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Lettre ouverte

Débat : un petit déjeuner sans Acrimed

par Henri Maler,

« Vers une alter-communication ? Les mouvements sociaux transnationaux à l’épreuve de la communication » : tel est le titre du petit déjeuner-débat organisé le 31 mars à la Sorbonne par l’Association des étudiants du DESS Communication Sociale et politique de Université de Paris I. Nous expliquons ici, dans une lettre ouverte, pourquoi, après avoir donné notre accord, nous avons décidé de refuser d’y participer.

A l’attention de Thomas Brun
Le 25 mars 2004

Cher Monsieur,

Je vous remercie une fois encore d’avoir invité l’association Action-Critique-Médias (Acrimed) au petit déjeuner-débat organisé le 31 mars à la Sorbonne par l’Association des étudiants du DESS Communication Sociale et politique de Université de Paris [1].

Nous n’avons aucune raison de vous faire le moindre procès d’intention. Bien au contraire. Mais...

Mais, après avoir pris connaissance (le 22 mars, en raison d’une défaillance de la Poste) des conditions de ce débat, nous avons décidé de décliner cette invitation, alors que nous l’avions initialement acceptée. Ce n’est pas votre présentation du thème proposé - «  Vers une alter-communication ? Les mouvements sociaux transnationaux à l’épreuve de la communication  » - qui est en cause, mais le « plateau » d’intervenants. Car il s’agit d’un « plateau »...

Dans le courrier électronique que vous m’aviez adressé le 24 février 2004 figurait une « liste non exhaustive des personnes qui devraient participer au débat  » et qui, à un titre ou à un autre, étaient directement concernées. La liste définitive est d’une toute autre nature. Des défections dont vous ne portez pas la responsabilité sont curieusement compensées par des présences... inattendues.

Voici la liste initiale (extrait du courrier du 24 février 2004) :
« Pour information, voici une liste non exhaustive des personnes qui devraient participer au débat : Bruce Crumley, Time Magazine ; Isabelle Sommier, Directrice du Centre de recherches politiques de la Sorbonne (CRPS) ; Muriel Humbertjean, de la SOFRES ; Denis Muzet, fondateur de l’institut Médiascopie et de l’Observatoire du Débat Public, Serge Halimi, Monde Diplomatique ; un intervenant représentant ATTAC. Nous sommes également en contact avec José Bové, qui devrait nous donner une réponse dans la semaine ».

Et voici la liste dont je viens de prendre connaissance grâce au courrier électronique que vous m’avez adressé le 22 mars 2004 :
Bruce Crumley, Journaliste à Time Magazine ; Renaud Donnedieu de Vabre, Député UMP d’Indre-et-Loire, Vice-président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, porte-parole de l’UMP, ancien Ministre délégué aux Affaires Européennes ; Muriel Humbertjean, Directeur général adjoint de TNS Sofres, Directrice du pôle Communication Corporate, Communication financière et Management ; Yannick Jadot, Directeur des campagnes de Greenpeace France ; Christian Losson, Journaliste à Libération ; Henri Maler, Maître de conférences à l’Université de Paris VIII et co-animateur de l’association Acrimed (Action-Critique-Médias) ; Isabelle Sommier, Directrice du Centre de recherches politiques de la Sorbonne (CRPS), auteur de Le renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation, Flammarion, 2003 ; Jean-Luc Trancart, Directeur de la communication de Suez Environnement.

Parmi vos invités figurent des journalistes et une chercheuse avec lesquels nous aurions eu plaisir à confronter nos idées. Mais, si l’on excepte le représentant de Greenpeace France, aucune composante des mouvements altermondialistes ne sera parmi vous. Aucun des médias alternatifs qu’il s’agisse des radios libres, des télés associatives, de la presse contestataire, de l’internet indépendant et solidaire ne sera non plus représenté.

