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Tribune libre

Les " M*A*R*S : moyens d’assurer la responsabilité sociale des médias "

Par Claude-Jean Bertrand

Nous publions ci-dessous, en tribune libre, une contribution sur les moyens non gouvernementaux qui en appellent à la responsabilité sociale des journalistes. Des choix sont nécessaires. Nous avons fait les nôtres (Acrimed).

Très divers, les M*A*R*S ont en commun d’être des moyens non-étatiques d’améliorer le service public des médias. Ils utilisent une ou plusieurs des approches suivantes :
- La formation. Solution à long terme de la plupart des problèmes de qualité : l’éducation des usagers et la formation universitaire des professionnels.
- L’évaluation. La critique est la plus vieille méthode pour améliorer les médias, la plus facile, la plus banale.
- L’observation systématique, monitoring. Nécessaire car les médias sont nombreux et beaucoup sont éphémères. Du fait aussi que les fautes des médias relèvent souvent de l’omission, difficile à repérer.
- La rétroaction, feed-back. Comment servir bien la société si l’on n’écoute pas les griefs des divers groupes d’usagers ?

Ce qui suit est un catalogue (non-exhaustif) de quelque 80 M*A*R*S. Tous ceux qui sont cités ici sont, ou ont été, utilisés.

1. Documents
(presse écrite, radio, télévision, internet)

Le code de déontologie, recueil de règles discuté et/ou endossé par les professionnels, avec, de préférence, un apport du public. Il doit être connu des usagers.

La circulaire interne : les dirigeants d’une rédaction rappellent les principes du journalisme, les règles de la maison et/ou fixent la conduite à tenir dans des circonstances particulières.

Le rapport critique quotidien distribué dans la salle de rédaction [1].

L’encadré de correction, bien visible - et autres mea culpa, tel un temps d’antenne pour corriger une erreur.

Le courrier des lecteurs (par téléphone, fax, courrier postal) y compris des lettres critiques, imprimé ou lu à l’antenne.

La messagerie électronique et le forum sur Internet.

Le questionnaire d’exactitude et d’équité, posté de temps en temps aux personnes mentionnées dans le journal ou publié régulièrement à destination de tous les lecteurs.

La déclaration publique concernant un ou des médias par quelque décideur éminent, et reproduite dans la presse [2].

La "libre opinion" contradictoire publiée par un média qui assure ainsi sa fonction de forum, important s’il possède un monopole local.

La page (ou portion de page) achetée par un individu ou un groupe [3] pour exprimer une opinion sur un média ou une question relative aux médias.

La "lettre du directeur" rappelant les principes journalistiques ou expliquant comment fonctionne un média.

L’encadré expliquant une décision difficile prise par la rédaction (publication ou non-publication).

Le bulletin de la rédaction, inséré ou posté aux abonnés, donnant des informations sur la vie intérieure de la publication .

Le bulletin d’information envoyé à leurs abonnés par des ONG qui se consacrent à la surveillance des médias [4].

La page, la section [5], l’émission régulière consacrée aux médias, offrant information et critiques.

La chronique de déontologie régulière publiée par une revue professionnelle.

Le livre ou le rapport critique, élaboré par des experts, à l’initiative parfois d’associations d’usagers ou même de services officiels.

Le film, la série télévisée, le roman qui informent sur les médias et, pour une part, les critiquent.

Le site du Web affichant des corrections d’erreurs faites par les médias [6] - ou des plaintes et protestations de journalistes.

Le site du Web dénonçant les abus des annonceurs publicitaires [7].

Le site du Web géré par un journaliste (ou un amateur) qui fait une critique sérieuse et systématique des médias [8].

Le site du Web [9] offrant aux journalistes information et conseils afin de rendre la presse plus socialement responsable.

Le site Web consacré au débat sur les questions médiatiques, comme les rapports des médias et de la jeunesse.

Le site Web informant le public sur la façon d’évaluer les médias [10].

Le média contestataire : petit organe de parti, journal parallèle, talk show politique, station FM associative, etc. qui publie ce que les médias occultent, y compris des critiques des médias.

La revue critique, journalism review (magazine, émission, site), locale ou nationale, largement consacrée à la critique des médias du pays ou d’une ville, et à la dénonciation de leurs occultations [11].

"Des roses et des épines" ("Darts and Laurels"), page de revue ou de site web composé d’anecdotes à la gloire ou à la honte des médias. Le New York Times fait circuler un tel bulletin en interne.

