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Les médias face à la manif’ « révolution fiscale » : beaucoup de bruit sur (presque) rien

par François Neveux, Henri Maler,

Ainsi, le 1er décembre 2013, le Front de gauche appelait à une « marche pour une révolution fiscale, la taxation du capital et l’annulation de la TVA ». Comme d’habitude, comme lorsque les agents de la SNCF sont en grève par exemple, la plupart des grands médias ignorèrent les motifs et les objectifs de cette marche, ne retenant, sans beaucoup d’explications, que l’annulation de la hausse de la TVA. Mais à la différence d’une grève de la SNCF, pas d’images à la télé des « usagers pris en otage ». Alors que faire ?

« Querelle de chiffres ? »

Évidemment il y eut « la querelle des chiffres », comme la nomme la langue automatique du journalisme dominant. Entre le chiffre de 7 000 marcheurs annoncés après hésitation par la Préfecture (et manifestement, si ce n’est intentionnellement, faux) et celui de 100 000 avancé par les organisateurs (et évidemment très exagéré), la plupart des médias se réfugièrent derrière de pieux commentaires : les uns, se parant d’objectivité, se bornèrent à constater la « querelle », tandis que d’autres s’appesantirent sur l’exagération. Est-ce parce qu’ils manquent de personnels que ces médias, à de rares exceptions près (Le Monde, Médiapart par exemple) ne procédèrent pas à leur propre estimation ? Ce serait pourtant « informer »…

Environ 30 000 dirent les médias nommés entre parenthèses.

- Le Monde (« Combien de participants à la manifestation du Front de gauche ? ») déclare que la journaliste présente à la manifestation « évoque, de même que d’autres journalistes sur place (dont Mediapart, qui a tenté de comptabiliser) 20 000 à 30 000 personnes au plus ».

- Mediapart (« Le Front de gauche se remobilise frileusement »), mentionnant les deux chiffres proposés, écrit : « Comme souvent, la vérité se trouve plus sûrement au milieu, l’affluence se situant autour des 30 000, sans compter « une quarantaine de rassemblements » en province. Davantage que lors de la manifestation quimpéroise des Bonnets rouges il y a trois semaines. Car c’était là l’objectif affiché par les organisateurs les plus raisonnables et raisonnés de l’après-midi. »

- Ce que confirme, à sa façon, sans donner de chiffre… Le Figaro (« La « révolution fiscale » manquée de Mélenchon ») : « […] les manifestants, au plus fort de l’après-midi, étaient bien quelques dizaines de milliers. De quoi rivaliser sérieusement avec les "bonnets rouges" réunis samedi à Carhaix. »

La prudence de quelques autres commentateurs a toutes les apparences de l’objectivité désintéressée.

- Le Huffigton Post préfère ne pas se mouiller : « La tête du défilé était arrivée à Bercy à 15h15 tandis que la queue de la manifestation se trouvait encore gare d’Austerlitz, à près d’un kilomètre de là, ont constaté des journalistes de l’AFP. Présent sur place, Le HuffPost a pu constater une forte affluence au niveau du boulevard de l’Hôpital, comme l’attestent les photos diffusées par les organisateurs. Au niveau de la place Berstein, où se tenait le meeting de clôture, les manifestants étaient plus clairsemés, interdisant toute estimation fiable. »

- Le Point (« Melenchon : guerre des chiffres et effet d’optique ») atténue autant qu’il est possible le chiffre préfectoral : « […] la préfecture de police de Paris se montrait (à peine) plus prudente [que le Front de gauche revendiquant 100000 manifestants], en évoquant... 7 000 personnes […] »

- Olivier Duhamel (expert-politologue-chroniqueur tout-terrain et proche du PS), modère ardemment pour le Lab Europe 1 : « Ils étaient peut-être plus de 7 000 ce dimanche à partir de la place d’Italie. Plus de 7 000 mais nettement moins que 100 000. »

Si Mediapart et Le Figaro, par exemple, relèvent un succès (par rapport à la manifestation des « bonnets rouges »), la plupart des zélés commentateurs déclarent un échec. Peu importe : les faits ne sont pas aussi sacrés qu’on le dit, mais les commentaires – heureusement – restent libres !

« Mise en scène » ?

Mais le clou de la soirée – qui se poursuivit le lendemain – fut la découverte d’une mise en scène.

