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Attentats d’Oslo : le coupable « islamiste » était (presque) parfait

par Frédéric Lemaire, Julien Salingue,

Le visage du principal suspect des tueries d’Oslo a fait le tour du monde : il s’agirait d’un « fondamentaliste chrétien », ancien militant d’un parti d’extrême-droite, qui revendique son hostilité aux immigrés et aux musulmans. Depuis deux jours, les médias tentent laborieusement d’expliquer – sans disposer d’informations suffisantes – ce qui aurait pu conduire ce Norvégien à se livrer à la violence extrême...

Et pourtant, dans les heures qui ont suivi l’annonce du carnage, des commentateurs de certains de ces mêmes médias disposaient, à défaut d’informations précises, de tous les arguments qui permettaient d’analyser les motivations du coupable désigné : le « terrorisme islamiste ». Un nouvel exemple de la langue automatique du journalisme et des préconceptions qui conduisent nombre de médias et de « spécialistes » - qui ne savent rien - à croire et à tenter de faire croire qu’ils savent. Le « terrorisme islamique » n’est pas le seul bénéficiaire de ce journalisme astrologique, mais en cas d’attentat…

Des « hypothèses » ou une certitude ?

« Pas de revendication, mais trois pistes principales », avance prudemment Libération dans un article publié dans l’édition papier du 23 juillet [1]. Les fins limiers du quotidien ont cependant une opinion bien arrêtée, comme en témoigne le (court) chapeau de l’article [2] :

« Trois pistes » ou une seule ? Lisons… « La première, celle de l’acte d’un déséquilibré, paraît peu probable, les attaques apparaissant coordonnées. Autre hypothèse : un groupe d’extrême droite, la Norvège abritant des groupes néo-nazis. Reste enfin la piste d’un ou de plusieurs groupes jihadistes ».

Et l’intégralité de l’article de Libération d’explorer la… troisième hypothèse, évidemment : « Selon la PST [police norvégienne], plusieurs résidents norvégiens se sont rendus ces dernières années dans des camps d’entraînement jihadistes en Afghanistan, au Pakistan, en Somalie et au Yémen. […] La Norvège abrite également quelques jihadistes notoires. […] Les dirigeants d’Al-Qaeda s’en sont régulièrement pris ces dernières années à la Norvège pour son implication dans la guerre en Afghanistan ». Etc.

Le lecteur de la version papier de Libération, qui a découvert cet article visionnaire le samedi 23 au matin, alors que la police norvégienne avait révélé l’identité du principal suspect, a sans doute regretté que les deux premières « hypothèses » n’aient pas été davantage explorées. A fortiori lorsque l’on sait désormais que l’individu entendait dénoncer, dans un manifeste publié le jour du carnage et rendu public dimanche soir, « la colonisation islamique et l’islamisation de l’Europe occidentale ».

Le Parisien, dans son édition du 23 juillet, a eu recours à un procédé similaire. Dans un article titré « Des attaques concertées, un suspect arrêté », on apprend en effet que « de la piste intérieure à celle des terroristes islamistes, toutes les hypothèses restaient envisageables [vendredi soir] ». La quasi-intégralité de l’article est néanmoins consacrée à la « piste islamiste », seule « piste » à bénéficier d’un intertitre :

Dès le 22 juillet, un peu après 16h, les auditeurs de France Info avaient eux aussi entendu parler d’ « hypothèses ». Ou plutôt d’une hypothèse. Grégory Tervel, correspondant de Radio France en Norvège, répondait aux questions d’Alain Pagès, en studio à Paris :

- « Il y avait eu des menaces particulières à l’égard du gouvernement ? »
- « Pas particulièrement mais la Norvège sait qu’elle est potentiellement visée depuis ces dernières années, depuis que d’autres capitales européennes ont été frappées par des attentats terroristes. La Norvège est présente militairement en Afghanistan, la Norvège participe aux frappes aériennes en Libye, ces derniers mois, la Norvège est membre de l’OTAN, donc les services de renseignement, de sécurité intérieure, savent très bien et travaillent sur cette hypothèse en tout cas depuis plusieurs années, l’hypothèse de voir un jour la Norvège victime, cible d’attentats terroristes ».

Rendons justice à France Info : les mots « islamistes », « jihadistes » et « Al Qaida » n’ont pas été prononcés. Mais était-ce bien nécessaire ?

