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« 24h Pujadas l’info en questions » sur LCI : la quintessence du bavardage éditocratique

par Blaise Magnin,

Évincé de la présentation du journal de 20h de France 2 en mai dernier, David Pujadas a rapidement trouvé un point de chute à sa juste mesure sur LCI. Pas en matière d’audimat, certes, puisque LCI ne rassemble guère plus de 1 % d’audience, ce qui semble correspondre au « score » moyen de David Pujadas chaque soir [1]. D’un point de vue éditorial, en revanche, David Pujadas est placé dans des conditions idéales : producteur d’une émission qu’il a modestement baptisée de son propre nom (« 24h Pujadas l’info en questions »), il dispose quotidiennement de plus d’1 h 30 en « access prime time », entre 18 h et 20 h. Une émission au cours de laquelle David Pujadas donne libre cours à ses partis pris de toujours tout en s’appliquant à reconduire les formes les plus convenues de journalisme de commentaire et de prescription, dans lesquelles des quarterons d’éditocrates omniscients et unanimes « débattent » avec des experts au diapason, en présence de quelques responsables politiques. Un cocktail aussi éventé qu’indigeste…

Un constat peu surprenant s’agissant d’un journaliste dont l’ensemble de l’œuvre, largement documentée sur le site d’Acrimed [2], illustre les pires travers de l’éditocratie. Comme présentateur du 20h de France 2 pendant plus de 15 ans, il s’appliqua consciencieusement à tenter de « rattraper » l’audimat du journal de TF1, quitte à importer les recettes du journalisme le plus commercial et à transformer le JT du service public en « pot-pourri de faits divers et de divers faits ». Comme intervieweur présidentiel de Nicolas Sarkozy, il s’imposa comme une référence longtemps indépassable du journalisme de révérence. Comme présentateur de « Des paroles et des actes » et de « L’Émission politique », il mit tout son savoir-faire au service du journalisme politique le plus dépolitisant, superficiel, intoxiqué de sondages, de personnalisation, de petites phrases et de polémiques. Et partout, David Pujadas s’illustra par sa propension à faire valoir plus ou moins explicitement ses propres convictions sur les mobilisations syndicales, sur la réforme du droit du travail, sur celle des retraites, sur les questions de sécurité ou de laïcité, etc.

Mais depuis qu’il est débarrassé du format contraignant du 20h et du cadre quasi institutionnel des « grands » débats politiques sur le service public, David Pujadas peut enfin donner sa pleine mesure journalistique et laisser libre cours à ses partis pris (ultra) libéraux et conservateurs.

Le site de LCI a beau annoncer une émission « placée sous le signe de la pédagogie », et David Pujadas peut bien répéter la même phrase de lancement après avoir présenté le sujet du jour, « On en parle et vous allez vous faire votre idée », il n’en demeure pas moins que le constat est le même soir après soir : le choix des thèmes de débat conjugué à la composition des plateaux condamne « 24h Pujadas » à n’être qu’un seul et même plaidoyer, sans cesse recommencé, pour « La Réforme » sous toutes ses formes. Peut-être conscient du risque de déjà-vu, David Pujadas tente d’y ajouter sa patte. Mais animé par les mêmes passions et les mêmes travers que tant de ses confrères en éditocratie, il ne se distingue que par l’obstination avec laquelle jour après jour, semaine après semaine, il s’échine à rapporter systématiquement toute actualité à Emmanuel Macron.

Emmanuel Macron fait l’actualité, Pujadas la commente

Ainsi, en 10 semaines, entre le 17 novembre 2017 et le 26 janvier 2018, le nom d’Emmanuel Macron figurait dans le titre de 28 émissions sur 50 – et la plupart de celles où il ne figurait pas se référaient implicitement à sa personne ou à son action passée, présente et à venir. Qu’il s’agisse de politique ou d’économie, le président de la République, ses accomplissements, ce qui lui reste à accomplir, ce qui pourrait entraver ses projets sont toujours au cœur des débats.


- Sur les questions économiques, au cours de la période, Pujadas consacre trois émissions à prendre acte d’une embellie (« Croissance : la France est-elle sortie d’affaire ? » - 22 décembre), à pronostiquer sa poursuite (« 2018 : tous plus riches ? » - 26 décembre) et à en expliquer la cause (« E. Macron : le banquier qu’il nous faut ? » - 29 décembre).


- Mais la pression fiscale française inquiète Davis Pujadas (« La France championne du monde des impôts : un défi pour E. Macron ? » – 19 décembre) qui se demande si Emmanuel Macron saura enfin la réduire (« Impôts, dette : E. Macron fait-il mieux que ses prédécesseurs ? » - 23 janvier ; « Impôts en 2018 : vraie baisse ou fausse promesse ? » - 4 janvier).