Rappel des faits : à 13h03, le dimanche, soit une demi-heure avant le départ officiel de la manifestation, Jean-Luc Mélenchon est interviewé en direct par Claire Chazal dans son journal télévisé. Derrière lui, cadré en plan serré, des militants sont regroupés avec une banderole et des drapeaux. L’image pourrait laisser croire que Jean-Luc Mélenchon se trouve devant la foule prête à partir ; or une photo, prise par un journaliste collaborateur de France 24 (notamment) depuis son balcon, montre qu’en fait de foule, il n’y a qu’une poignée de personnes derrière le co-président du Parti de gauche.

Le Parisien, par exemple, relate ainsi ce qu’on lira et entendra partout ailleurs : « D’après une photo prise d’un balcon par un journaliste néerlandais au moment de l’interview, il n’y avait, en fait, qu’une vingtaine de militants sur l’avenue des Gobelins à ce moment-là. Ils auraient été regroupés – à la demande des journalistes ou de l’ancien candidat à la présidentielle – derrière le coprésident du Parti de gauche pour donner l’impression d’un grand rassemblement. "J’ai été surpris de voir des manifestants arriver là alors que la manifestation commençait plus loin, place d’Italie, à environ 150 mètres. Puis, j’ai vu que Mélenchon arrivait, c’était clairement une mise en scène, c’était flagrant. En plus, ils ont utilisé un zoom, ce qui donne l’impression que Mélenchon est entouré d’une énorme foule, alors qu’il s’agissait de 20 à 30 personnes", a commenté Stefan de Vries, correspondant en France de RTL Pays-Bas et chroniqueur pour France24 et La Croix. »

L’occasion est trop belle : l’image est aussitôt reprise par plusieurs militants et sites de droite, puis des journalistes, comme si elle parlait d’elle-même. Et pourtant…

Stefan de Vries était en congé : on peut, à la rigueur, comprendre qu’il ne soit pas descendu de son balcon pour interroger TF1 et les manifestants sur les faits eux-mêmes et leur contexte. Mais qu’est-ce qui l’autorisait dès lors non à constater une mise en scène, comme il en existe tant, mais à la dénoncer ? Et surtout, les collègues en exercice de Stefan de Vries, se sont eux aussi privés, mais sans le moindre alibi, de respecter les B-A BA du journalisme : vérifier, recouper, contextualiser, pour savoir ce qui s’est réellement passé et pour quelles raisons. Aucune vérification, aucun recoupement, aucune contextualisation. Le CSA, si féru de déontologie va-t-il se pencher sur tant de désinvolture ? Que nenni : non seulement il n’a en charge que l’audiovisuel, mais ne s’intéresse guère à de si futiles questions.

C’est sans doute pour avoir cru, elle aussi, que les images parlent d’elles-mêmes, que Claire Chazal, voyant les images sur son écran de contrôle, n’a pas pu s’empêcher de les commenter en parlant de manifestants qui « se massent » derrière Mélenchon. Son interprétation qui faisait ainsi « parler » les images fut attribuée à une volonté de Mélenchon de mettre en scène une manifestation « massive »… alors que celle-ci n’avait pas commencé !

Bienheureux les journalistes qui ont fait mine de découvrir que les meetings publics et les manifestations donnent lieu à des mises en scène, préparées par les organisateurs et/ou les médias eux-mêmes.

Si les écoles de journalisme délivraient un peu de culture générale, leurs ex-étudiants sauraient que Patrick Champagne, analysant en 1990 le « nouveau jeu politique » – dans Faire l’Opinion – observait déjà l’émergence de « manifestations pour journalistes ». Et s’ils étaient moins amnésiques, ils auraient dressé la liste de quelques « bidonnages » retentissants ou de quelques incongruités ? Pour mémoire et à titre d’exemple :

- « Manipulation » des chiffres ? Le 14 avril 2012, Nicolas Sarkozy tient meeting à la Concorde. Pour Mediapart, François Bonnet (« Sarkozy à la Concorde : Y’a quelqu’un ? ») souligne : « Les 100 000 ou les 120 000 personnes n’étaient pas là. Il y avait certes du monde mais en aucun cas cette marée humaine revendiquée. Quelques calculs et observations permettent de donner une estimation plus réaliste : c’est environ 25 000 personnes qui sont venues soutenir Nicolas Sarkozy ce dimanche. » Cette « affaire » ne fit pas grand bruit…

