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Tribune

L’information Glamour, l’actualité soap-opera et le sourire de Laurence Ferrari

par Hassina Mechaï,

Nous publions ci-dessous, sous forme de tribune [1], une contribution à l’analyse de la présentation des journaux télévisés (Acrimed)

Laurence Ferrari est blonde, bronzée et souriante. Elle est le symptôme, à l’instar de ses collègues Drucker (Marie), Lapix, Delahousse et autre Roselmack, d’un genre nouveau dans la présentation des journaux télévisés, que l’on pourrait appeler « l’info glamour » ou le « Glam’news ».

De l’info glamour…

« L’info glamour » suppose que pour annoncer les heurts et les malheurs du monde, un physique avenant est toujours un avantage. Ainsi, pour décrire les ravages des typhons sur l’Asie, un frais minois fera merveille. Pour décrire les soubresauts de l’économie mondialisée, de grands yeux bien soulignés nous convaincront d’en avoir vu toutes les subtilités.... Des cheveux soyeux, des vêtements bien ajustés, des dents ultra-britées éclaireront ainsi au mieux de leur lumière blême l’actualité sombre et dantesque.

I-Télé et LCI sont à la pointe de ce genre, et frôlent même le ridicule... Parfois, devant leurs JT, on se demande, un peu éberlué, si la rédaction ne s’adresse pas plus à la libido du spectateur qu’à son « cogito »..

Oui, le physique des journalistes a bien changé. Il n’y a pas si longtemps, deux sortes d’ « archétypes » se partageaient l’affiche médiatique : d’abord celui du journaliste de terrain, baroudeur, en veste kaki pleine de poches utiles, les joues bleues d’une barbe négligée. Dorénavant, observez les envoyés spéciaux des grandes chaînes : même au plus fort des grandes catastrophes, ils ont le cheveu lustré, discipliné, l’habit comme passé à l’amidon, et sont éditorialement corrects ; ils semblent souvent déplacés, vêtus comme au sortir d’une réunion de jeunes cadres dynamiques, alors même qu’ils se trouveraient au plus fort de l’œil du cyclone médiatique. La silhouette du journaliste en rédaction était tout autant « archétypée » : une veste en velours côtelé, des cigarettes grillées l’une sur l’autre, le genre « intellectuel-négligé-mais-non-négligeant », au plus près des réalités sociales car « voyez mon absence de parure »...

Et maintenant, que voit-on dans la lucarne magique ? Des ersatz d’acteurs, comme tout droit sortis d’un soap-opéra, images de papier glacé qui s’animent sur l’écran brûlant d’actualité ; sauf que ce ne sont pas les aventures de Kelly et Dylan qu’ils commentent, mais celles de Condy et Nicolas ou de Silvio et Vladimir...

Même la façon de parler de ces présentateurs a changé. On peut dire que chaque chaîne a son empreinte vocale. Le ton sur TF1 est rassurant, maternant et les mots quasi susurrés par PPDA (jusqu’à son licenciement…) et Chazal. Tout cela comme si on ne voulait pas trop effrayer la mémé-nagère de 50 ans qui pourrait fuir avec son cerveau disponible sous le bras si les informations de TF1 devenaient trop anxiogènes. Même la météo sur Bouygues-tv est rassurante, toute d’azur serein, au plus fort d’un temps exécrable. Décidément, Il n’y a pas qu’au sein de la commission Copé que Bouygues faisait la pluie et le beau temps...

Sur TF1, c’est l’info-prozac, qui ensommeille au lieu de réveiller et prépare doucement à l’apathie sociale devant les longs tunnels de pub, lesquels sont parfois interrompus par une série américaine rassurante où le Bien à la mâchoire carrée gagne toujours à la fin.

Le ton sur France 2 copie hélas de plus en plus celui de TF1, Pujadas oblige. On se prend presque à regretter les Sérillon, Masure et autres neiges journalistiques d’antan qui d’un sourire, d’un coup d’œil plus appuyés soulignaient, stabylosaient presque, une information. Reste alors France 3, où le ton reste volontairement professionnel, mesuré, et où le présentateur (du moins quand il s’agit d’Audrey Pulvar) s’efface, encore, devant l’actualité pour mieux en souligner les enjeux.

Quel est donc le ton adopté dans le « Glam’news » caractéristique des chaînes nouvelles d’information en continu ? Celui justement d’un acteur ou actrice... Les mots sont hachés, martelés, déclamés... Et plus l’information donnée est anodine, plus le ton est posé haut, articulé à s’en décrocher la mâchoire. Le regard des glam’ présentateurs est également souvent fixe, les yeux écarquillés comme ceux de l’hypnotique Kaa du Livre de la jungle : ce qui ne peut laisser d’inquiéter jusqu’à ce qu’on se rende compte que ce regard immobile n’est dû qu’à la lecture intense du prompteur.