En revanche, vous avez choisi - liberté que personne ne vous contestera - d’inviter M. Donnedieu de Vabre, porte parole d’une formation politique qui use de tout son pouvoir pour interdire autant qu’elle le peut l’expression de voix contestataires. Hier opposée aux radios associatives qui vivent sous perfusion grâce à un fonds de soutien très insuffisant, cette formation politique s’oppose aujourd’hui à tout financement des télés associatives et fait adopter par le Parlement une loi liberticide qui menace au premier chef l’internet non commercial. Nous connaissons donc sa position sur les médias alternatifs : paralyser autant qu’il est possible leur essor, voire menacer leur existence. Et comme la même formation s’est opposée au vote de crédits de la région Ile de France pour le Forum Social Européen de Paris-Saint-Denis en novembre 2003, nous connaissons aussi sa position sur la communication des altermondialistes : s’employer, autant que possible, à les faire taire [2]. Comment serait-il possible de débattre de la communication avec des acteurs politiques qui entendent s’en réserver le monopole, du moins tant qu’il s’agit de l’affectation des fonds publics ? Le seul débat concevable et souhaitable avec cette formation politique, devrait porter sur le droit à une information effectivement pluraliste et les moyens de le garantir et non sur les modalités de la « communication » altermondialiste puisqu’elle entend l’étouffer par tous les moyens ou presque.


De même, vous avez choisi - liberté que nul ne vous contestera - d’inviter des « spécialistes de la communication ». Ce sont, en vérité, non des spécialistes d’un domaine de réflexion et recherche, mais des professionnels d’un mode d’action : des « spécialistes » de la confusion entre information, marketing et propagande. Nous avons choisi, en ce qui nous concerne - c’est une liberté que vous ne nous contesterez pas - de ne pas « communiquer » avec eux, du moins à cette occasion, car nous ne voulons pas accréditer, si peu que ce soit, l’idée que le droit d’informer des mouvements altermondialistes aurait quelque chose à voir avec ce qui, le plus souvent, se présente, en réalité, comme le droit de désinformer dont usent et abusent des entreprises de management, des conseillers en communication d’entreprise et des chargés de communication des partis politiques et des pouvoirs publics.

Vous nous invitez enfin à débattre de "l’altercommunication" avec un représentant du groupe Suez, laissant ainsi entendre que cet actionnaire des médias privés serait mû par des préoccupations démocratiques qui nous seraient, en quelque façon, communes.

Acrimed n’est pas une « marque » dont nous souhaiterions assurer la « promotion », comme certains des participants que vous avez invités. A nos yeux, un vrai débat n’a pas besoin de sponsors (ces « partenaires » dont vous prétendez donner une « image positive ») et n’a pas pour vocation d’assurer leur publicité ou celle des intervenants. La publicité des entreprises privées est un impôt indirect prélevé sur les consommateurs qui payent ainsi le droit de voir l’espace public confisqué par les forces économiques qui l’utilisent à des fins privées.

C’est précisément parce que nous sommes attachés aux débats démocratiques que nous refusons de participer à n’importe quelle confrontation, dans n’importe quelle condition et avec n’importe qui, simplement pour pouvoir exhiber notre logo et « faire avancer notre petite entreprise ». Les contestataires ont mieux à faire que de poser une demie fesse sur un strapontin. Non seulement notre droit d’informer vaut bien celui auquel les journalistes sont légitimement attachés, mais notre droit de communiquer est sans rapport avec celui que revendiquent des spécialistes en marketing commercial et politique.

Vous regrettez notre absence, comme celle d’autres intervenants pressentis. Nous le comprenons, comme vous comprendrez, je l’espère, nos motifs. Cette lettre est aussi une façon de contribuer au débat que vous souhaitiez organiser.

Cordialement,

Henri Maler
Pour Acrimed

PS : Vous pouvez évidemment rendre cette lettre publique et la porter à la connaissance des présents.

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Le lien avec la présentation, pourtant éloquente du débat, est périmé (novembre 2013).

[2Sur l’attitude des élus UMP au Conseil régional d’Ile-de-France à propos du Forum social européen à Paris-Saint-Denis fin 2003, lire Alliance droite-extrême droite contre le FSE (note d’Acrimed, ajoutée ici même à la lettre d’origine).

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