- « Instrumentalisation » des médias ? Le Monde (« À la Concorde, Sarkozy appelle ses partisans à "un choix historique" », 15 avril 2012) relate une « mise en scène » particulière : comment jouer non avec des images, mais avec la montre : « À la tribune, le tempo s’accélère. Guillaume Peltier, l’étoile montante de l’UMP et l’ancien ministre socialiste Claude Allègre apprennent qu’ils sont privés de discours. Nicolas Sarkozy a décidé dans la matinée de commencer son intervention à 15h30 au lieu de 16 heures. Officiellement, c’est parce que la pluie s’annonce. En réalité, il ne veut pas se laisser griller par François Hollande qui parle à cette heure-là. Pis, les chaînes d’information continue avaient décidé de diffuser en direct le discours du candidat socialiste, puis, en différé, celui du président sortant. En grillant la politesse à François Hollande, le candidat UMP a été diffusé en premier par BFM TV. » Amusant ?

Et quand les meetings pré-électoraux sont filmés par des équipes de tournage des candidats eux-mêmes, les chaînes se bornant à signaler la source lors de leur diffusion, on entend peu de cris d’indignation des responsables des télévisions.

Mais, avec la mise en forme de l’interview de Mélenchon, l’occasion était trop belle : n’écoutant que leur cœur, certains ont gaiement emprunté les raccourcis, en faisant de l’image-qui-parle-toute-seule une preuve de l’échec de la manifestation.

- C’est, par exemple, le cas, sur Twitter, de ce journaliste de M6, qui a écrit : « Une manif efficace : 100 000 selon Mélenchon, 50 selon... la photo ».

- Le Point (« Mélenchon : guerre des chiffres et effet d’optique »), après avoir décrété que « la préfecture de police de Paris se montrait (à peine) plus prudente [que le Front de gauche revendiquant 100 000 manifestants], en évoquant... 7 000 personnes […] » laisse entendre que les images de l’interview de 13h sont celles de la manifestation proprement dite : « On y voit un photomontage qui montre Jean-Luc Mélenchon répondant aux questions de Claire Chazal, dans le JT. Derrière lui, une foule impressionnante agite drapeaux et slogans. À en croire ce plan, il y a effectivement beaucoup de monde à cette manifestation. Mais un autre angle sur cette même scène apporte un éclairage radicalement différent. Une photo, prise en hauteur, montre l’équipe de TF1 au moment de l’interview de Mélenchon. Et là, surprise, la foule supposée de militants n’est en fait qu’un carré, opportunément regroupé et placé de manière à donner l’impression de marée humaine. »

- Quant au Huffington Post, il vend la mèche (« Marche de Mélenchon : la guerre des chiffres relancée par un montage-photo ») : « La distorsion entre les images diffusées à la télévision et la réalité pourrait également jeter un trouble sur la crédibilité de Jean-Luc Mélenchon quand il annonce la présence de 100 000 personnes à sa marche tandis que la préfecture de police n’en a annoncé que 7 000. » Un trouble qui ne doit rien, évidemment, à la médiatisation forcenée de cette « distorsion » !

Mercredi encore, et bien que la réalité se soit révélée, comme nous le verrons, beaucoup moins accommodante qu’ils le voulaient, les sites d’extrême droite ne démordaient pas de leur fantasme, Valeurs actuelles publiant par exemple un article dans lequel on lisait : « Mélenchon annonce 100 000 personnes, la police en recense 7 000. C’est compter sans le cliché pris par un journaliste néerlandais de France 24, témoin de la scène depuis son balcon, qui révèle une tout autre réalité : la foule entourant Mélenchon n’est composée que d’une vingtaine de personnes astucieusement massées derrière lui. »

La palme de l’indignation (amusée, il est vrai) revient sans doute au « Petit journal » de Canal Plus dont les propres « bidonnages » sont une spécialité et qui crut bon de s’extasier devant la mise en scène effectuée par TF1 avec la complicité des manifestants du Front de gauche ou par des manifestants du Front de gauche avec la complicité de TF1.

Le comble du ridicule revient au CSA, cet organisme croupion et fantoche, qui, se piquant de déontologie (ce qui ne devrait pas être son rôle), a décidé de se saisir de « l’affaire ». La semaine dernière, il a déjà mis TF1 en demeure après que celle-ci a, « maladroitement » selon elle, décalé de quatre secondes le son de huées accueillant François Hollande lors d’un déplacement.

