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Décès de François-Xavier Verschave : nécrologies vindicatives

par Daniel Sauvaget,

Fondateur de l’association Survie, qu’il présidait depuis 1995, François-Xavier Verschave est décédé le 29 juin 2005. Les nécrologies vindicatives publiées par Libération et Le Monde ont suscité de nombreuses réactions. Nous publions successivement celles de la rédaction de « Billets d’Afrique » (mensuel de l’association Survie), de Daniel Sauvaget (d’Acrimed) et d’ Alain Deneault (un correspondant). [Acrimed]

Hommages
Par la rédaction de « Billets d’Afrique », mensuel de l’association Survie

Dans le concert des hommages spontanés, venus du cœur, qui ont salué la disparition de François-Xavier Verschave, président de Survie, auteur, entre autres, de La françafrique, le plus long scandale de la République et de Noir Silence, il y a eu deux couacs retentissants, qui sont le fait de deux journaux considérés comme importants, Le Monde et Libération.

Beaucoup de gens ont été choqués par le mauvais goût et même le caractère offensant du titre, dans Libération, de l’article de Christophe Ayad : Verschave plonge dans le noir silence (Vendredi 1er juillet 2005). Tout dans cet article est réducteur ou péjoratif. On y redit que Verschave n’a pas « inventé le concept » de Françafrique. Qu’importe puisque c’est lui qui l’a popularisé. On y affirme que son livre Noir Silence est « plus une compilation qu’une investigation ». On pourrait en dire autant du J’accuse de Zola. Et ce dernier n’a-t-il pas fait preuve d’un « activisme » de plus « parfois excessif », dans sa dénonciation de l’iniquité, comme le dit Ayad de celle que faisait François-Xavier Verschave des scandales françafricains ?

Selon Christophe Ayad, « la Françafrique agonise », assertion démentie en ce moment même au Togo, où le soutien de l’Élysée à un dictateur peut, comme d’habitude, être constaté. Mais pour agoniser il faudrait encore qu’elle ait existé. Or c’est bizarre nous n’en avons jamais entendu parler dans nos médias. François-Xavier Verschave, en nous instruisant sur son fonctionnement, n’aurait que « contribué à en finir avec une Françafrique déjà bien branlante », donc pas vraiment de quoi s’extasier sur un tel exploit. Pourquoi un tel besoin de dénégation, contre l’évidence ?

La nécrologie publiée par Le Monde, sous la plume de Jean-Pierre Tuquoi (Carnet, samedi 2 juillet 2005), paraît au début plus courtoise mais les derniers paragraphes sont d’une rare malveillance. Le travail de François-Xavier Verschave y est décrit de la façon suivante : il « découpait les articles glanés à droite et à gauche, écoutait ceux qui rendaient visite à l’association et, sans trop s’embarrasser de vérification, faisait de cette matière première la pâte de ses ouvrages ». Il est quand même stupéfiant qu’il ait ainsi triomphé, dans un procès pour « offense à chefs d’État », des présidents multimilliardaires qui l’ont traîné en justice. Mais Jean-Pierre Tuquoi ne fait que répéter ici complaisamment les allégations de leur défenseur, le ténor du barreau Jacques vergès. Le tribunal quant à lui jugea simplement son travail d’information « sérieux » et débouta l’accusation. Si ce verdict suscita « l’étonnement », ce ne fut pas évidemment celui de François-Xavier Verschave, comme l’écrit bizarrement cet article, mais bien celui des plaignants. François-Xavier Verschave le reçut, quant à lui, avec satisfaction.

« Se rendre en Afrique ne l’intéressait d’ailleurs pas. » Cette assertion est évidemment absurde. François-Xavier Verschave, qui travaillait bénévolement, n’avait pas les moyens de parcourir le continent. Mais il avait le courage et la liberté d’informer, qui sont plus rares mais plus nécessaires que les billets d’avion.

