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L’observatoire observé : quand Acrimed se regarde dans un miroir

par Jean Pérès,

Depuis cinq ans, à l’occasion de son assemblée générale, l’association Acrimed présente, sous la forme d’un rapport d‘activités, les publications de l’année écoulée sur le site : nombre et nature des publications, nombre des rédacteurs d’articles, médias concernés par les publications, sujets abordés, personnes citées. Cet inventaire commenté de notre activité éditoriale n’a pas, et de loin, la précision ni l’exhaustivité d’une production scientifique [1], mais il permet cependant un repérage des grandes lignes de cette activité et de son évolution sur ces cinq années, repérage que nous accompagnerons de quelques remarques.

De 2010 à 2014, ce sont 1280 publications qui se sont succédé sur le site acrimed.org ; soit une moyenne de 256 par an, avec une forte progression les deux dernières années (304 et 297), inférieure toutefois aux 370 de 2005, l’année de la victoire du Non au référendum sur la Constitution européenne et des « émeutes des banlieues », qui fut la plus féconde de l’histoire de notre activité éditoriale, en osmose avec le regain de combativité de la société civile. Ce rythme de publications, particulièrement soutenu pour une rédaction qui ne dispose que d’un seul permanent, outre qu’il permet de réagir à des événements de l’actualité dans des délais acceptables, a généré avec le temps un fonds documentaire de plus de 4 000 documents à ce jour, autant d’armes pour la critique des médias.

Ces publications se répartissent en articles rédigés par des adhérents d’Acrimed et en d’autres contributions (articles venus d’ailleurs, communiqués, annonces d’activités) qui témoignent de notre activité associative et de notre ouverture sur l’extérieur.


Les articles du site

Au nombre de 830 (soit les deux tiers des 1280 publications) au cours des cinq dernières années, les articles proprement dits de critique des médias constituent la principale matière du site acrimed.org. C’est en 2013, à la suite de la pérennisation du poste de secrétaire de rédaction, que le nombre d’articles publiés fait un bond significatif de 33% pour se stabiliser autour de 200 articles à l ‘année.

Ces articles sont de divers formats. Les « brèves » [2] inaugurées en septembre 2013 pour faciliter les réactions « à chaud » et offrir une forme de rédaction plus accessible à ceux de nos adhérents qui auraient quelque hésitation à franchir le pas de l’écriture d’articles, ont connu un certain succès (28 en 2013 et 56 en 2014) et sont bien parties pour constituer un quart de la production annuelle, tandis que les articles « de fond » [3] constituent un deuxième quart, autour de 50 unités, avec des variations annuelles. Les autres articles, soit en gros la moitié, se situent entre les deux autres formats et constituent, depuis la création du site, en 2000, l’ordinaire de nos livraisons.

Le nombre des rédacteurs et rédactrices membres de l’association a varié de 32 à 49 personnes selon les années, avec une rotation assez large, mais qui n’est pas évaluée précisément. Certains, notamment les membres du groupe de pilotage de la rédaction (sept personnes), écrivent à un rythme régulier, voire soutenu, tandis que d’autres écrivent de manière plus ponctuelle, et l’on constate une sous-représentation des rédactrices par rapport aux rédacteurs, phénomènes qui traduisent nos limites actuelles dans la capacité à donner confiance à toutes celles et tous ceux qui seraient tentés d’écrire. Notre politique à ce niveau consiste à inviter le plus grand nombre possible d’adhérents à « s’y mettre », et à favoriser les co-rédactions, sans que cela se fasse bien évidemment au détriment de la qualité des articles ; une formation à la critique des médias est d’ailleurs organisée depuis trois ans dans cette perspective par le groupe de pilotage de la rédaction.

Une augmentation du nombre des rédacteurs et rédactrices pourrait aussi permettre une diversification des supports concernés par nos observations. Avec seulement 30 articles dédiés spécifiquement à des médias du Web au cours de ces cinq années, même si ces médias sont souvent cités dans des articles « multimédias », nous sommes largement en-deçà de ce que peut représenter, quantitativement et qualitativement, ce support dans la société actuelle, alors que 268 articles ont été consacrés à la presse, 139 à la télévision, et 74 à la radio. Au sein de ces derniers médias, la répartition de nos critiques est à l’avantage, si l’on peut dire, de la presse nationale pour ce qui concerne les journaux, et de ce que l’on appelle encore le service public pour ce qui concerne la radio et la télévision.

Loin d’être un choix stratégique, cette répartition recoupe plutôt les sources d’informations habituellement fréquentées par les individus qui rédigent des articles ; ce qui peut se comprendre dans une rédaction très largement bénévole qui pourrait difficilement se plier à une couverture médiatique plus exigeante. Ce qui n’empêche pas qu’il arrive fréquemment que quelques forces soient mobilisées pour coopérer autour de thèmes jugés prioritaires.