Enthousiaste, Le Parisien annonce la bonne nouvelle (« Interview de Mélenchon sur TF1 : le CSA se saisit du dossier ») en ces termes : « L’interview de Jean-Luc Mélenchon au JT de TF1 de dimanche 1er décembre va être examinée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en groupe de travail "déontologie". L’instance dirigée par Françoise Laborde devra juger si la chaîne a manqué de rigueur professionnelle […] ». Sauf erreur de notre part, Françoise Laborde, convaincue de plagiat [1], n’est pas chargée de la « déontologie » [2] et, manifestement, la déontologie du CSA ne s’applique pas à elle ! Si elle était chargée de cette mission, ce serait un comble.

De surcroît et surtout, comme le souligne le SNJ dans un récent communiqué, prendre en charge la déontologie est, pour le CSA, un excès de pouvoir : « Le CSA est une institution administrative, dont les responsables sont nommés par le pouvoir politique, et n’a aucune légitimité à traiter de la déontologie des journalistes. La loi ne lui en donne pas mission. »

Peu importe les faits donc, pourvu que l’on ait l’ivresse des commentaires. Nous vous en offrons quelques exemples en « Annexe ».

Un « coup monté » ?

Il aura fallu attendre mardi après-midi pour avoir quelque chose qui ressemble au fin mot de l’histoire : Jean-Luc Mélenchon a alors expliqué sur son blog (« le coup monté ») dans quelles conditions ces images ont été produites.

Quelle manipulation, dit-il, puisque le Parti de gauche (avec son accord) a lui-même posté sur Twitter cette image où l’on voit assez distinctement que le boulevard est vide ?

Jean-Luc Mélenchon écrit notamment :

« La révélation n’en est pas une. Le choix de la rue n’est pas celui de TF1 mais le mien car je voulais enchaîner le repas et l’interview avant la marche. Je ne mange jamais sur le bord du parcours (sinon je ne mange pas). Nous sommes donc à deux cent mètres de la tête du cortège, dans une rue parallèle. Révélation : j’ai mangé une omelette au jambon. TF1 n’a donc pas du tout reconstruit une scène ! L’interview a lieu une demi-heure avant l’heure officielle de la marche, une heure avant son départ. Où est mon intérêt de parler devant une rue vide ? Vous croyez que nous ne regardons pas la télé ? Notre méfiance est donc totale à propos des images qui vont être diffusée. Le service d’ordre qui sécurise la rue ou je me trouve repère les militants du Bas-Rhin qui sont parti à cinq heures du matin et qui viennent d’arriver en haut de la rue. "Jean-Luc va parler là-devant à TF1". Ah oui, on vient faire nombre ! Ni plus ni moins que du très banal : les militants se groupent derrière leur porte-parole quand la télé est là. Les suporters de foot en font autant et les militants syndicalistes autant. Je félicite mes camarades. Et je répète le conseil : quand vous voyez la télé, faites groupe et sortez vos drapeaux. Ne les laissez jamais montrer des images défavorables. Dans la circonstance, il n’y a donc aucun montage ni de ma part (je découvre les camarades en arrivant) ni de TF1, qui s’est installé avant que qui que soit ait décidé quoi que ce soit. »

C’est en substance la même version qu’il donne au Grand journal de Canal Plus, face à des interlocuteurs qui rigolent.

Des journalistes peuvent-ils douter de la véracité de ces explications ? Sans doute. Mais pour les mettre en question il faudrait – il aurait fallu – enquêter. Et cela d’autant plus que ces explications sont, à tout le moins, vraisemblables et que l’hypothèse d’une manipulation délibérée de TF1 par Jean-Luc Mélenchon n’est guère crédible. Quant à la chaîne, comment imaginer, en acceptant cette mise en scène, qu’elle n’a pas agi selon des habitudes propres au journalisme télévisé ? Les conditions de fabrication, souvent lamentables, d’un journal de télévision imposent fréquemment de composer sciemment des images, ne serait-ce que quand il est demandé à un témoin d’agir devant la caméra « comme il le fait d’habitude ». Ceux qui s’indignent de cette mise en image – qui aurait pu connaître le même destin que les autres, c’est-à-dire passer inaperçue – ne peuvent pas ignorer, du moins l’espère-t-on, que presque tout ce qu’ils voient dans les émissions d’information a aussi fait l’objet d’une construction, plus ou moins volontaire ou habile qui vise à esthétiser ou recréer la réalité. Faute de moyens, la nécessité de produire des images au jour le jour, parfois en direct, impose aux journalistes, qui font fréquemment de nécessité vertu, de forcer les faits à se produire sous leurs yeux, sans pouvoir attendre qu’ils se produisent par eux-mêmes. Pour ne rien dire du fait que tout acteur ou témoin, en présence d’une caméra, cesse d’être lui-même et modifie son comportement pour se présenter sous tel ou tel jour...