Pendant des décennies nos Rouletabille ont parcouru à grands frais le continent pour nous rapporter invariablement cette importante information : « Tout baigne », recueillie dans les palais exotiques. Ils ont suivi dévotieusement les grand messes du grand manitou blanc entouré de ses acolytes noirs. Ils ont été au couronnement de Bokassa, dans la cathédrale d’Houphouët et sur le navire de Mobutu. L’Afrique telle que les Français la voient, faite d’ignorance et de stéréotypes, c’est à eux qu’on la doit.

Quand François-Xavier Verschave s’est intéressé au sujet il a peint un tout autre tableau, on en conclut donc : « C’est dire que François-Xavier Verschave n’était pas un enquêteur, mais le militant d’une cause qu’il jugeait sacrée. » Non en effet il n’a pas fréquenté les présidents africains. Oui, le militant de la cause sacrée de l’information c’est lui, qui ne se contentait pas de reproduire les dépêches de l’AFP, sans les passer au crible de la réflexion. C’est bien la peine de se transporter à l’autre bout du monde pour épater le chaland, si on ne peut même pas enquêter pour savoir ce qui s’est passé dans le RER D. Sur certains sujets, en fait d’enquête, il est clair qu’il y a seulement l’info qui fâche et l’info qui plaît. François-Xavier Verschave - ce fut son mérite - en fâchait plus d’un.

La bizarre malveillance de ces nécrologies, la médiocrité mesquine qu’elles trahissent, donnent la mesure de ceux que Nietzsche nommait « les mouches de la place publique », que François-Xavier Verschave, homme libre, dans sa passion pour la vérité, a dérangés.

Le Comité de rédaction de « Billets d’Afrique », mensuel publié par l’association Survie

210, rue Saint-Martin, 75003 - Paris

http://survie.org/ - survie@survie-france.org

Nos chers disparus - ou l’art subtil de la nécrologie

Par Daniel Sauvaget

Lorsqu’une personnalité disparaît, la presse se fend d’une biographie, et tente de caractériser sa vie et son œuvre, recourant, selon les cas, au dithyrambe ou à un énoncé hypocrite de ses vertus. La nécrologie peut conduire à faire l’impasse sur les tares du défunt. Elle permet aussi de régler quelques comptes. Ce n’est donc pas un simple exercice de style.

Exemple récent : à l’occasion du décès de François-Xavier Verschave, Le Monde des 3 et 4 juillet 2005 (page 11) publie sous la plume de Jean-Pierre Tuquoi un petit texte révélateur sur ce spécialiste du néo-colonialisme (ou plutôt des « relations post-coloniales entre la France et ses anciennes possessions », comme dit Tuquoi, plus élégamment) et des réseaux plus ou moins mafieux qui agissent en Afrique. On connaît le militant, ce combattant, responsable de l’association Survie et du Bulletin d’Afrique, auteur de nombreux livres et articles documentés et dénonciateurs. Nous avions eu le plaisir de l’inviter lors d’un Jeudi d’Acrimed le 28 janvier 2001 et le lecteur trouvera ici même une présentation et le compte-rendu de son intervention : Françafrique, les médias complices [1].

Mais revenons à l’article publié par Le Monde. Le lecteur pourra apprendre que F.-X. Verschave fut « un des artisans de la campagne dénonçant le rôle joué par la France dans le génocide de 1994 au Rwanda ». Mais il lui faudra chercher ailleurs une information sur le combat qu’il menait contre la désinformation appliquée aux affaires africaines, rwandaises ou autres. Dans de nombreuses interventions, dans ses conférences et ses articles, Verschave disait souvent que ce qu’il exposait « avait beaucoup de mal à passer dans la presse française » et il se positionnait dans une véritable « bataille pour l’information, décisive mais difficile ». Sa critique des médias était impitoyable : « c’est la presse la plus libre qui est la plus convoitée par ceux qui ont en charge la désinformation » [2]. Il n’a pas été tendre avec Le Monde, encore récemment en 2004, à la suite des articles parus dans le quotidien pour le dixième anniversaire des massacres du Rwanda. Il accusait Le Monde, et il n’était pas le seul, de faire de la censure sur la responsabilité de la France au Rwanda. Il reprochait au Monde, mais aussi à d’autres journaux, une lecture ethniciste des évènements du Rwanda, une perception purement occidentale, et un loyalisme déplacé vis-à-vis des gouvernements français, notamment à propos de l’opération humanitaire-sic nommée Turquoise.

