas ignorer que, une partie de la presse est dans les mains de l’oligarchie financière, industrielle, et en particulier de l’industrie de l’armement. Ça pose un problème de démocratie . J’ai le droit de poser cette question »
- Pierre Weill : - « Vous faites allusion à qui ?  »
- Jean-Marc Ayrault : - « Oh ben, écoutez, vous savez bien que la plupart des grands... des grands médias de télévision - je ne parle pas du service public, heureusement il existe un service public, là je m’exprime ce matin sur un service public - sont dans cette situation. Et on ne peut pas nier que ça pose un problème de démocratie. » [4]

Un problème à résoudre sans tarder ! Mais rien à ce propos dans le projet de Parti socialiste (Lire : « Demandez le programme » : le projet du Parti socialiste pour les médias)

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Sous un titre alléchant : « Notre promesse » (lien périmé). Merci à Nicolas Quennec de nous avoir alertés.

[2Souligné par les auteurs de ce poème.... Dont nous n’avons pas retrouvé le line, l’adresse précédente étant périmée. (30-12-2012

[3Le 6 novembre 2004, l’émission « Le Premier pouvoir », animée sur France Culture par Elisabeth Lévy, se penche sur la « critique radicale des medias ». Accusés : PLPL qui a décliné l’invitation... à l’émission précédente et Acrimed qui n’a pas connu l’insigne honneur d’une citation à comparaître. Aucun courriel rédigé à la hâte, aucun coup de téléphone intempestif : rien... rien. (Voir : « Analyse d’un non passage à l’antenne ») On imagine assez le résultat !

[4Transcription réalisée par Johann. Souligné par nous.

A la une

Nathalie Saint-Cricq dans Libération : une « pointure » et beaucoup de cirage

« Nathalie Saint-Cricq vote », et Libération vote Saint-Cricq.