Ainsi, Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de gauche, a justifié au Huffington Post une mise en scène qui, aussi discutable soit elle, n’est pas plus scandaleuse que bien d’autres : « Les images ont une dimension politique, nous le savons bien. Pour présenter une manifestation, on n’allait pas faire l’interview dans une rue déserte. Il est donc logique d’avoir voulu donner une dimension militante aux images ».

Le prétexte était ainsi tout trouvé, pour quelques journalistes soudain mobilisés, de « régler son compte » à Jean-Luc Mélenchon, dont la contestation de quelques pratiques médiatiques n’a pas l’heur de leur plaire et, au passage, comme si de rien n’était, à l’ensemble des positions défendues par des marcheurs qui n’étaient pas tous, loin s’en faut des sympathisants du Parti de gauche ou du Front de gauche.

* * *

Dure leçon de choses. Acrimed n’a cessé de mettre en garde les contestataires (sans leur prescrire la « bonne solution ») contre les risques de la personnalisation et de la médiatisation à tout prix [3]. Que les collectifs doivent être incarnés par des porte-paroles va de soi. Mais pas au point de laisser les médias construire des personnages médiatiques qui échappent aux collectifs : il en fut ainsi avec Georges Marchais ou plus récemment avec José Bové (le « gaulois destructeur de Mc Do ») ou Olivier Besancenot (le « facteur de Neuilly qui roule à bicyclette »). Que des contestataires veillent sur les conditions de leur médiatisation, rien de plus normal. Mais quand le souci d’obtenir de belles images militantes fait fi de toute réserve, c’est la crédibilité de la critique de la construction médiatique de l’information qui en pâtit.

Henri Maler et François Neveux


Annexe : L’ivresse des commentaires

(1) Sur i-télé, tous les soirs à 22 h30, « Léa Salamé, nous dit-on, reçoit plusieurs invités qui débattent sur les sujets chauds de l’actualité du jour, dans l’émission : “On ne va pas se mentir” ». Question du jour, le 2 décembre : « Mélenchon pris en flagrant délit de mise en scène ? » ? Les interventions de la journaliste se passent de longs commentaires « Le révolutionnaire s’est trouvé une nouvelle cause ». Première question : « Sur ce qui s’est passé hier : bide ou pas bide ? ». Deuxième question adressée à Florian Philippot, vice-président du FN « Jean-luc Mélenchon appelle à une révolution fiscale, alors que les Français sont presque allergiques à l’impôt, est-ce que ce n’est pas un peu décalé ? Est-ce que ce n’est pas déphasé ? [ ???] Quand on connaît ces militants qui viennent du public, qui sont des profs, qui… [???]  ». Puis on en vient à plus important encore, l’interview accordée à TF1 : « Qu’est ce qui s’est passé ? » et d’asséner : « Jean-Luc Mélenchon pris en flagrant délit de mensonge ». Arnault Champremier-Trigano, président de Médiascop explique (de façon très convaincante), pourquoi et comment se construisent ces images. Elle ponctue : « C’est ironique, quand même de la part de celui qui a beaucoup tapé sur les médias ! » CQFD.

