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Journalistes contre journaliste ?

Daniel Mermet en procès

Accusé d’antisémitisme !

Le vendred 31 mai 2002, Daniel Mermet, animateur et producteur de l’émission quotidienne "Là-bas si j’y suis" sur les ondes de France Inter comparaissait devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris pour incitation à la haine raciale.

Le motif invoqué : des propos entendus lors d’une série d’émissions diffusées en juin 2001 et consacrées à des reportages sur la bande de Gaza et en Israël.

Les plaignants, qui se sont portés parties civiles : l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), l’association Avocats sans frontières (en la personne de son président, l’avocat Gilles-William Goldnadel) et la Licra. Jugement le 10 juillet.

A la lecture des articles parus dans Libération et dans Le Monde, il ressort nettement que ce procès est un procès d’opinion, que des journalistes y prennent part et que Le Monde observe en l’occurrence une bien étrange neutralité. [*]

L’attachement passionné de nos majestés éditoriales à la liberté de presse souffre manifestement de quelques exceptions : aucune, à ce jour, ne s’est élevée contre le procès intenté à Daniel Mermet. A notre connaissance, seuls un communiqué de presse de Reporters Sans Frontières, une pétition mise en ligne sur le site de dh-rezo rt une pétition mise en ligne sur le site de "Là bas si j’y suis", disent clairement et distinctement ce dont il s’agit. Lire : Solidarité avec Daniel Mermet

A la lecture des articles parus dans Libération et dans Le Monde, il ressort nettement que ce procès est un procès d’opinion, que des journalistes y prennent part et que Le Monde observe en l’occurrence une bien étrange neutralité.

Un procès d’opinion

Jean-Pierre Thibaudat dans Libération du lundi 03 juin 2002 commence par évoquer "l’ambiance" de l’ouverture du procès et par replacer les faits reprochés à Daniel Mermet en rappelant le sens et la forme de son travail.

L’article commence ainsi :
"La présidente Catherine Bezio demande si monsieur Mermet est là. Il se lève. "Ah, c’est lui l’ordure !", lâche une voix dans la salle d’audience."

Après avoir rappelé les accusations qui valent à Daniel Mermet de comparaître en correctionnelle, Jean-Pierre Thibaudat poursuit :
"Depuis treize ans, partout dans le monde, "l’ordure" et son équipe traquent les voix des réfugiés, des exilés, des proscrits, des meurtris, des oubliés, des négligés, des blessés de toute sorte. Pendant que le procès se déroule, passe à l’antenne (entre 17 et 18 heures) la suite du témoignage d’une femme, nord-coréenne, ex-cadre du parti, condamnée à treize ans de camp et aujourd’hui réfugiée à Séoul. A Gaza, à Jérusalem, Mermet et son équipe n’ont pas fait autre chose : témoignages d’une famille israélienne dont les enfants ont été massacrés lors d’un attentat un jour, famille de "martyrs" palestiniens le lendemain, etc. "Des carnets de route", explique l’animateur, mettant en avant "la vie quotidienne, le vécu, le ressenti".
Chaque émission commence rituellement par la diffusion de quelques messages choisis par Daniel Mermet dans la boîte vocale de Là-bas si j’y suis mise à la disposition des 600 000 auditeurs. Règle intangible, les messages passent dans leur intégralité. C’est justement sept de ces messages (sur 35 diffusés cette semaine-là) qui sont visés par les parties civiles."

Xavier Ternisien, dans Le Monde, commence son article beaucoup plus directement, au risque de gommer partiellement le caractère manifestement politique du procès intenté à Daniel Mermet :
"Du 18 au 22 juin 2001, Daniel Mermet consacrait son émission quotidienne sur France-Inter, "Là-bas si j’y suis", au conflit israélo-palestinien. Au début du programme, une boîte vocale diffusait des réactions d’auditeurs. "Qu’est-ce que c’est que ce pouvoir mortifère qui se complaît dans les assassinats d’enfants et les mutilations, qui justifie l’inacceptable jour après jour avec une outrecuidance criminelle et qui a l’infâme arrogance de nous traiter de racistes quand on ose timidement protester contre cette conduite indigne ? Qu’est-ce que c’est que ces hypocrites qui manient avec tant de virtuosité le bouclier de l’antisémitisme quand on veut juste leur rappeler que depuis cinquante ans, ils reproduisent à dose homéopathique l’horrible injustice dont ils ont souffert ? Je suis farouchement antisioniste. Je ne suis en rien antisémite." Ces propos, et sept autres réactions, sont-ils constitutifs des délits de diffamation raciale et de provocation à la haine raciale ?"

