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Les prédications d’Alain Finkielkraut (1) : « Répliques à moi-même »

par Henri Maler, Mathias Reymond,

Chaque semaine, Alain Finkielkraut se répand pendant près d’une heure sur France Culture, dans une émission qu’il produit : Répliques.

Répliques ? Une émission de débats ? Plutôt une émission de répliques de Finkielkraut...

Les règles du jeu pour les invités sont simples : accepter que Finkielkraut soit l’actionnaire principal de la parole, et ce, quel que soit le nombre d’invités ; accepter que l’animateur coupe la parole systématiquement ; accepter que celui-ci se réserve des « tribunes libres » sur des thèmes éloignés du sujet sans permettre aux interlocuteurs de riposter... puisque ce n’est pas le sujet ; au final, accepter que l’invité principal de l’émission d’Alain Finkielkraut soit... Alain Finkielkraut [1].

Scénario

Répliques : « C’est quoi, la culture ? » - France culture, 23 octobre 2004. L’émission a lieu en présence de Bernard Lahire et Sylvain Bourmeau que Finkielkraut prétend avoir invités pour les interroger sur la notion de culture. Mais la seule question qui vaille étant celle qui le préoccupe, le véritable sujet est : « Tout fout le camp ».

Première question de Finkielkraut : « Continuant sur la lancée de l’émission de la semaine dernière, consacrée à l’école, c’est-à-dire à la transmission de la culture, je vous demanderais d’abord, messieurs, ce que vous évoque, ce que vous inspire, ce qu’éveille en vous, la vieille et tremblante notion de culture générale. » Qui continue sur sa « lancée » ? Evidemment pas les invités de Finkielkraut, mais Finkielkraut lui-même. De quoi va-t-il être question ? De la prétendue responsabilité de la sociologie dans la prétendue dilution de la culture générale (de Finkielkraut) dans la culture commune (des autres).

Le scénario est écrit d’avance, scandé par une sélection préalable de citations (la culture générale...) et de falsifications (de la sociologie).

Que s’agit-il de démontrer en présence des « invités » (et quoi qu’ils disent) ? Ceci : « Donc beaucoup de sociologues disent maintenant : il faut en passer à l’école d’une culture générale, hautaine et lointaine, pour beaucoup, à une culture commune, qui est définie en fonction de ce dont les gens ont besoin pour vivre leur vie. ». Transcription, charitablement simplifiée de la suite : « Et moi évidemment maintenant j’ai compris de quoi il retournait. Tout d’un coup, après avoir longuement réfléchi sur le rapport Thélot, notamment, je me suis dit, que la culture commune est à la culture générale, ce que l’auto-école est à l’école . » [2]

Quelques monologues plus loin, autre « responsabilité » de la sociologie, autre caricature de la culture scolaire : « Le politiquement correct, c’est de dire, bon ben, les noirs ont écrit des œuvres autant que les blancs, donc il faut... il faut lire autant d’œuvres de noirs que de blancs, et puis ensuite des gays et de lesbiens etc. Donc, et là on peut dire aussi ben le rap, c’est porteur, porteur d’une culture de gens m... malheureux, qui expriment leur rébellion et en tant que tel, il faut l’aimer. »

Saisissant !

Monologues

Pour parvenir à établir des vérités aussi définitives qui témoignent de sa haute culture, Alain Finkielkraut s’octroie régulièrement un temps de parole bien plus important que celui accordé à ses invités, du moins quand ceux qui sont conviés à lui donner la réplique ne partagent pas ses prédications et ne sont présents que comme faire valoir en négatif.

Lors de l’émission qu’il se dédie en présence de Bernard Lahire et de Sylvain Bourmeau, Alain Finkielkraut a même accaparé plus de 50 % du temps de parole. Exactement 1554 secondes, soit 53,2 % du temps de parole total (contre 666 secondes concédées à Sylvain Bourmeau, soit 22,8 % du temps total et 701 secondes réservée à Bernard Lahire, soit 24 %).

Autre exemple : dans l’émission du 27 mars 2004 - « Journalisme et démocratie » -, en présence de Géraldine Muhlmann et de Thomas Ferenczi, Alain Finkielkraut s’octroie plusieurs minutes de plus que ses interlocuteurs.

La répartition du temps de parole ne suffisant pas à la maîtriser, Alain Finkielkraut interrompt ses interlocuteurs chaque fois qu’ils s’émancipent du scénario qu’il a écrit pour eux. Les coupures systématiques orchestrées par Finkielkraut sont faites avec une telle duplicité que les invités en arrivent même à prédire son comportement. Exemple (en intégralité) :

Thomas Ferenczi : « [...] c’est un cataclysme, quand Alain Juppé est condamné pour tout de même une malhonnêteté... oui ? Vous voulez m’interrompre  ?

Alain Finkielkraut : justement... non, je ne veux pas vous interrompre , je veux vous poser une question naïvement, si vous voulez. Juppé a été condamné. Il a été condamné à 10 ans d’inéligibilité. Une malhonnêteté qui ne relève pas de l’enrichissement personnel, vous êtes d’accord avec moi, une malhonnêteté qui relève, disons du financement occulte des partis politiques. Et nous voyons aujourd’hui où le financement occulte n’existe pas, que les campagnes sont atones et que ça risque de se traduire par, si vous voulez, une augmentation des abstentions. Je ne plaide pas pour le financement occulte, j’essaie de replacer les faits dans leur contexte. Juppé a été très atteint, parce que 10 ans d’inéligibilité, ça veut dire aussi 10 ans... où il est rayé des listes électorales. C’est-à-dire, cet homme, qui a fait cette carrière, ne peut plus voter. C’est-à-dire, c’est le déshonneur auquel on condamnait les collabos après 1944 ! Il exprime sa tristesse, et toute la presse - et là je vous demande ce que vous en pensez l’un et l’autre - parle de Juppéthon , avec un bel ensemble, quelquefois on se demande pourquoi tant de journaux ? Pourquoi tant de journaux puisqu’ils disent la même chose ? Est-ce qu’on peut vraiment parler de Juppéthon ? » [3] [souligné par nous]

Comme on peut le voir, ce n’est nullement une interruption ! Tout juste un « recadrage »... certes un peu alambiqué, mais qui permet de poser une question faussement naïve fondée sur une généralisation totalement abusive et évidemment incontestable !