- Plus grave encore pour David Pujadas : la fainéantise des travailleurs français (« Absentéisme : la France a-t-elle perdu le goût du travail ? » - 24 novembre ; « E. Macron peut-il remettre la France au travail ? » - 13 décembre) et leur coût invraisemblable (« Coût du travail : un nouveau “cadeau” de Macron aux patrons ? » – 20 novembre ; « Macron osera-t-il toucher au SMIC ? » - 8 décembre)... ;


- ... que parviendra peut-être à compenser un peu de flexibilité voulue par la clairvoyance d’Emmanuel Macron (« Loi travail : tous flexibles avec E. Macron ? » - 10 janvier), qui va aussi remettre les chômeurs au travail (« E. Macron a-t-il déclaré la guerre aux chômeurs ? » - 27 décembre ; « France : sommes-nous condamnés au chômage de masse ? » – 25 janvier).


- Pour autant, Emmanuel Macron n’est pas au bout de ses peines : il va aussi devoir sauver (démanteler ?) la SNCF (« Trains : le modèle français en faillite ? » - 4 décembre) et se coltiner les contraintes de la démographie française qui risque de contrecarrer ses plans (« Santé, retraites : Macron plombé par le “papy boom” ? » - 29 novembre).


- Heureusement, conscient des dures réalités du monde – tout comme David Pujadas – (« Inégalités : un monde sans pitié ? » - 15 décembre), le président sait se montrer magnanime (« E. Macron à Davos : l’appel à une autre mondialisation » –24 janvier).


- Sur les questions politiques, les interrogations de David Pujadas tiennent davantage des chroniques officielles d’un quelconque Palais princier que d’un travail journalistique. C’est d’abord la grandeur de l’homme Emmanuel Macron qui est passée au crible (« Emmanuel Macron : sauveur de la planète ? » - 12 décembre ; « E. Macron, personnalité de l’année : mérité ou injustifié ? » - 28 décembre), sans que l’analyse de son style ne soit négligée (« Macron : le coup d’éclat permanent ? » – 28 novembre). Et en bon professionnel, David Pujadas se doit de consacrer deux émissions aux bienfaits pour « la France » de l’élection de ce président providentiel (« “France is back” : E. Macron a-t-il raison ? » - 22 janvier 2018 ; « E. Macron : la France est-elle de retour ? » - 25 décembre).


- David Pujadas se penche également sur la popularité (sondagière et saisonnière) du président (« Macron : le printemps en automne ? » - 21 novembre), et aux attentes (sondagières) des Français à son égard (« Exclusif : ce que les Français attendent de E. Macron » - 15 janvier). Et s’il doit bien constater que certaines catégories de la population risquent de se montrer rétives à la magie du verbe présidentiel (« Macron méprise-t-il la province ? » - 23 novembre ; « E. Macron face à la colère policière » - 2 janvier ; « Prisons, agriculteurs, hôpitaux : une bombe sociale pour E. Macron ? » – 26 janvier), David Pujadas tient à souligner que la profession journalistique est tout ouïe lorsque Emmanuel Macron s’exprime (« Rentrée politique : les vœux de Macron à la presse » - 3 janvier).


- Pour rendre compte de la vie politique en elle-même, David Pujadas est catégorique : le président a tout balayé sur son passage (« L’opposition éparpillée “façon puzzle” ? » - 27 novembre) et si Laurent Wauquiez peut encore espérer lui tenir tête (« Macron - Wauquiez : le match » - 11 décembre), Emmanuel Macron voit, pour sa part – et David Pujadas avec lui –, beaucoup plus loin (« E. Macron peut-il reconcilier les deux France ? » - 14 décembre).


- Sur le fond de certains dossiers, on sent pourtant David Pujadas inquiet : le président tiendra-t-il toutes ses mirifiques promesses (« Macron : des paroles... Et des actes ? » – 1er décembre ; « E. Macron, millésime 2018 : vœu pieux ou meilleurs vœux ? » – 1er janvier) ? Est-il assez ferme en toutes circonstances ? Ainsi sur l’immigration, les émissions successives laissent-elles poindre les attentes fortes de David Pujadas et quelques angoisses qu’elles ne soient pas satisfaites, jusqu’au soulagement final (« Migrants, vers la tolérance zéro ? » - 18 décembre ; « Loi immigration : E. Macron pris au piège ? » - 11 janvier ; « E. Macron à Calais : le choix de la fermeté » - 16 janvier). Même phénomène à propos de Notre-Dame-des-Landes où David Pujadas semble, une fois n’est pas coutume, déçu de la décision gouvernementale (« Notre-Dame-des-Landes : l’autorité de l’État en péril ? » - 5 janvier ; « Notre-Dame-des-Landes : la bonne décision ? » - 17 janvier ; « ZAD : un risque de contagion ? » - 18 janvier).