A lire les propos rapportés, la réponse est dans la question, sauf à considérer que toute critique radicale du sionisme est une forme d’antisémitisme. C’est pourtant ce que soutiendront - comme on va le lire - un journaliste de profession et un journaliste de fonction, ardents défenseurs de la liberté de la presse !

Mais pour comprendre le caractère proprement politique du procès intenté à Daniel Mermet, il faut revenir à l’article de Libération :
"Règle intangible, les messages passent dans leur intégralité. C’est justement sept de ces messages (sur 35 diffusés cette semaine-là) qui sont visés par les parties civiles. Nullement les propos de l’animateur. Mais cependant c’est bien lui que les avocats des parties civiles visent en dénonçant "l’ambiance de l’émission". "Je suis un imparfait de l’objectif, insiste Mermet. J’ai des opinions, je peux éditorialiser.". C’est ce que vont lui reprocher les témoins cités par les parties civiles."

Autrement dit, le procès intenté est un procès d’opinion : Libération le suggère, Le Monde le tait.

Reste à l’établir en revenant sur la qualité des témoins et sur leurs propos.

Des journalistes à la barre

Après avoir indiqué que les associations qui se sont portées parties civiles pour des délits de diffamation raciale et de provocation à la haine raciale en sont "convaincues", Le Monde poursuit :
"Avec à l’appui, des témoins de poids : les philosophes Alain Finkielkraut et Pierre-André Taguieff - qui n’a pu se déplacer -, le journaliste Alexandre Adler et Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juifs de France (CRIF)."

Des "témoins de poids" ? Mais d’où leur vient le poids que Le Monde leur prête ? Très précisément du poids qu’ils ont acquis dans les médias, du moins pour deux d’entre eux - Alexandre Adler et Alain Finkielkraut - titulaires officiels 1) d’une chaire des "éditoriaux associés" au Monde pour le premier nommé et 2) d’une chaire des "tribunes libres" du Monde pour le second.

Mais le plus grave sans doute est que le premier est officiellement journaliste, comme le rappelle (incidemment ?) Le Monde, et que le second est officieusement journaliste, comme le rappelle (perfidement ?) Libération :
"Alain Finkielkraut (producteur d’une émission hebdomadaire à France Culture où il ne tait pas son opinion) estimera que "l’engagement vampirise le journaliste", s’ensuit "un bruit de fond" de l’émission, c’est-à-dire Israël bruissant comme "un état raciste, fasciste et, d’une certaine manière, nazi"."

Ainsi, journaliste par sa fonction, si ce n’est par son statut, Alain Finkielkraut mène un procès d’opinion contre un autre journaliste.

L’article du Monde préfère ne retenir que le titre qu’ Alain Finkielkraut revendique - celui de "philosophe" - et présenter, du même coup, le débat d’opinion comme un "débat philosophique" :
" "Daniel Mermet est un journaliste engagé, juge Alain Finkielkraut. C’est sa marque d’originalité, le vibrato de ses émissions. J’avoue que j’y suis sensible." Mais le philosophe s’alarme dès que "l’engagement vampirise le journalisme" : "Tout au long de son émission, Daniel Mermet ramène ce qu’il décrit à du déjà vu : l’apartheid, la colonisation, le martyre juif. C’est une logique de renversement : les Israéliens sont considérés comme juifs, et donc comme des victimes passées de l’autre côté, des victimes devenues nazis." L’audience tourne au débat philosophique sur les rapports entre antisionisme et antisémitisme. "95 % des juifs de France sont sionistes, avance Alain Finkielkraut, dans le sens où ils ont une solidarité de destin avec Israël. Mettre au banc de l’humanité cet Etat, en tant que fasciste ou nazi, c’est exclure, sous le masque de l’antiracisme, tous ceux qui, en tant que juifs, le soutiennent"."