Un bilan annuel critique du comportement des médias, rédigé par usagers et journalistes, et mis en forme par des universitaires [12].

La revue d’une association de défense du consommateur (régionale ou nationale) qui à l’occasion s’occupe de la qualité des médias.

La pétition signée par des centaines ou des milliers d’usagers pour faire pression sur un média directement, ou par le biais de ses annonceurs ou d’une agence régulatrice.

Une chaîne de télévision ou un hebdomadaire [13] dont tout le matériau est emprunté à des médias étrangers - ce qui, entre autres, facilite les comparaisons.

Très exceptionnel, un journal offert par son éditeur à une faculté de journalisme pour servir de laboratoire universitaire, tel un CHU [14].

2. Individus et groupes

Le critique interne : une personne aux Etats-Unis, un comité au Japon (shinshashitsu), dont les rapports ne sont pas publiés.

Le comité d’éthique, groupe de journalistes au sein d’un média, qui discute les problèmes et suggère des solutions, si possible à l’avance.

Le conseiller en déontologie, expert extérieur invité dans la salle de rédaction pour y éveiller la conscience déontologique, stimuler le débat, conseiller des solutions.

Le chroniqueur spécialisé dans les médias, pour contrer la tendance des médias à faire silence sur leurs affaires [15].

Un critique externe payé par le journal pour écrire une chronique à propos du journal.

Le défenseur des consommateurs, journaliste qui prévient les usagers contre les publicités abusives et prend leur défense quand ils ont été lésés par une firme ou une administration [16].

Le médiateur/ombudsman, employé par un média, qui écoute les usagers mécontents, fait une enquête, obtient réparation et (le plus souvent) publie ses conclusions.

Le bureau des réclamations, ou service après-vente, qui écoute les plaintes et demandes des usagers [17].

Le dénonciateur, un employé assez courageux pour révéler quelque grave abus au sein d’une firme médiatique.

Le conseil de discipline, mis en place par un syndicat ou une autre association professionnelle pour garantir que son code est respecté.

Le comité de liaison avec tout groupe avec lequel les journalistes risquent d’avoir des heurts au dam de l’intérêt public (police, minorité ethnique etc.)

Le citoyen nommé au conseil de rédaction du journal, de la station - ou le groupe d’usagers invités à une conférence de rédaction - pour faire entendre la voix du public.

Le club d’usagers qui recrute ses membres par divers avantages puis les incite au dialogue avec le média afin d’en améliorer les services [18].

Le panel d’usagers (ou plusieurs panels spécialisés) régulièrement consultés [19].

Le conseil de presse local : des réunions régulières de membres représentatifs d’une localité avec des responsables des médias pour exprimer leurs griefs et leurs désirs.

Le conseil de presse national, ou régional (comme au Canada) - le M*A*R*S le plus connu car présent dans toutes les démocraties nordiques, germaniques et anglo-saxonnes.
Normalement créé par éditeurs et journalistes - et composé, pour un tiers au moins, d’usagers. Rôles majeurs : défendre la liberté de presse et examiner les plaintes d’usagers. N’a pas de pouvoir de sanction : les médias s’engagent à publier ses jugements.

L’ombudsman national associé à un conseil de presse (Suède) ou indépendant (Afrique du Sud), nommé par la presse pour s’occuper des plaintes d’usagers.

L’ONG qui aide (gratuitement) les usagers lésés par les médias à obtenir satisfaction [20].

L’observatoire scientifique : des experts observent le comportement des médias et analysent leurs contenus à long terme.

L’observatoire critique : des observateurs extérieurs scrutent les contenus des médias, parfois avec des soucis partisans [21].

L’observatoire monté par des journalistes soucieux de la qualité des médias, comme dans beaucoup de pays d’Afrique Occidentale [22] , pour défendre la liberté, recevoir des plaintes.

L’association d’usagers [23] militant pour de meilleurs médias par la formation, la recherche (observation, sondages), la pression parlementaire, la campagne de courrier, le boycott etc.

L’organisme de filtrage, mis en place par un média (ex. les BD) ou une industrie liée aux médias (ex. la publicité) [24], pour éviter des restrictions législatives.

L’association de professionnels liée aux médias, nationale [25] ou internationale [26] qui a un intérêt direct ou indirect à l’amélioration des médias, par colloques, ateliers, publications etc.

La fondation qui finance projets ponctuels et associations visant l’amélioration des médias [27].