Comment rendre compte d’un tel personnage qui n’était manifestement pas un ami du journal lorsque le moment est venu d’alimenter la rubrique « disparitions » ? Les recettes sont simples.

- 1°/ Comme on vient de le voir, écarter de la biographie tout ce qui peut porter préjudice au journal qui la publie, voire aux médias en général.

- 2°/ Consacrer les trois quarts du texte à un éloge plus ou moins sincère et conclure par quelques nuances négatives sous couvert d’objectivité. C’est la conclusion, péjorative, qui fait mouche auprès du lecteur.

- 3°/ Glisser de l’éloge à la démolition : Verschave, homme de conviction, infatigable, etc. « pétitionnait à l’occasion » - noter ici l’ambiguïté des mots, une ambiguïté qui s’alourdit encore : il « signait des articles dans tous les journaux qui lui ouvraient leurs colonnes et fréquentait à l’occasion les plateaux de télévision » (on aimerait disposer d’un authentique inventaire des tribunes médiatiques qui lui ont été offertes). Ainsi passe-t-on de « doté d’une puissance de travail peu commune et d’une énergie rare », à « il lisait tout, découpait les articles glanés à droite et à gauche, écoutait ceux qui rendaient visite à l’association [Survie] et, sans trop s’embarrasser de vérification, faisait de cette matière première la pâte de ses ouvrages  ». Autrement dit : Verschave pas sérieux, adepte du copié-collé, ne vérifiant pas les sources. Le tout sous un intertitre comme « Militant plus qu’enquêteur ». Les lecteurs de L’Envers de la dette (Agone, 2001), par exemple, apprécieront.

- 4°/ En prime : la technique du coup de pied de l’âne. « Se rendre en Afrique ne l’intéressait pas  ». Verschave n’était pas un homme de terrain (il se contentait de collectionner les papiers découpés). C’est bien connu, pour accéder au concret, mieux vaut répondre aux invitations des chargés de communication, chasser le fauve ou interviewer un officier français en poste en Cote d’Ivoire - plutôt que d’organiser des réseaux d’information avec des africains risquant leur liberté ou leur vie, tenter l’impossible pour sensibiliser l’opinion des pays dominants, ceux dont dépendent malheureusement une grande part des solutions africaines...

- 5°/ Si contester fielleusement la rigueur intellectuelle ne suffit pas, on pourra tenter de ridiculiser le disparu : citation de Verschave, selon qui Fernand Braudel n’avait pas eu besoin de vivre dans la Méditerranée au XVIème siècle pour en reconstituer l’histoire. Commentaire implicite : le prétentieux ose se comparer à un aigle de la pensée. Et surtout inutile de mentionner l’ouvrage où Verschave s’appuie sur Braudel, publié en 1994 chez un éditeur universitaire [3].

Modeste échantillon des pratiques journalistiques, cette besogne est assurée par un « journaliste-expert du Maghreb » qui, six années plus tôt, dénonçait le silence de plomb des médias et des milieux diplomatiques sur l’état de la Tunisie dans un livre consacré à Ben Ali (écrit en collaboration avec Nicolas Beau).

Daniel Sauvaget

Libération enterre la Françafrique. Le Monde recycle les arguments de Me Vergès.
Par Alain Deneault

Les quotidiens parisiens « de qualité » n’auront donc pas digéré que soit étayée leur complaisance envers le pouvoir.

L’annonce que fait Libération du décès de François-Xavier Verschave, dans son édition du 1er juillet 2005, en témoigne.