Les sujets traités

La question des sujets traités est difficile à cerner : la critique des médias s’intéresse à la fois aux critères de choix de certains contenus par les médias et à la manière dont ces contenus sont traités ; ce dont les médias parlent (ou ne parlent pas) et comment ils en parlent. Ici, plus encore que dans ce qui précède, nous nous limiterons à indiquer les grandes tendances et les sujets qui ont un relief particulier.

Deux thèmes dominent nettement les publications : les questions sociales et les pratiques journalistiques [4].

- Questions sociales : Sur la période (cinq ans), elles occupent la première place, de 15 à 20% des publications : médiatisation des mouvements sociaux, des grèves, banlieues et faits divers, des conditions de travail des journalistes. Si l’on se rappelle qu’Acrimed est née en réaction au (mal)traitement médiatique de la grande grève des cheminots de 1995, on verra dans cette attention aux questions sociales une fidélité à ses origines en même temps qu’une sensibilité particulière au rôle que tiennent les médias dans la défense de l’ordre dominant face aux classes populaires et aux diverses formes de contestation de cet ordre.

- Pratiques journalistiques  : les publications concernant la presse (en crise), les éditocrates, les propriétaires et les journalistes des différents médias et leurs pratiques contestables, rassemblent autour de 15% des publications, ce qui ne saurait surprendre de la part d’une association de critique des médias. Par l’épinglage des éditocrates et experts associés, la dénonciation des connivences, renvois d’ascenseurs, ménages, et autres joyeusetés, il s’agit de mettre en évidence la manière dont la classe dominante et son idéologie libérale accaparent, sous différentes facettes, le petit monde des médias.

À part ces deux axes principaux de notre critique, dont la complémentarité n’aura pas échappé à la sagacité de nos lecteurs et lectrices, certaines observations supplémentaires peuvent être faites sur notre couverture thématique.

 Les articles concernant des événements situés dans des pays étrangers constituent 10% de l’ensemble, avec 121 articles. La plupart critiquent la manière dont les médias français traitent les événements d’autres pays (34 pays, mais particulièrement le conflit entre Israël et les Palestiniens, les pays du mal-nommé « printemps arabe », l’Ukraine, la Grèce, les États-Unis). Quelques articles sont des traductions d’articles de critique des médias autochtones, comme ceux provenant du site FAIR, un équivalent d’Acrimed aux États-Unis. Enfin, quelques articles de notre site sont traduits (anglais, italien, espagnol) à l’intention de nos nombreux lecteurs étrangers.

 La critique des sondages et de leur usage médiatique occupe, avec une régularité unique dans nos statistiques, six articles par an, soit 30 articles, notamment en période électorale, en compagnie d’autres articles sur le traitement médiatique des élections (42).

 Considérés comme des médias à part entière, malgré leur caractère marginal par rapport au recouvrement habituel de la notion de média, le cinéma et l’édition ont fait l’objet chacun de 18 articles [5].

 Par souci d’élargir nos centres d’intérêt à des domaines importants mais peu couverts au cours des dix premières années du site, deux thèmes ont été particulièrement traités ces cinq dernières années : le sexisme dans les médias, avec 36 articles et les rapports sport/médias avec 21 articles. Il avait également été question d’étendre nos approches critiques aux émissions de divertissement, mais les forces nous ont fait défaut pour cette entreprise. Avis aux amateurs !

 Même assez peu nombreux (une quinzaine) et rédigés presque exclusivement par une seule personne (Henri Maler), les articles traitant de la transformation des médias à travers les politiques gouvernementales, les propositions des candidats aux élections et surtout nos propres propositions, occupent une place significative dans nos productions récentes, place qui est appelée à s’agrandir dans le contexte actuel de crise de la presse.


Les médiacrates épinglés, voire dézingués

D’Aphatie à Zemmour, ils sont une cinquantaine (recension non exhaustive) à avoir bénéficié des attentions d’Acrimed au cours de ces cinq dernières années. Pour une fois à leur avantage, les femmes sont des cibles très minoritaires (mais elles le sont aussi dans le groupe de référence), avec cinq citations. Cela dit, Christine Ockrent, la reine des ménages, reste en bonne position. Quatre éditocrates figurent dans cette liste comme en quelque sorte les « marronniers » de notre critique des médiacrates, non qu’ils soient l’objet d’un acharnement particulier de notre part, mais simplement parce qu’ils offrent, avec une grande régularité à travers les années, une abondante matière à cette critique. Il s’agit de Laurent Joffrin, Jean-Michel Aphatie, Jean-Pierre Elkabbach, et, en tête, l’inoxydable Bernard-Henri Lévy (BHL pour ceux qui ne connaissent que la marque). À quelques tours de roue, Alain Finkielkraut, David Pujadas, Franz-Olivier Giesbert, Christophe Barbier, Nicolas Demorand, Alain Minc et Philippe Val se livrent une lutte acharnée pour figurer dans le peloton de tête, alors que parmi les propriétaires, Vincent Bolloré et Xavier Niel sont au coude-à-coude. Pas de nouvelles têtes dans ce palmarès : c’est qu’il faut un certain temps pour accéder au statut d’éditocrate ou médiacrate dans l’univers hiérarchisé des médias, sans compter la résistance des « anciens » qui s’accrochent à leur position de cibles privilégiées.