L’ONG liée aux médias qui aide (formation, matériel, services gratuits) les médias de pays pauvres et démocraties émergeantes.

Un groupe de citoyens (ex. syndicat ou association de parents) qui pour des raisons partisanes ou d’intérêt public (ex. le bien-être des enfants [28]) surveille les médias ou attaque un cible particulière, comme la publicité [29].

Un groupe représentatif de journalistes, agissant au sein de la salle de rédaction - autorisé par la loi en Allemagne, requis par la loi au Portugal.

La "société de rédacteurs" qui possède des actions de la firme pour laquelle ils travaillent, et s’efforce d’avoir son mot à dire dans la direction du média [30].

La "société d’usagers ", association de citoyens qui acquiert des actions d’un média et demande à avoir son mot à dire [31].

*** Il est trois institutions qu’il est difficile de ne pas inclure si elles préservent leur indépendance, et dans la mesure où elles visent avant tout le bon service du public. Des para-M*A*R*S :

- L’instance de régulation établie par la loi, dans la mesure où une telle commission étatique ne reçoit aucun ordre du gouvernement, qu’elle a pour but premier de protéger le public - et que, souvent, elle accepte d’examiner les plaintes du public [32].

- La radiotélévision publique, qui, pour autant qu’elle se voue au service public, constitue au sein d’un pays une critique de la radiotélévision commerciale.

- La radio-télévision internationale [33], publique ou privée, grâce à laquelle les médias étatiques nationaux trouvent très difficile d’occulter ou de déformer l’information.

3. Processus

L’éducation universitaire, de préférence en journalisme. Un journaliste formé sur le tas ou dans une école technique risque de n’être qu’un employé aux écritures.

Le cours/TD de déontologie, d’un semestre ou une année, obligatoire pour tous les étudiants en communication sociale.

La formation continue pour les journalistes (ateliers d’une journée, séminaires d’une semaine, longs stages en université [34]) pour améliorer leur compétence dans une spécialité.

La séance d’éveil, interne, pour faire prendre conscience aux journalistes des problèmes de certains groupes (femmes, minorités ethniques etc.) - ou leur apprendre à répondre adéquatement aux usagers.

La création d’une banque de données comprenant toutes les erreurs faites par le média afin de discerner les tendances et prendre des mesures.

L’enquête interne sur quelque problème impliquant le public (tels les rapports d’un journal avec ses lecteurs).

L’audit déontologique : un média fait vérifier par des experts extérieurs le niveau éthique de la rédaction et le fonctionnement de ses M*A*R*S .

La publication des adresses email et/ou des numéros de téléphones des chefs de rubrique et journalistes à la suite de leurs articles.

La lecture de l’article aux sources avant publication pour éviter les erreurs. Méthode qui est loin de faire l’unanimité [35].

"Les médias à l’école" : tous les enfants ont besoin d’un enseignement sur les médias, d’apprendre à les consommer.

La campagne d’éducation du public (media literacy campaign) visant à faire mieux comprendre les médias et à mobiliser le public.

La session d’écoute au téléphone : une fois par semaine ou à l’occasion, rédacteur en chef et chefs de rubrique écoutent les usagers pendant quelques heures [36].

La conférence publique, visant à informer et faire réfléchir les usagers sur les problèmes médiatiques ; et éventuellement à les mobiliser.

La rencontre publique entre professionnels, politiciens et usagers - régulière dans un club de la presse (par exemple) ou occasionnelle lors d’un congrès, d’une "université d’été" ou même d’une croisière  [37].

L’étude d’opinion régulière sur le média, dont la motivation est commerciale, mais dont l’effet peut être celui d’un M*A*R*S. Peut consister en un questionnaire sur un site Internet.

Une enquête nationale sur l’attitude du public envers, par exemple, la télévision publique ou l’indépendance des journalistes [38].

La recherche à but non-lucratif. Dans des universités, et divers instituts, des experts mènent des études longues et approfondies - pour (1) percevoir les occultations [39] et distorsions, et (2) évaluer les effets des médias.

Un congrès annuel rassemblant décideurs de médias, dirigeants politiques et représentants d’associations d’usagers [40].

La coopération internationale visant à accroître la qualité ou la responsabilité sociale des médias [41].

Le prix ou autre récompense, visant à encourager les comportements déontologiques - ou un contre-prix pour sanctionner des violations [42].

