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Jospin : session de rattrapage

par Patrick Lemaire,

Quand la presse interroge "les Français" sur le "retour" de Jospin...

" J’assume pleinement les responsabilités de l’échec, et j’en tire les conclusions en me retirant de la vie politique après la fin de l’élection présidentielle ", tranchait le candidat socialiste le soir du 1er tour de l’élection présidentielle de 2002, qui le reléguait en troisième position derrière Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen.

S’il a officiellement quitté la "vie politique", Lionel Jospin n’a pas quitté la vie médiatique, puisque, depuis qu’il s’est "retiré", tous les médias répercutent scrupuleusement le moindre propos, fait ou geste que l’ancien Premier ministre distille méticuleusement quant à sa future activité militante.

Le groupe Médias d’Attac explique que " les médias construisent, à grand renfort de sondages, une " opinion pour médias ". À défaut d’enquêtes au long cours, ils préfèrent observer la société française par le biais de sondages qui, en posant aux personnes interrogées des questions qu’elles ne se posent pas toujours, servent à légitimer les sujets de prédilection des journalistes. Tout matraquage médiatique est suivi d’un sondage qui atteste que le sujet matraqué et sa présentation " révèlent " une préoccupation de l’" opinion ", préoccupation que les journalistes soumettent ensuite aux responsables politiques en les sommant de répondre. Un tel usage des sondages, destiné à " finaliser " les produits idéologiques qu’on veut vendre aux consommateurs, coïncide avec les méthodes du marketing. "

Dernier épisode de la "vraie-fausse" sortie de Jospin, Le Nouvel Observateur affirme le 2 janvier que, parmi les " électeurs de gauche " (sic), " 69% croient déjà à son retour, 59% souhaitent qu’il soit candidat à la présidentielle en 2007 ", ce alors que " dirigeants et militants veulent tourner la page Jospin " (pas de pourcentage, en l’occurrence).
" Une majorité (51% contre 44) veut qu’il redevienne un acteur de la vie politique, un dirigeant actif. " Connaissant les marges d’erreur des sondages, voilà en effet un chiffre révélateur !
" D’ailleurs - et cette fois la majorité est écrasante (69%) -, les sympathisants de gauche sont persuadés que Jospin n’est pas mort le 21 avril. " Comme toujours, reste à savoir quelle est la question. Si c’était : " Jospin est-il mort le 21 avril ? " le " résultat " n’est guère surprenant ! [1]

Suite du verdict : " 56% d’entre eux pensent qu’il doit s’exprimer à son heure, quand il le jugera nécessaire. " Jospin s’exprime quand il veut, voilà en effet une curieuse opinion !
Un " silence qui ne l’empêche pas d’entretenir le suspense. Ses petites phrases successives donnent lieu à exégèse. " Comme dans ce numéro du Nouvel Obs...

" L’ancien Premier ministre est sans doute sincère lorsqu’il confie à ses visiteurs : "Pour moi la politique, c’est terminé, c’est fini." Il n’aspire plus à diriger le parti ou à briguer l’Elysée. Il sait que les militants et les dirigeants du PS n’attendent pas son retour. C’est pourquoi il reste en retrait, presqu’à la retraite, mais il laisse le temps jouer. Il n’insulte pas l’avenir, il suggère qu’il reste disponible. A tout hasard. L’homme aime trop la politique pour s’interdire tout espoir de retour. "
L’avantage de ce bla-bla habilement rédigé, c’est qu’en n’apportant strictement aucune information, il n’engage à rien : il ne sera pas contredit, que Jospin "revienne" ou qu’il confirme son "retrait "...

Si l’on trouve sans peine sur le site Internet du Nouvel Obs ces "informations" décisives sur l’état d’esprit des "électeurs de gauche", on y cherchera en vain la fiche technique de ce sondage " Sofres-Le Nouvel Observateur " : par exemple, combien ont été interrogés ? Foin de précautions : ici, on ne parle pas de " personnes interrogées " mais des" électeurs de gauche ".

Il n’en est pas de même dans le " quotidien de référence ".

Le Monde consacre en effet une page entière de son numéro daté dimanche 5-lundi 6 janvier 2003 à la question " Et si Jospin revenait en politique ? " Une interrogation susceptible de bouleverser les foules puisqu’elle a droit à la "une" : un papier d’ "appel" y est consacré juste au-dessous de la manchette sur la crise ivoirienne (excusez du peu).

Le texte de cet article de "une" se veut synthétique. On nous confie que " Lionel Jospin continue à peser sur le Parti socialiste ". Le problème est circonscrit : le "mystère " Jospin, ici, ne " pèse " pas sur la population entière, ni même les " électeurs de gauche " (même s’il mérite un papier de " une "...).
" D’après une enquête (sic, il s’agit d’un " sondage ") Sofres-Le Nouvel Observateur publiée le 2 janvier, 64% des sondés [2] croient au retour de l’ancien premier ministre "en politique au niveau national dans les années à venir". " Pas plus d’information sur la population interrogée, ce n’est même plus les " électeurs de gauche " comme dans Le Nouvel Obs, mais au moins est-il précisé qu’il ne s’agit que " des sondés ". Suivent, dans ce court papier d’"appel" en une, un bref rappel de déclarations de Jospin depuis son "retrait" et des extraits de commentaires de responsables du PS.