Et c’est en cela que se dégage l’impression tenace d’être en face d’un soap-opéra : même facticité dans le ton, même fixité dans l’image, même pesanteur d’énonciation pour de vaines choses, et surtout même dramaturgie dans la construction de l’actualité, même esthétique de l’image magique.

C’est l’information-cosmétique, laquelle est tout autant tournée vers l’apathie sociale que l’information-prozac de TF1, plus old-school désormais. Ce type d’information reste en surface des choses, elle est épidermique tant dans son peu de profondeur que dans les réactions qu’elle suscite.

…à l’info soap opéra

Plus largement, la construction dramaturgique de cette information fait appel également aux codes des soap-opéras. En effet, l’information-cosmétique nous inscrit dans un flot continu d’informations non pas objectivées par le travail journalistique mais continuellement ramenées à des échanges tout empreints des passions et errances humaines. Au lieu de transformer le monde en objet d’étude, ce qui amène à la distanciation et à la compréhension, l’information soap-opéra nous plonge directement dans ses affres.

Elle confond cause et conséquence, raison et sentiment, personnalise tout problème puisque toujours elle aborde les reportages par le biais d’un regard particulier, donc réducteur. Elle est ainsi incapable de conceptualiser puisque le concept peut difficilement avoir une empreinte cathodique mais nécessite la trace écrite pour être, au mieux, saisi.

Puisque, toujours dans cette logique de « soap-operasitation » (horrible barbarisme), il n’y a jamais de fin à l’actualité : celle-ci est envisagée comme un flot continu, sans tenant ni aboutissant. D’où parfois les mots empruntés au vocabulaire de la mise en scène : « rebondissement dans l’affaire X », « les protagonistes du conflit Y », « la tragédie de W », « le théâtre du drame », « le coup de théâtre »...

C’est également une information sans mémoire, qui nous inscrit dans un présent perpétuel, perpétué. Un présent coupé du passé originel et sans conséquences apparentes sur le futur. L’information nous déconnecte dès lors de la mémoire et de la prospective : l’actualité est ainsi mono-temporelle, perpétuellement dans un présent déréalisé car coupé de ses causes et sans conséquences.

De plus, l’information-cosmétique scrute le monde comme une vaste scène dans laquelle le présentateur aurait un rôle de coryphée, faisant le lien entre nous et les protagonistes. Et par la construction dramaturgique du JT, l’audience (dans les deux sens du terme), c’est-à-dire vous et moi, est invitée à monter sur scène et à jouer le rôle du chœur qui scande l’action au lieu de garder la neutralité objective du spectateur, la place qui permet pourtant au mieux la compréhension.

Avec ce genre d’information, c’est toujours « suite au prochain épisode », sauf qu’il n’y aura jamais de fin, à l’instar de ces soap-operas qui durent depuis 25 ans aux Etats-Unis. Et c’est justement cette narration hachée qui nous empêche de nous poser, de réfléchir, de prendre le recul nécessaire. Et d’ailleurs pourquoi le faire puisque la fin est sans cesse reportée ?

Exactement comme chez Homère qui narrait les turpitudes des dieux immortels et tout comme les soap qui scénarisent à l’infini les atermoiements à rallonge des favorisés, il ne faut pas qu’il y ait de fin à ce genre d’information... Nicolas Sarkozy, qui se vit justement comme un personnage de soap-opera, est celui qui a le mieux profité de cette information-cosmétique, tant les codes lui en sont familiers. Il nous donne ainsi sa vie de festin permanent à contempler en espérant que les miettes cathodiques qui en tombent nous rassasieront.

Pour résumer, si l’info-prozac nous calme, l’info soap-opera nous maintient dans un suspense fiévreux, une attente toujours différée. Mais toutes deux sont aussi stériles l’une que l’autre car elles épuisent efficacement toute action individuelle, souvent éteinte, consumée par la réaction devant son poste de TV. Réaction n’est pas action hélas.

L’information télévisée éclaire ainsi le monde pour parfois mieux nous le cacher. Eclairage chétif, tremblotant, à la lampe de poche pour l’info-prozac, et éclairage au spot-light, aveuglant pour l’information soap-opéra.

Ainsi a pu se finir un soir le JT de PPDA, lequel, avec sa voix pro"z"aïque, a conclu : « Voilà ce que vous deviez savoir sur l’actualité de ce jeudi... ». Et que ne devions-nous pas savoir au juste ?