« Il est mort au moment où la Françafrique agonise », postule Christophe Ayad en page 10 d’un journal qui indique ainsi n’avoir résolument pas l’intention de comprendre et de faire comprendre les logiques qui persistent encore à ce jour dans un Togo ajoutant de la dictature à la dictature, un Gabon assommé par un Président soutenu par Paris contre tous égards, un Soudan écartelé entre différents groupes pétroliers mondiaux, un Congo dont les forêts disparaissent à vue d’oeil...

Associer le décès de François-Xavier Verschave à celui prétendu des réseaux mafieux et criminels de la Françafrique n’est pas seulement indécent, mais rigoureusement inexact. Loin de battre de l’aile, la Françafrique au contraire s’accomplit et se réalise dans une « mafiafrique » plus large, qui intéressait par-dessus tout l’auteur dont nous honorons ces jours-ci la mémoire et le sérieux. Les agencements et montages financiers, affranchis des logiques nationales, qui se développent aux fins de l’exploitation de l’Afrique, correspondent à une évolution logique de réseaux désormais « mondialisés ».

Mais voudra seulement l’entendre qui cherche encore à savoir.

Ce n’est pas non plus l’intention du quotidien Le Monde, qui réchauffe point par point les arguments que Me Vergès avait servis au procès que Verschave et son éditeur Laurent Beccaria avaient finalement gagné, en 2001, contre trois chefs d’État africains « amis de la France ». Le verdict était, il est vrai, tombé contre toute attente puisque ce vestige juridique contre les actes de lèse-majesté prévoyait la condamnation de quiconque offensait un chef d’État étranger indépendamment de la pertinence de son travail et de la rigueur de sa démonstration.

Le Monde ne le rappelle pas, préférant entretenir l’impression d’un étonnement ingénu de la part des accusés eux-mêmes. « Trois chefs d’Etat africains (ceux du Tchad, du Gabon, et du Congo) l’attaquèrent devant les tribunaux français pour ’offense envers un chef de l’Etat’. A l’étonnement de l’auteur de Noir silence, le tribunal de Paris les débouta de leurs poursuites en avril 2001, jugement confirmé par la cour d’appel l’année suivante.  »

On se souvient qu’en désespoir de cause, Me Vergès s’en était pris au physique de Monsieur Verschave en pleine plaidoirie, et au seul fait qu’il n’avait pas beaucoup voyagé en Afrique. Le Monde relaie l’argumentaire fidèlement, en résumant d’abord le disparu à son « visage austère » et son « corps d’ascète », tout en insistant sur son côté sédentaire, mine de ne pas comprendre que les problèmes d’Afrique trouvent en grande partie leurs sources à Paris, à Londres et à New-York, quand ce n’est pas dans les Îles anglo-normandes, à Genève et à Luxembourg.

« Il lisait tout, découpait les articles glanés à droite et à gauche, écoutait ceux qui rendaient visite à l’association et, sans trop s’embarrasser de vérification, faisait de cette matière première la pâte de ses ouvrages  », s’aventure à imaginer Jean-Pierre Tuquoi pour croquer le personnage, poussant la fiction jusqu’à en faire une figure médiatique, sans enquêter lui-même sur des sources justement trop peu souvent citées dans Le Monde. Verschave précisait pour sa part, le 29 avril dernier, quant au nombre de victimes relatives aux élections Togolaises : « Nous avons beaucoup d’informations qui remontent par nos contacts sur le terrain. Quand je dis "nos", ce sont les dizaines d’ONG françaises qui suivent la situation de très près et nous redoutons que le chiffre de victimes soit beaucoup plus élevé que le chiffre que vous avez annoncé.  »

Il n’y aura donc pas de trêve.

Alain Deneault

 
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Notes

[2France-Afrique, le crime continue, Editions Tahin Party, p.45.

[3Initialement publié par les éditions Syros, La maison monde, libres leçons de Braudel a éé remis à jour et réédité début 2005 aux Editions diffusion Charles-Léopold Mayer.

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