La page intérieure est plus instructive. Elle est intitulée : " Les dirigeants socialistes sont embarrassés par le "cas Jospin" ". Ca ne mange pas de pain : ils ne sont pas "énervés" ou "enthousiastes", mais " embarrassés".

Mais, dans cette page entièrement consacré au " mystère " [3] Jospin, Le Monde rompt radicalement avec sa prudence de "une".
Le "chapo" général de la page affirme que " Lionel Jospin reste une personnalité de premier plan pour les Français. Dans un sondage Sofres-Le Nouvel Observateur publié dans l’hebdomadaire du 2 au 8 janvier, ils sont 64% à croire à son retour "au niveau national dans les années à venir". " C’est désormais " les Français ", non plus les " électeurs de gauche " et encore moins les " sondés " qui donnent à Jospin une majorité proche de quatre fois son score du 21 avril !

Le reste de la page accentue le glissement : ce même papier principal prudemment ( ?) titré " Les dirigeants socialistes sont embarrassés par le "cas Jospin" ", et qui occupe sur six col [4] la moitié de la page, assène en "chapo" : " 64% des Français croient au retour en politique de l’ancien Premier ministre, selon un sondage Sofres-Le Nouvel Observateur "...

Le texte de cet article confirme le dérapage. Extraits. " D’après les sondages, Lionel Jospin reste en effet la personnalité politique favorite d’une partie de l’opinion. " Quellle audace ! " Une partie de l’opinion " !
" Dans la dernière enquête (sic) Sofres-Le Nouvel Observateur publiée dans l’hebdomadaire du 2 au 8 janvier, 64% des personnes interrogées les 5 et 6 décembre dernier croient en son retour "en politique, au niveau national, dans les années à venir". "

La suite exige une souplesse intellectuelle dont seuls les lecteurs d’un journal de référence sont capables : " et si 58% des sondés ne souhaitent "pas vraiment ou pas du tout" qu’il se représente à l’élection présidentielle de 2007 [5], ils sont 59%, parmi les sympathisants du PS, à l’espérer "beaucoup ou plutôt" ". D’ailleurs, ces " sympathisants " sont " 51% à souhaiter " que Jospin " redevienne un des principaux responsables du Parti socialiste ".

Dans la suite de cet article auquel Le Monde ne craint pas d’accorder la moitié de la page 5, le lecteur se voit infliger une rigoureuse leçon de politologie. Reprenez votre souffle.

Le "phénomène" Jospin est là, puisque " en décembre, 31% des sympathisants de gauche (sic) choisissaient eux aussi, pour 2007 (sic), le candidat défait en 2002 (BVA-Paris Match) " (on suppose qu’il s’agit encore des résultats d’un sondage). " En octobre (Sofres-Le Monde) (idem), les électeurs de gauche (sic) se repentaient (sic) d’avoir voté pour d’autres candidats (sic) et affirmaient qu’ils mettraient dans l’urne, si c’était à refaire, le bulletin... Jospin. "

Dans la série " je compare n’importe quoi et ça fait n’importe quoi ", la suite : " Et toujours (sic), sur le site "Vouzemoi.net" (sic) , créé pour la campagne présidentielle de M. Jospin, celui-ci continue d’arriver en tête des personnalités socialistes dont se sentent le plus proches les internautes appelés à exprimer leurs préférences parmi François Hollande, Laurent Fabius, Martine Aubry ou Henri Emmanuelli... "

La conclusion de ce paragraphe amphigourique est un morceau de bravoure : " Curieux phénomène qui alimente le soupçon : Lionel Jospin envisagerait-il de revenir sur le devant de la scène ? "

On ne résiste pas à citer le Le Nouvel Observateur : " un étrange phénomène qui complique encore la tâche des responsables socialistes ". Modestes ! Le " phénomène " " complique " en effet bien au-delà !


(Complément du 3 février 2003.) Le Monde a obtenu de Lionel Jospin un pavé indigeste, publié sur deux pleines pages dans l’édition datée 1er février 2003. De l’avis de la plupart des commentateurs, y compris socialistes, cette "prise de parole" n’apporte rien de nouveau. "Lionel Jospin reprend la parole" titre Le Monde en une, alors que, depuis le début de l’été 2002, le moindre balbutiement de l’ancien Premier ministre est, à longueur de colonnes, relaté, répercuté, commenté, mis en perspective etc. "Etre utile" [6], Jospin, y œuvre en tout cas, mais pour le quotidien du soir, qui consacre à ce brouet cinq colonnes à la une, avec force titraille publicitaire, et glosera ensuite plusieurs jours durant sur les "réactions" des uns et des autres à ce non-événement.

 
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Notes

[1Sur les nombreux "biais" des sondages, complètement négligés par les médias, lire Patrick Champagne, "L’arroseur arrosé (1) : le "baromètre" sur les Français et les médias". Note d’Acrimed.

[2Tous les passages soulignés le sont par nous.

[3Terme issu du "chapo" général de la page.

[4Colonnes.

[5Signalons que L. Jospin ne s’est à ce jour pas présenté à l’élection présidentielle de 2007, ce qui implique qu’il ne peut pas s’y représenter...

[6Titre du texte de Jospin.

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