Ainsi pouvait se conclure l’émission politique de Laurence Ferrari qui nous invitait à retrouver les « confidences » de ses invités du jour sur le site Canal-plus. « Confidences » ? Le mot laisse rêveur. Désormais, l’homo politicus se confie, il ne déclare pas ; pas plus qu’il ne gouverne d’ailleurs, puisque maintenant il « gère ».

Ah, justement, Laurence Ferrari...

Le sourire de Laurence Ferrari

L’émission politique qu’elle présentait il y a peu de temps encore - « Dimanche + » - était un modèle du genre de l’information « soap-opera ». En effet, souvent, lors des interviews, Laurence Ferrari laissait errer sur ses lèvres un sourire un tantinet moqueur. Plus l’homme ou la femme politique semble s’être mis sur des rails lubrifiés par la langue de bois, plus l’œil de Laurence Ferrari frisait, étincelait, et plus son sourire s’étirait. On se disait alors qu’elle nous envoyait des signaux, qu’elle déjouait par ce seul sourire toute la machine communicationnelle. Hélas non, cela aurait été trop simple ! Car, si d’apparence ce sourire nous était complice, si on pensait, naïvement, qu’il nous invitait au dévoilement et à la vérité. il était, de fait, partie prenante de la comédie qui se jouait.

Son sourire nous était facticement adressé. Car toute la construction scénarisée de son émission montrait que ce sourire était de fait pour l’interviewé, sourire de connivence qui les liait et nous laissait, nous spectateurs, hors cadre.

Dès lors, Laurence Ferrari gagnait sur les deux tableaux, car tout en donnant l’illusion de témérité et de controverse, ce sourire rassurait de fait l’invité, semblant lui rappeler que tout cela n’était que mascarade et mise en scène. Tout le monde en sortait gagnant : le public qui reflétait ce sourire, flatté dans son illusion de ne pas être dupé ; l’invité qui se donnait à peu de frais le délicieux frisson d’avoir été interrogé avec pugnacité ; et enfin la journaliste qui, dans un rôle médian, flattait à la fois le public et l’invité, gagnant aisément une réputation d’intervieweuse de choc.

Car c’est justement là que le problème se pose : toute la construction de son émission était celle d’un soap-opera. La séquence « Le château » n’avait ainsi rien de kafkaïen : les hommes politiques étaient appelés par leurs prénoms et une voix off égrenait, sur le mode récapitulatif, les anciens épisodes, où comment Nicolas en voulait à François, comment Ségo a taclé Martine ou comment Dominique attendrait patiemment son heure. Le titre même – « Le château » - nous plongeait dans le monde olympien des happy few de la politique, à l’instar des soap-operas souvent tournés sociologiquement vers l’upper classe.

Les reportages mettaient en scène des journalistes tenaces certes mais qui posaient souvent des questions personnalisées portant plus sur les coulisses de la politique, parfois même sur sa basse-cuisine peu ragoûtante sans l’excuse d’une mise en perspective plus large....Gossip’ (ragots) news donc !

Dominique Voynet, invitée il y a quelque temps sur Canal Plus, avait eu l’imprudence de croire qu’elle pouvait s’y exprimer sérieusement : elle s’était lancée bien naïvement dans l’explication des conséquences apocalyptiques des errances écologiques. Elle fut gracieusement interrompue par Laurence Ferrari, éternellement souriante, avec ces mots : « Revenons à la politique...que pensez vous des guerres entre éléphants au sein du PS »... bigre, effectivement, revenons à la politique...

Nul doute que Laurence Ferrari, passée à TF1, sait désormais en parler au mieux.

Cependant, encore faudrait-il que la greffe du style information-cosmétique prenne sur la chaîne de l’information-prozac. En effet, il semble que Laurence Ferrari fasse peur aux téléspectateurs. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce qui lui est reproché est justement un ton trop rapide, trop martelé, loin du susurrement « ppdéesque ». La Grande messe du 20h n’a pas besoin en effet d’imprécateur mais d’un consolateur ou d’une consolatrice qui promet, tout au long des informations, que l’enfer c’est pour les autres et que tout va au plus mal (pour eux) dans le meilleur des mondes (pour nous).

Il reste donc à Laurence Ferrari d’adoucir son ton, de le rendre maternant, pour que tout aille au mieux pour elle dans le meilleur des mondes aseptisé de TF1.

Hassina Mechai

 
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Notes

[1Les articles publiés sous forme de « tribune » n’engagent pas collectivement l’Association Acrimed, mais seulement leurs auteurs.

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