(2) Le « 5/7 » de France Inter reçoit chaque main des chroniqueurs politiques. Le mercredi, c’est au tour de Charlotte Chaffanjon, journaliste politique au Point, dont le site reproduit l’intervention. Le 4 décembre, sa chronique s’intitule : « Mélenchon : Robespierre est isolé ! »

Morceaux choisis :

« De la manif de Jean-Luc Mélenchon dimanche on ne va retenir qu’une chose : la querelle de chiffres. Étaient-ils 7 000 comme le dit la police ou 100 000 comme le dit Jean-Luc Mélenchon ? Le débat s’est intensifié - au point que Mélenchon a été au Grand Journal de Canal+ hier soir pour ne parler que de ça -, car une photo a circulé sur les réseaux sociaux. On y voit que Mélenchon a mis en scène une foule, alors qu’il y avait peu de monde […] En deux ans, son aura s’est beaucoup ternie. […] Et le voilà aujourd’hui qui rêve de prendre la place du PS comme première force de gauche dans le paysage politique, mais qui n’arrive même plus à faire passer le moindre message, même lorsqu’il fait descendre le peuple dans la rue ! C’est vrai qu’on ne sait pas trop ce qu’il a dit, dimanche... En gros, il dit que nous sommes aux prémices d’une révolution. Cette manif dimanche, c’était pour appeler à une révolution fiscale. […] Mélenchon est trop violent. À force d’être dans la critique systématique et outrancière, il devient difficile de faire le tri dans ses attaques... C’est contre-productif. […] Mais la vraie élection qui l’intéresse, c’est la présidentielle, pour se venger de François Hollande. […] »

(3) Sur D8, « Touche pas à Mon poste », l’émission de Cyril Hanouna [4], est interrompue par une chronique : « Les news de Cham » [5]. On se borne à mentionner sans recul le chiffre de 7000 de la Préfecture pour tourner en dérision le chiffre de 100 000, le tout est suivi d’une séquence sur les lunettes de Mélenchon. Prétendue drôlerie et réelle dépolitisation.

(4) Même la Suisse est gagnée par le soulagement indigné. Le 2 décembre, sous le titre « Le “Mélenchon qui fait peur”, c’est fini », Le Temps proclame : « Son verbe et sa capacité d’indignation sont salués, mais ils ne portent plus. Le Front de gauche s’étiole, comme l’a montré la manifestation manquée de Paris ce dimanche. Du coup, son patron n’apparaît plus guère que comme un héros romantique. »

(5) Mercredi 4 décembre, au cours de l’émissions d’Europe 1 intitulée « Le temps des médias » (9h-10h30), Thomas Joubert revient sur la polémique (« Polémique autour d’une interview de Jean-Luc Mélenchon). Il résume en quelques phrases et à toute vitesse les explications détaillées fournies la veille par Mélenchon sur le plateau du Grand Journal, puis en diffuse un très bref passage au cours duquel Mélenchon déclare, mais entre autres…, que l’affaire n’est pas une info. Et Jean-Marc Morandini, grand prix de l’excellence journalistique et grand prêtre de l’émission d’Europe ne retient que ce membre de phrase et conclut : « Il dit que ce n’est pas une info. Juste, ce n’est pas à lui de décider ce qu’est une info ». C’est vrai ça : Morandini suffit bien à cette tâche.

Et pour finir ?

Comble de l’affaire : mardi soir, recevant Mélenchon pour lui demander de s’expliquer sur la manipulation dont lui et TF1 s’étaient rendu coupables, Le Grand Journal a diffusé des images d’une manifestation qui n’était pas celle de dimanche. Il s’agissait en effet de la marche organisée la veille à la Bastille contre le racisme. L’erreur avait déjà été commise par i>Télé dimanche lors d’une interview de Jean-Luc Mélenchon post-manifestation. La chaîne a reconnu la confusion, en plaidant « une erreur d’indexation des images au service documentation […]. Des images de la manifestation du 30 novembre du FG contre le racisme ont été mélangées à des images de la manifestation du 1er décembre. Quand on a rappelé les images pour les utiliser en illustration, elles ont été mélangées et mises bout à bout. »

 
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Notes

[2Selon le site du CSA, le groupe de travail en question (« Déontologie de l’information et des programmes audiovisuels ») est présidé par Nicolas About (Ancien cadre de l’industrie pharmaceutique et président du groupe Union centriste du Sénat entre 2004 et 2011), que tout prépare à cette fonction, et vice-présidé par Mémona Hintermann-Afféjee (ex-journaliste de France 3).

[4Le pauvre animateur à 25 000 euros par mois qui s’est plaint d’avoir des fins de mois difficiles, avant de s’excuser « s’il a pu choquer ».

[5Voir la vidéo mise en ligne sur le site MeltyBuzz, sous le titre flamboyant « Touche Pas à Mon Poste : Jean-Luc Mélenchon démasqué par Bertrand Chameroy ». Rien que ça !

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