Et pour boucler la boucle, Alain Finkielkraut se réserve le dernier mot. Ainsi, pour mettre un terme à l’émission du 4 décembre 2004 - « Foucault aujourd’hui » (avec Blandine Barret-Kriegel et Jean-Claude Monod), alors qu’il ne reste plus que 4 minutes et 10 secondes, Finkielkraut prend la parole ainsi : « Ce sera mon ultime intervention... » avant de discourir pendant 2 minutes et 10 secondes ne laissant ainsi que 2 minutes aux deux autres interlocuteurs pour terminer, sous un flot de phrases expéditives (« Mais l’émission se termine, Blandine » ou les multiples « Voila » infligés à Jean-Claude Monod).


Monomanies


Mais parfois, Alain Finkielkraut sait s’effacer : quand il se trouve en accord avec la personne qu’il reçoit. En l’occurrence avec Blandine Kriegel à propos de Michel Foucault, une émission d’hommage [4] (sic) qui aura pour objectif de revenir sur « les excès et les limites de Foucault  » et sur « sa radicalité politique ».

Au milieu de l’émission, Finkielkraut affecte de tenter de rassurer l’auditeur inquiet : « Entendez-moi bien, je ne fais pas du tout ici le procès rétrospectif de Foucault ». Mais c’est pour ajouter aussitôt : « ce qui me gêne, c’est que dans la commémoration dont nous avons parlé, c’est Foucault l’inspirateur des luttes qui est monté en épingle. C’est-à-dire on choisit, on fige sur le moment où Foucault [est] disons le plus contestable car le plus contestataire ». Et il continue en affirmant que Foucault disait : « Pas d’ennemi à gauche ! »,

Jean-Claude Monod, bien seul face aux feux croisés des deux autres interlocuteurs [5], lui rappelle que Foucault « n’a pas hésité a avoir des ennemis à gauche, puis à se les faire, il a quand même été très, très hostile... enfin, attaqué par le Parti Communiste (...) puis pendant qu’il défendait le mouvement Solidarnosc  ».

Finkielkraut, comme à l’accoutumée, se soucie de l’objection comme d’une guigne ; il n’écoute plus et poursuit sur sa lancée : « Pas d’ennemi à gauche, c’est-à-dire, je défends l’égalité et vous êtes toujours moins égalitaire que moi donc je suis plus moral que vous  ». Quel rapport avec le sens que Foucault donnait à ses propos ? Aucun. Mais peu importe : pour Finkielkraut toute occasion est bonne pour réciter un psaume.

Ou plutôt l’un d’entre eux. Car le ressassement de quelques thèmes (contre le progressisme, le pédagogisme, la « défaite de ma pensée », l’antisémitisme imputé aux altermondialistes et/ou contre l’altermondialisme réputé antisémite, etc.) et la vindicte contre quelques auteurs (Chomsky, Derrida, Bourdieu, etc.) parsèment nombre d’émissions quel qu’en soit le sujet. Et prolifèrent dans tous les médias. Nous y reviendrons ici même dans d’autres articles.

Mais « C’est quoi, la culture ? », (« Répliques », 23 octobre 2004) est un modèle du genre - diffusé précisément par France... Culture. Laissons donc Finkielkraut lui-même répondre à la question qu’il pose. Son résumé du livre de Pierre Bourdieu est, en effet, une synthèse de la culture qu’il défend et de sa propre culture : « Si la valeur esthétique se confond avec une valeur de découverte, si on considère l’œuvre si vous voulez, comme un mode de connaissance, tout change. Dans le cas où l’on ne dit pas cela, alors l’art devient un certain type de divertissement, et très vite on pense que c’est un divertissement snob ! C’est quand même tout ce que dit La Distinction  ! C’est-à-dire on met des livres d’art sur la table basse pour impressionner ses amis, et si ça relève du divertissement, alors ça n’a pas d’importance ! » [souligné par nous]

C’est quoi la culture de Finkielkraut ? Même pas la quatrième de couverture des livres qui l’indisposent...

A suivre...

Henri Maler et Mathias Reymond

 Lire la suite :

- Les prédications d’Alain Finkielkraut (2) : « Mes opinions sur papier journal »
- Les prédications d’Alain Finkielkraut (3) : « Mes meilleures pensées et mes meilleurs ennemis »

 
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Notes

[1Un remerciement particulier à Arnaud Rindel pour le chronométrage des temps de parole, et pour la retranscription des émissions.

[2Une transcription plus fidèle laisse entrevoir quel bafouillage jubilatoire prépare la saillie finale : « Et moi évidemment maintenant j’ai compris à mon... de quoi il retournait, et d’ailleurs je vais vous en... je vais... c’est, c’est... tout d’un coup, après avoir longuement réfléchi sur le rapport Thélot, notamment, je me suis dit, que la culture commune est à la culture générale, ce que l’auto-école est à l’école.

[3« Répliques », France Culture, 27 mars 2004.

[4« Répliques », France Culture, 4 décembre 2004.

[5Blandine Kriegel précisa évidemment : « Ma philosophie politique n’est pas celle de Foucault  ».

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