Libération, Le Parisien et France Info ne sont évidemment pas les seuls médias à avoir tenté de devancer les enquêteurs pour désigner les coupables de la tuerie d’Oslo. Reprenant une dépêche Reuters, nombre de sites internet (rtl.fr, nouvelobs.com, 20minutes.fr, l’express.fr, ouest-france.fr, lemonde.fr, etc) ont republié « automatiquement », sans commentaires ni vérification, les thèses et avis éclairés d’ « experts » en terrorisme [3]. La parole aux experts de Reuters :

- « La Norvège, membre de l’Otan, a été plusieurs fois menacée par le passé par des dirigeants d’Al Qaïda pour son implication dans la guerre en Afghanistan, où elle participe à la Force internationale d’assistance à la sécurité ».
- « Selon David Lea, analyste du cabinet Control Risks, "il n’existe toutefois aucun groupe terroriste norvégien même s’il y a de temps en temps des arrestations de personnes liées à Al Qaïda" ».
- « La double attaque de vendredi en Norvège survient par ailleurs un peu plus d’un an après l’arrestation de trois hommes soupçonnés d’être liés à Al Qaïda et de planifier des attentats dans le pays scandinave » [4].

Enfin, toujours le 22 juillet, le blog Bigbrowser, animé par les journalistes du monde.fr, complète utilement la dépêche Reuters. Un article sobrement intitulé « Al-Qaida en veut-elle à la Norvège ? » évoque ainsi, « la publication au sein d’un journal norvégien, en 2006, d’une série de caricatures danoises représentant le prophète Mahomet, qui avait provoqué une levée de boucliers et des menaces à peines voilées de pays et groupes djihadistes musulmans » et « la décision, la semaine dernière, d’un procureur norvégien de poursuivre un religieux irakien qui avait menacé de tuer des politiciens norvégiens s’il était expulsé de Norvège. »

Avant d’enfoncer le clou : « L’an dernier, un rapport des services secrets norvégiens faisait état d’un risque accru d’une attaque terroriste à l’encontre du pays, notamment du fait de citoyens norvégiens entraînés dans des groupes affiliés à Al-Qaida, au Pakistan, au Yémen, en Afghanistan et en Somalie. »

Un faisceau d’indices qui ne se fondent sur aucune information sur les tueries elles-mêmes mais qui, chacun l’avouera, et ce malgré les précautions stylistiques (le titre sous la forme interrogative), désignent clairement un coupable. La manœuvre est-elle intentionnelle ? Rien n’est moins sûr : les automatismes suffisent ! Mais le résultat est là [5].

Un coupable logique ou un coupable idéal ? Certains auraient été bien inspirés de se souvenir du récent rapport d’Europol sur le terrorisme en Europe, qui révélait, comme l’avait alors souligné L’Express (entre autres), ceci :

Notons que Le Monde « papier », quotidien vespéral, a eu le temps, contrairement à Libération et au Parisien, de rectifier le tir. Il demeure néanmoins « incrédule » quant à l’annonce de la responsabilité d’un « extrémiste chrétien ». Le Monde disposait en effet d’éléments de premier choix dans la course médiatique à l’inculpation d’Al Qaida : « Tous les ingrédients étaient donc réunis. On rappelait même qu’au lendemain de la mort d’Oussama Ben Laden, Ayman Al-Zawahiri avait entre autres cité la Norvège comme cible potentielle » peut-on lire dans l’article intitulé « Du soupçon islamiste à l’incrédulité de la piste d’un extrémiste norvégien ».

Et d’ajouter ce scoop « Le responsable d’Al-Qaida pourrait par ailleurs avoir des raisons personnelles d’en vouloir à la Norvège, car selon lui, des hommes des forces spéciales norvégiennes auraient participé à une opération ayant causé la mort de l’une de ses épouses et de l’un de ses fils. »

Le Monde reprend par ailleurs certains autres éléments issus de la dépêche Reuters, citée plus haut, avant de reconnaître une incitation supplémentaire à la prudence, mais étonnamment passée sous silence la veille, au sujet de la fusillade : «  le procédé n’a plus rien de commun avec le mode opératoire traditionnel des commandos djihadistes », et d’évoquer l’arrestation du suspect norvégien. On respire presque.

Des certitudes qui se suffisent à elles-mêmes

Les astro-journalistes les plus inspirés ne se sont pas contentés d’émettre des hypothèses. Convaincus de la justesse de leur pensée automatique, ils nous ont démontré, preuves à l’appui, que l’identité des responsables des massacres était avérée.

Il y a eu la version hypocrite, proposée par Jean Guisnel, du Télégramme, dans un article publié le 23 juillet et intitulé « Attentat d’Oslo : une logistique éclairante ».