- Et quand il renonce à disserter sur Emmanuel Macron, David Pujadas propose des sujets teintés de poujadisme : « Hauts fonctionnaires : une caste “intouchable” ? » - 19 janvier 2018 ; « Avions, chauffeurs, train de vie : nos trop chers élus ? » - 20 décembre ; « Route, santé, tabac : un État “emmerdeur” ? » - 9 janvier.

Pas de hiérarchie de l’information dans « 24h Pujadas » : toute actualité est traitée à l’aune d’Emmanuel Macron. Pas de pluralisme non plus : les alter ego de David Pujadas monopolisent les invitations.


Les amis de David Pujadas

- CSA oblige, un certain pluralisme est respecté s’agissant des invités politiques. Au cours des 50 émissions observées, des responsables politiques furent invités à 77 reprises. Les membres du gouvernement et de la majorité parlementaire recevant 27 invitations, l’opposition de droite, 24, et les représentants de la gauche parlementaire, 26 – parmi lesquelles 9 invitations concernaient les responsables de la France insoumise. Certes, les frontières entre la droite ou la gauche parlementaires d’un côté, et la majorité présidentielle de l’autre peuvent se révéler très poreuses et ces calculs sont tout à fait contestables, mais un certain pluralisme formel est à peu près respecté.

- Avec 89 invitations, ce sont les journalistes, essayistes et éditorialistes qui fournissent le plus fort contingent de participants aux débats de « 24h Pujadas ». Et le maître de cérémonie ne les choisit pas n’importe comment. 37 invitations échoient ainsi à des journalistes officiant dans des rédactions aux partis pris ouvertement conservateurs : L’Opinion (7 invitations), Les Échos (6) Le Figaro (6), TF1/LCI (6), Le Point (5), Valeurs actuelles (4), RTL (2 invitations), Atlantico (1). Et c’est encore sans compter les polémistes free lance aux positions tranchées qui sont conviés plus qu’à leur tour : ainsi de François de Closets (6 invitations), Natacha Polony (2), Alain Finkielkraut (1) ou Guy Sorman (1). Avec 19 invitations, les médias que certains classèrent « à gauche » avant que le macronisme ne vienne officiellement vider cette prétention de son sens, sont deux fois moins présents : L’Obs (7 invitations) France Inter (5), Le Monde (4), Libération (3). Les journalistes provenant de médias développant une ligne éditoriale alternative recevant pour leur part… 3 invitations : Alternatives économiques (2 fois) et Politis (1).

- Et ce n’est pas tout. La composition de la population d’experts, économistes pour la plupart, que David Pujadas mobilise connaît les mêmes distorsions. 22 invitations concernent des économistes ou experts libéraux dont la plupart sont des habitués des plateaux, tels que Agnès Verdier-Molinié (6 invitations), Jean-Hervé Lorenzi (3), Nicolas Bouzou (2), Christian Saint-Etienne (1), Nicolas Baverez (1), Raymond Soubie (1), etc. Les économistes hétérodoxes sont pour leur part reçus à 5 reprises…

- Dernier constat significatif : en 10 semaines, « 24h Pujadas » a reçu 29 « entrepreneurs » et représentants du patronat, et 10 responsables syndicaux et représentants salariés.

Les invités de « 24h Pujadas » ne sont pas sur le plateau pour débattre. Ils en seraient bien en peine puisqu’ils partagent les mêmes références idéologiques et les mêmes options politiques. Ils viennent simplement partager leurs opinions dans un cadre convivial et faire partager leurs convictions aux téléspectateurs. David Pujadas ne les convie pas pour éclairer un débat qui ne peut avoir lieu : leur présence est simplement requise pour légitimer du sceau de l’unanimisme et d’une supposée compétence les préférences et les orientations qu’ils partagent.


***


Finalement, « 24h Pujadas » apparaît comme une émission inutile. Ridicule même par son entêtement à ramener chaque sujet à la personne du président de la République. Pourquoi ce choix éditorial ? Par complaisance, servilité ou tout simplement intérêt ? En tout cas, un jour viendra où David Pujadas recevra la Légion d’honneur, pour services rendus. Mais à qui ? [3]


Blaise Magnin

 
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Notes

[1Un score proche de celui de son prédécesseur dans cette « case » sur LCI, Yves Calvi. Le même Yves Calvi qui est aussi devenu son concurrent direct en présentant une émission au format très proche, « L’info du vrai » sur Canal + – laquelle tourne également autour de 1 % d’audience. En moyenne, ces programmes (interchangeables) rassemblent entre 100 000 et 200 000 téléspectateurs.

[2On se reportera évidemment à la rubrique « David Pujadas », mais également à la rubrique « Journaux Télévisés » dans laquelle le 20h de France 2 fut souvent à l’honneur…

[3Cette conclusion est inspirée de celle que nous faisions huit ans auparavant à propos de sa complaisance – déjà – à l’égard du Président Nicolas Sarkozy.

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