Claude-Jean Bertrand
Professeur émérite
Institut français de presse
Université de Paris 2

 
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Notes

[1Comme à Zero Hora, quotidien de Porto Alegre au Brésil.

[2Les deux discours prononcés en 1969 par le vice-président US Spiro Agnew dénonçant la presse progressiste eurent un retentissement énorme.

[3Comme la page achetée par 56 éminents citoyens US dans des quotidiens de tout le pays en juillet 1999 pour dénoncer la toxicité d’une part de la culture populaire.

[4Telles que FAIR (Fairness and Accuracy in Reporting) or "Project Censored" aux Etats-Unis.

[5Tel le "Media Guardian" publié le lundi par le quotidien britannique Guardian.

[6Comme www.slipup.com aux EU pendant plusieurs années.

[7Comme www.adbusters.org à Vancouver, animé par d’anciens professionnels de la publicité.

[8Comme Romanesko le fait sur www.poynter.org, site du Poynter Institute.

[9Comme le site de la FIJ (Fédération internationale des journalistes) qui s’adresse aux journalistes africains (http://africa.ifj.org/fr).

[10Comme www.gradethenews.org de John McManus dans la région de San Francisco qui est centré sur l’information télévisée.

[11Comme l’American JR (University of Maryland) ou la On-Line JR (University of Southern California).

[12Ce que fait l’université de Tampere, en Finlande, à la suite d’un seminaire semestriel sur le sujet.

[13comme SBS en Australie ou comme Courrier International en France.

[14Comme l’ Anniston Star, confié en 2003 par son propriétaire à une fondation qui en partagerait la gestion avec la University of Alabama.

[15Le plus célèbre, David Shaw du Los Angeles Times, a reçu un prix Pulitzer en 1991.

[16Comme les équipes "Action Line" courantes dans les journaux US dans les années 1970.

[17Comme celui de la BBC en Grande-Bretagne.

[18Au Niger, les radios clubs sont devenus une institution dans les zones rurales pour aider les auditeurs à comprendre les émissions et les producteurs à mieux servir leur public.

[19Au Mexique, le groupe de journaux Reforma utilise 60 comités de lecteurs dans divers secteurs.

[20Tel PressWise en Grande-Bretagne (www.presswise.org.uk )

[21Comme FAIR (Fairness and Accuracy in Reporting) aux Etats-Unis (www.fair.org).

[22Tels le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Sénégal.

[23Comme "People For Better TV", une coalition nationale d’usagers US.

[24Tels le BVP (Bureau de vérification de la publicité) en France.

[25Comme l’AEJMC (Association of Educators in Journalism and Mass Communication) aux Etats-Unis.

[26Comme l’International Press Institute ou la World Association of Newspapers (ex-FIEJ).

[27Comme la Fondation Friedrich Ebert en Allemagne ou les Pew Charitable Trusts aux Etats-Unis.

[28Comme ANDI à Brasilia qui observe tous les médias et publie des rapports sur la manière dont ils couvrent les enfants.

[29Comme Résistance à l’agression publicitaire en France (lien ajouté par Acrimed).

[30La première fut créée au Monde en 1951.

[31Au Monde, elle possède plus de 10% du quotidien.

[32Comme l’Ordine dei Giornalisti (Ordre des journalistes) en Italie - ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel en France, deux institutions très différentes.

[33Comme CNN ou BBC World.

[34Courants aux Etats-Unis (comme les Knight Fellowships à Stanford ou les Nieman Fellowships à Harvard), très rares ailleurs.

[35Le conservateur Wall Street Journal encourage ses reporters à la pratiquer.

[36Pratiqué par plusieurs grands quotidiens brésiliens.

[37Ce dernier M*A*R*S a été utilisé par le quotidien La Libre Belgique.

[38Le magazine Télérama et le quotidien La Croix font et publient une telle enquête tous les ans depuis la fin des années 80
(lire L’arroseur arrosé : le "baromètre" sur les Français et les médias (1) et (2), note d’Acrimed).

[39Comme "Project Censored", de Sonoma University, depuis plus de 20 ans aux Etats-Unis.

[40Comme l’"Université de la communication" en fin août, à Carcans-Maubuisson, puis Hourtin, en France.

[41Comme l’AIPCE qui regroupe les conseils de presse européens. Voir www.presscouncils.org

[42Comme le "Silver Sewer Award" (Prix de l’Egout d’Argent) décerné par Empower America, un très conservateur observateur des médias.

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