« Des attaques sans préavis touchant des civils dans une grande capitale, au moment où personne ne les attend, dans un contexte relativement calme, contre un pays que rien ne désigne, visant des cibles non préparées, conduites simultanément de manière coordonnée. […] Il n’est guère besoin d’être un grand expert pour comprendre que les recettes appliquées par la mouvance terroriste internationale se réclamant d’une vision sectaire du sunnisme, incarnée par le défunt Oussama ben Laden, ont été mises en oeuvre, hier, à Oslo ».

Avant de se réfugier derrière une précaution stylistique : « Par qui ? C’est une bonne question. À ce stade, il est beaucoup trop tôt pour avancer quelque hypothèse précise que ce soit ». Il n’est guère besoin d’être grand expert pour comprendre que Jean Guisnel nous offre une alternative qui n’en est pas une : soit les attaques sont l’œuvre d’Al Qaida, soit elles sont l’œuvre de personnes s’inspirant d’Al Qaida. Toute autre hypothèse est exclue.

Le journaliste du Télégramme sait-il que Ben Laden et ses affidés n’ont pas le monopole du terrorisme ? A-t-il entendu parler des attentats d’Oklahoma City ou des tueries perpétrées dans les établissements scolaires états-uniens ? Probablement. Mais l’expert improvisé ne s’encombre pas de ce genre de détail, et n’a aucun doute : les attentats d’Oslo sont signés. Malheureusement pour lui, son article, qui a atterri dans les kiosques alors que l’identité du principal suspect était dévoilée, l’était aussi.

Mais c’est probablement Vincent Hervouët, « responsable au service Étranger de TF1-LCI », qui nous a offert le plus bel exposé de certitudes certaines et de vérités vraies lors d’un commentaire, à chaud, sur LCI. À l’heure où nous écrivons, la vidéo de cette lumineuse analyse est toujours en ligne, ornée de ce titre menaçant : « Attentat à Oslo : tout pays européen est désormais une cible » [6]. Elle aurait mérité d’être intégralement retranscrite, mais nous nous contenterons, pour ne pas accabler le lecteur, de quelques extraits :

Il y a quand même eu une alerte qui a réveillé le pays, il y a quinze jours précisément de cela, avec l’arrestation de trois hommes, un véritable commando. Ils appartenaient à Al Qaida, le commando était dirigé par un ouïghour, qui a la nationalité norvégienne, c’est-à-dire un membre de cette minorité musulmane chinoise, qui est persécutée là-bas, et il aurait été formé au Pakistan, dans un camp d’entraînement, à l’action violente, et il vivait depuis 12 ans à Oslo. Les deux autres étaient un kurde irakien, qui est arrivé lui aussi à la fin des années 90 à Oslo, et qui avait un statut de résident et de réfugié politique, de réfugié humanitaire, et puis le troisième était un ouzbek, alors ça c’est l’islam d’Asie centrale, et lui aussi était réfugié à Oslo, au titre du regroupement familial, il avait obtenu un permis de résident.

Voilà qui est fort intéressant et fort pédagogique, mais le téléspectateur, à ce stade, cherche probablement le rapport avec la tuerie d’Oslo. Et ce n’est pas la suite qui va l’aider. Car ça se complique :

Donc les trois hommes ont été arrêtés, ils étaient en lien avec des, une opération terroriste. Laquelle ? Et bien, d’après les autorités, avec ceux qui ont comploté contre le métro de New York, c’était il y a à peu près deux ans, et il y avait eu des islamistes qui avaient été arrêtés à Manchester, et la police américaine vient justement de faire inculper des membres d’Al Qaida qui vivent au Pakistan, pour ce projet d’attentat. Voilà ce qu’ont dit les autorités […]

Vous ne comprenez pas ? Nous non plus. Mais Vincent Hervouët se comprend et s’en prend ensuite aux autorités norvégiennes qui n’avaient visiblement, elles non plus, pas compris :

Ce qui est très frappant, c’est de voir que le discours des autorités, il y a quinze jours, se voulait, rassurant. C’était une affaire sans précédent en Norvège, mais en même temps la police disait que les hommes avaient toujours été sous contrôle, depuis six mois, qu’ils étaient surveillés nuit et jour […]. On n’a pas parlé d’attentat local, on a parlé de membres de cette internationale terroriste […]. Or la réalité est sensiblement différente du discours des autorités. Pourquoi ? Parce qu’on a trouvé dans la cave du kurde irakien, on a trouvé un explosif, à la fois très puissant, c’est une sorte de nitroglycérine, mais surtout très instable. Ça veut dire que ce n’est pas un explosif que l’on déplace sur de longues distances, c’est donc un attentat à domicile, un attentat domestique, un attentat en Norvège, à Oslo, qui était programmé, prévu, envisagé, par des gens qui avaient stocké de quoi faire ce massacre […].