Le Monde se garde bien de dire qu’une telle "analyse" ne démontre nullement l’antisémitisme de ceux à laquelle elle prétend s’appliquer. Il préfère - en toute impartialité ... - rapporter une partie de la réponse de Rony Braumann qui, lui, n’est ni journaliste, ni producteur à France Culture :
"Cité par la défense, Rony Brauman ne partage pas cette analyse. Pour l’ancien président de Médecins sans frontières, le sionisme est une option politique, critiquable en tant que telle. "Toute l’ambiguïté du sionisme, c’est qu’il renferme dès l’origine à la fois un mouvement de libération nationale et un mouvement colonial. En ce sens, il comporte une part de racisme"."

Reste l’inestimable contribution d’un journaliste en titre : Alexandre Adler, "directeur éditorial de Courrier international ", comme le rappelle l’article du Monde, qui omet de rappeler que Le Courrier International fait partie du groupe Le Monde, et qu’ Alexandre Adler est éditorialiste associé au Monde, partenaire de Jean-Marie Colombani dans l’émission du Monde sur France Culture (habilement intitulée "La rumeur du Monde").

Libération se borne à rapporter ce propos tout en finesse de notre Adler-du- Monde :
"(...) Alexandre Adler qualifiera Mermet de "journaliste militant", voyant dans son émission l’expression "un peu datée" d’un style qui lui rappelle l’Europe de l’Est d’antan."

Le Monde rapporte un autre propos :
"Alexandre Adler souligne, lui, que la boîte vocale incriminée est un peu comme le courrier des lecteurs d’un journal, "avec l’effet violent qu’apporte en plus la radio". Pour le directeur éditorial de Courrier international, "ce n’est pas la liberté d’expression qui doit prévaloir dans le choix des interventions"."

Que le groupe Le Monde le sache une fois pour toutes : "ce n’est pas la liberté d’expression qui doit prévaloir dans le choix des interventions"

 Résumons :

Des journalistes sont cités comme témoins dans un procès d’opinion et contribuent à un procès d’opinion.

Si l’article de Libération le suggère, celui du Monde est beaucoup plus discret, préférant évoquer la tournure "philosophique" d’un débat proprement politique. Si l’on rapproche cette discrétion - peut-être involontaire de la part de l’auteur de l’article - de la contribution qu’apporte au Monde deux des principaux témoins cités, elle paraît pour le moins étrange, dans un quotidien qui d’habitude s’enflamme volontiers pour défendre la liberté de la presse et qui, à la différence de Libération, observe à l’égard de Daniel Mermet, journaliste, une neutralité ...fort confraternelle.

 Voir également « Solidarité avec Daniel Mermet » et « Nouveau procès contre Daniel Mermet »


Epilogue (13.01.2005 !)

Une partie civile jugée irrecevable dans un procès contre Daniel Mermet (AFP, 12.01.05, 19h56)

« Daniel Mermet, rappelle l’AFP, était initialement poursuivi par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) et Avocats sans frontières pour des propos tenus dans ses émissions diffusées du 18 au 22 juin 2001 et intitulées "Israël, la guerre maintenant". »

« Le 12 juillet 2002, poursuit l’Agence France-Presse, le tribunal correctionnel de Paris avait relaxé le journaliste pour ces émissions au cours desquelles avaient été diffusés six messages d’auditeurs que les associations jugeaient violemment anti-israéliens. Les trois associations avaient appel mais deux d’entre elles (LICRA et UEJF) s’étaient finalement désistées. »

Enfin, la dépêche nous livre la conclusion de l’affaire : « La constitution de partie civile de l’association "Avocats sans frontières", qui poursuivait accusait de propos antisémites le journaliste Daniel Mermet, animateur de l’émission de France Inter "Là-bas si j’y suis", a été jugée irrecevable mercredi par la cour d’appel de Paris qui a ainsi mis fin au litige. »

 
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Notes

[*Les sources :
Le Monde, samedi 1er juin : « Le journaliste Daniel Mermet assigné pour "incitation à la haine raciale" Des associations juives accusent le producteur de France-Inter d’avoir diffusé des propos d’auditeurs à caractère antisémite ».
Libération, lundi 3 juin : « "Là-bas si j’y suis", de Gaza au tribunal . L’Union des étudiants juifs s’en prend à Daniel Mermet, accusé de "haine raciale" ».

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