Comme nous l’avons déjà précisé à plusieurs reprises, les critiques que nous faisons de tel ou tel journaliste, éditorialiste, expert agréé par les médias, ne s’adressent pas à sa petite personne qui ne nous intéresse pas en tant que telle, mais à sa pratique professionnelle dans la mesure où elle cristallise des tendances à l’œuvre dans l’univers médiatique. Le choix d’une critique personnalisée a une vertu strictement pédagogique et l’avantage de la simplicité : elle donne un visage, une voix, une incarnation à l’objet de cette critique. Cela dit, les tenanciers des médias ne sont pas de simples instruments ignorants de leur rôle. Nos critiques et d’autres auront au moins permis de contraindre nombre d’entre eux, qui se croyaient ou prétendaient « objectifs », à avancer à visage découvert et à soutenir sans ambages l’ordre dominant.


Ouverture sur l’extérieur

Les textes que nous publions ne sont pas tous issus de nos rangs. Sur la période considérée, 21% d’entre eux proviennent de sources extérieures. Il s ‘agit de communiqués syndicaux ou de travailleurs en lutte et de reprises d’articles parus ailleurs, parfois de traductions, que nous publions avec l’autorisation de leurs auteurs. Symptomatique de notre politique pour un front commun de la critique des médias, cette ouverture de nos colonnes à des contributions extérieures s’inscrit dans la même perspective que notre participation très active aux « États généraux du pluralisme » de 2005 à 2008, notre présence à nombre de manifestations contre les politiques gouvernementales en matière de médias ou favorables au libéralisme (comme la réforme des retraites) et plus récemment, l’organisation de la « Journée de la critique des médias » du 31 janvier 2015 qui a rassemblé un large éventail de la « gauche de gauche ». Conscients que notre projet central de faire des médias une question politique, préalable indispensable à leur transformation, est irréalisable avec nos seules forces, nous sommes demandeurs d’actions communes avec les acteurs associatifs, syndicaux et politiques. D’où, entre autres, notre politique éditoriale ouverte, et ce depuis l’origine de l’association. C’est dans le même esprit que nous nous faisons l’écho d’autres critiques des médias que la nôtre, avec la série « Critique des médias sur le Web ».

De même que nous accueillons volontiers des interventions et contributions extérieures à notre association, nous allons tout aussi volontiers vers les autres instances qui agissent ou simplement informent dans le même sens que nous. Ainsi, nombre de publications du site ne sont pas à proprement parler des articles, mais des annonces relatives à notre vie associative dans ses manifestations extérieures : présentations et comptes rendus des « Jeudis d’Acrimed », communiqués de soutien à telle grève, telle manifestation, annonces de nos participations à de nombreux débats aux quatre coins du pays, notamment ces dernières années à l’occasion de la projection du film « Les nouveaux chiens de garde ». Ces activités de critique des médias qui ne relèvent pas de l’écriture d’articles sur notre site sont loin d’être négligeables avec 127 annonces sur les cinq dernières années, soit 10% des publications auxquelles il faut ajouter les 362 interventions extérieures de membres d’Acrimed qui ne sont pas recensées dans les publications.

Ces diverses activités d’ouverture et de coopération témoignent du fait qu’Acrimed est une association dédiée à la critique et la transformation des médias. C’est sur ce terreau que notre activité éditoriale, la plus visible, prend tout son sens.


***



D’aucuns ne verront peut-être dans ce bilan que pur nombrilisme : qu’ils nous pardonnent ! Ils se tromperaient en tout cas sur nos intentions. Car cette revue statistique de ces cinq dernières années donnera peut-être à certains de nos lecteurs une vue d’ensemble de notre production que ne permet pas la consultation occasionnelle de nos articles. Elle pourrait aussi leur permettre de comprendre que notre site, à l’instar de notre magazine Médiacritique(s), n’est pas seulement une production journalistique, fût-elle critique, mais l’expression d’une vie associative aux formes diverses, à laquelle nous ne pouvons que les inviter à participer.

Jean Pérès

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Il faudrait pour cela constituer nos publications en base de données indexée au moyen d’un langage documentaire spécifique à la critique des médias et saisie au moyen d’un bordereau normalisé. Ce qui reste possible, mais demande un investissement important en temps et en travail.

[2Sur le site, ces articles se situent sur la colonne « en bref ».

[3Cette expression définit un ensemble aux contours assez flous : articles d’une longueur inhabituelle et/ou faisant le tour d’une question, d’une situation.

[4Les sujets sont recensés au niveau de l’ensemble des publications (pas seulement des articles, mais aussi les communiqués, annonces, etc.).

[5On notera à ce propos la « Filmographie des documentaires sur les médias et le journalisme », travail considérable et unique en son genre de deux adhérents d’Acrimed.

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