Une enquête rondement menée par l’inspecteur Hervouët. Qui poursuit :

Les autorités ont semblé noyer un peu le poisson, et leurs arguments ne tiennent pas. Qu’est-ce qu’ils disaient pour rassurer le norvégien [sic], et bien ils ont dit, notamment un des responsables du contre-terrorisme, que jusqu’à présent, il y avait des jihadistes effectivement en Norvège, qui avaient trouvé refuge dans le royaume, mais que le royaume servait de base arrière, n’était pas directement visé. Et ça ce sont des propos qui sont à la fois d’un grand cynisme et d’une très grande naïveté, d’une grande innocence parce que tout pays européen est désormais une cible […].

Hervouët peut alors, au terme de cette limpide démonstration, asséner le coup de grâce :

Les Norvégiens ont de bonnes raisons d’être frappés par Al Qaida. Il y en a plusieurs. Il y a effectivement l’engagement au sein de l’Isaf, depuis 10 ans, qui se bat en Afghanistan. Il y a le fait que c’était un ouïghour donc on pouvait penser que la cible pouvait être chinoise [re-sic]. On pouvait penser aussi que la cible était les plates-formes pétrolières de ce commando parce que l’un des trois hommes avait essayé à deux reprises d’intégrer une école de formation pour aller travailler sur les plates-formes offshore [re-re-sic], et puis il y a les caricatures de Mahomet qui ont été publiées évidemment dans la presse d’à côté mais qui ont été aussi éditées à Oslo, la presse norvégienne a reproduit les caricatures publiées par les journaux, par l’hebdomadaire danois, ce qui suffit à enrager les jihadistes locaux, enfin il y a un chef islamiste qui a été expulsé, qui est en instance d’expulsion vers l’Irak, ce qui peut provoquer la colère de ses coreligionnaires, et puis enfin il y a le fait qu’en Norvège comme dans tous les pays européens, il y a une radicalisation des islamistes les plus durs, les plus engagés, et ça les services officiels le remarquaient, le relevaient, s’en inquiétaient, mais pour l’heure on ne pensait pas qu’ils pourraient passer à l’acte […].

CQFD. Chacun comprend désormais, à défaut d’entendre quoi que ce soit à la « démonstration » d’Hervouët, pourquoi il s’est vu attribuer, par le Comité de l’Association de la Presse Étrangère (APE), le « Grand Prix de la Presse Internationale 2010 (catégorie télévision) » en décembre dernier. On attend avec impatience sa prochaine analyse, au cours de laquelle ce rival d’Alexandre Adler nous expliquera, avec autant de clarté et de certitudes, pourquoi Al Qaida ne pouvait évidemment pas être responsable de la tragédie d’Oslo.


***



S’il ne s’agissait, en l’occurrence, que d’un droit à l’erreur, nous le reconnaîtrions volontiers, en attendant sans impatience et sans trop y croire que les organes d’information et les journalistes qui se sont distingués par leur trop grande hâte à désigner les coupables « naturels » des tueries d’Oslo fassent amende honorable. Mais peut-on encore parler d’erreur quand elle est un produit du journalisme d’anticipation qui prétend savoir avant de savoir, dont les prédictions peuvent s’avérer fondées, mais que les astres égarent si souvent ?

Souvenons-nous notamment de ce que nous avions relevé, sur ce site, lors des attentats de Madrid, en mars 2004, avec par exemple ce titre du Monde : « Un retour sanglant d’ETA sur la scène politique espagnole à trois jours des élections législatives », ou cette chronique de RFI qui s’achevait par une irrévocable sentence : « Par conséquent, ajoutent enfin les enquêteurs, seule l’ETA dispose aujourd’hui en Espagne des moyens logistiques nécessaires à la mise en œuvre de cette terreur généralisée. » Sans même parler de l’affaire du RER D, cas typique de ce journalisme tellement plein de certitudes qu’il ne s’encombre guère de vérifier l’information si elle répond à des clichés en vogue.

Dans l’affaire du carnage d’Oslo, c’est « évidemment » le « terrorisme islamique » qui a été montré du doigt. Une « évidence » telle que, quand bien même il était avéré que le principal suspect se singularisait davantage par sa haine de l’islam que par une quelconque aspiration au « Jihad », certains ont trouvé le moyen de retomber sur leurs pieds, au prix de contorsions… déconcertantes. Ainsi, ce reportage du 13h de TF1, le 23 juillet, dans lequel on apprend ceci :

« La simultanéité [des attaques] rappelle le mode opératoire d’organisations terroristes structurées comme Al Qaida. Une piste vite abandonnée parce que le suspect arrêté est norvégien, un fondamentaliste chrétien d’après la police. La Norvège, connue pour décerner son Prix Nobel de la paix, est comme les autres pays scandinaves, aujourd’hui traversés par de nouveaux débats, parfois religieux. Exemple, en 2006, un éditeur norvégien avait republié les caricatures de Mahomet, déclenchant l’émoi de la communauté musulmane. En 2010, un tribunal administratif avait été saisi à propos du port du voile dans la police ».

Les exemples de « nouveaux débats » sont… éloquents. Un « spécialiste de la Norvège » est alors convoqué :

« On oublie beaucoup que les pays nordiques sont des terres d’accueil aujourd’hui très importantes, que la population immigrée est finalement très importante en pourcentage de la population et que cela conduit à des tensions et à une polarisation auxquelles ces sociétés n’étaient pas jusqu’ici familiarisées ».

Et le journaliste de reprendre :

« Ces tensions font le terreau de l’extrême-droite et des intégrismes religieux chrétiens ou musulmans ».

CQFD (bis) : le suspect n’est peut-être pas musulman, mais son mode opératoire « rappelle » celui d’Al Qaida et son acte s’inscrit dans un contexte de tensions générées par la « population immigrée », notamment musulmane. De là à considérer que les musulmans, à défaut d’être coupables des tueries d’Oslo, en sont responsables… TF1, ou le summum de la « pensée automatique » : s’obstiner dans les pseudos-évidences alors qu’elles ont été démenties par la réalité [7].

À moins que TF1 ait décidé, sinon d’excuser, du moins de tenter de comprendre et d’expliquer, à sa façon, le carnage du 22 juillet et les motivations jusqu’alors inconnues du principal suspect. En aurait-il été de même si le coupable avéré avait été le coupable désigné – le « terrorisme islamiste » ? Rien n’est moins sûr.

Julien Salingue et Frédéric Lemaire

Bonus : un dessin aussi désopilant que visionnaire (publié sur yahoo.fr).

 
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Notes

[1Un article dont la prouesse analytique a également été relevée par « Arrêts sur image » et moquée par Sébastien Fontenelle sur son blog.

[2Repris ici sur le site du quotidien, mais identique à celui de la version papier.

[3Egalement relevé par « Arrêts sur images ».

[4Notons ici que la presse française n’est pas unique en son genre. Un correspondant en Belgique nous a signalé un article, publié dans le quotidien le Soir daté des 23-24 juillet, qui ressemble à s’y méprendre aux exemples que nous venons de citer. Extraits : « Alors que le mystère demeurait total quant aux motifs et aux commanditaires de l’attentat à la bombe, les spéculations vont bon train. L’hypothèse d’un acte terroriste commis par des fondamentalistes musulmans est la plus souvent citée. "Il est difficile d’imaginer qu’il s’agisse d’autre chose, estime un expert en affaires de terrorisme, Tore Bjørgo, interrogé par la radio-télévision NRK. "De plus, la cible est le symbole le plus fort du pouvoir politique norvégien". La participation de la Norvège à la guerre en Afghanistan, depuis 2001 aux côtés des Etats-Unis, avait valu des menaces à ce fidèle allié des Américains. Ayman al-Zawahiri, décrit comme le nº 2 d’Al-Qaïda, s’en était pris nommément à Oslo à la fin de 2007. Les avions de l’armée norvégienne participent aussi aux bombardements visant la Libye. Autre motif potentiel, la publication en 2006 dans la presse norvégienne de certaines des caricatures de Mahomet. Ces dernières, publiées l’année précédente par un journal danois, avaient suscité de virulentes réactions de la part de musulmans qui les jugeaient blasphématoires. »

[5Le même soir, ce bric-à-brac de justifications des thèses de l’« attaque d’Al Qaida » sera repris au JT de 20h de TF1. Un sujet est dédié à l’évocation des potentiels auteurs des attentats. Dans l’extrait, le journaliste rappelle que les enquêteurs en appellent à la retenue et ne privilégient aucune piste. Ce n’est semble-t-il pas le cas des journalistes, qui penchent très nettement du côté de la « piste » Al Qaida.

[6Sur le site « TF1 News ».

[7N’oublions pas France 2 et soulignons ici que Philippe Rochot, lors du 13h le même jour, a proposé un raisonnement du même type.

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