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TPMP au service d’Éric Zemmour ?

par Claire Sécail,

Nous publions sous forme de tribune [1], avec l’autorisation de l’auteure, un fil Twitter écrit le 23 octobre par Claire Sécail, chargée de recherche au CNRS. Elle revient sur le traitement consacré à Éric Zemmour dans l’émission « Touche pas à mon poste » (TPMP), présentée par Cyril Hanouna et diffusée sur la chaîne C8, détenue par Vincent Bolloré [2]. Cette contribution au débat public est tirée d’une recherche réalisée dans le cadre du groupe de travail Médias Elections 2022 du LCP-IRISSO. (Acrimed)

Hier [3] dans TPMP, Anasse Kazib, ex-NPA et candidat 2022, accusait TPMP de faire la propagande de Zemmour. Face à lui, les chroniqueurs et Hanouna ont fait corps pour contester cette accusation. Quelques données pour faire le point [spoil : Kazib n’a pas tort].

Les raisons :

Depuis septembre 2021, la part consacrée aux sujets politiques représente 21% de TPMP, soit moins que les sujets Médias, ADN de TPMP. Mais ces séquences sont valorisées car placées principalement dans la dernière partie de l’émission, où l’audience est la plus forte (4,5 à 6,7% de part d’audience). En pourcentage du temps d’antenne/parole cumulé depuis la rentrée, Zemmour (40,3%) arrive loin devant Macron (25,8) ou Marine Le Pen (9,5). Le cadrage des sujets politiques est donc bel et bien à l’avantage d’Éric Zemmour, quel que soit le travail du contradictoire en plateau.



Comme de nombreux médias, TPMP contribue à centraliser la personnalité d’Éric Zemmour et renforcer ainsi sa légitimité. Mais contrairement à d’autres espaces médiatiques soucieux de traiter l’actualité politique, TPMP invisibilise complètement d’autres candidatures (droite, gauche, écolo). L’argument numéro un d’Hanouna pour se justifier : « On part de l’actualité. Zemmour, il a tous les soirs une actualité ». Non, les programmes d’info font toujours une sélection de ce qui est jugé saillant au regard de critères qui leur sont propres (audience, ligne éditoriale, valeurs).

Le contre-exemple le plus éclairant de TPMP est la primaire des écologistes : largement médiatisée sur d’autres chaines, elle est complètement passée sous silence dans TPMP, malgré la promesse agonistique chère à l’émission (Jadot/Rousseau durant la campagne de deuxième tour).

Si l’on considère la distribution par famille politique, l’extrême droite (Zemmour, Le Pen, Philippot, Nicolas Dupont-Aignan) est même majoritaire avec 51,1% du temps d’antenne cumulé depuis la rentrée. L’élection présidentielle se réduit toujours à un duel majorité / extrême droite.



L’approche dynamique montre qu’après un mois de septembre centré sur Zemmour, octobre marque un renforcement de l’extrême droite en même temps que son rééquilibrage entre les principales forces partisanes de cette famille politique.



Percevant le danger de laisser le camp Zemmour séduire les catégories populaires qui forment le public de TPMP, le Rassemblement national passe à l’offensive en octobre : maire RN de Moissac, porte-parole Julien Odoul (qui avait toujours refusé de venir), cas Chevallier permettent à Le Pen d’émerger.

Sans oublier le passage de Jordan Bardella dans l’hebdomadaire « Balance ton Post » le 30 septembre (2e meilleure audience de BTP depuis la rentrée avec 3% de pda).



Face à Anasse Kazib, les chroniqueurs défendent leur capacité à assurer une fonction du contradictoire en phase avec les critères journalistiques d’un programme info : Gilles Verdez invoque sa liberté critique, Fiona Deshayes souligne la variété des opinions.

Mais ils oublient :

1/ que leur parole est déterminée par l’effet de cadrage (formulation du problème) qui privilégie d’abord Zemmour. On l’a vu quantitativement ; c’est aussi vrai qualitativement, Éric Zemmour étant principalement traité sous le registre profitable de la victimisation. Victime de censure (CSA), d’atteintes à sa vie privée (presse people), d’agressions verbales/physiques (réseaux sociaux, rue), de la « bien-pensance » : la mise en récit du cas Zemmour se moule dans la répétition de ce puissant registre narratif. Aucun chroniqueur n’y résiste.




2/ En diffusant intégralement et sans contradictoire les vidéos de propagande d’Éric Zemmour (les 9/09 et 13/09), TPMP a bel et bien fait de la propagande en servant les intérêts de Zemmour (convoiter le public populaire de TPMP, mobiliser au-delà de son premier cercle etc.).




3/ Certains catégories d’arguments critiques ne correspondent pas au registre de l’émission et Hanouna n’hésite pas à stopper les échanges qui deviennent trop techniques ou réclament des savoirs non maitrisés (Pétain et les Juifs). Oui au contradictoire mais émotionnel…




4/ « On a tous des avis divergents ». Oui, les chroniqueurs représentent bien différentes sensibilités mais cela ne conduit pas mécaniquement à faire respecter un pluralisme d’opinion en plateau en raison des modalités et contraintes des échanges.
Profitant du statut contestable de l’invité (mis en cause juste avant au sujet de l’absence de drapeaux tricolore dans ses meetings), les chroniqueurs de TPMP sont incapables d’émettre la moindre autocritique alors que le décalage entre le récit de soi et les données est flagrant.

À suivre...

Pour finir, rappel de la méthodologie employée :


Claire Sécail

 
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Notes

[1Les articles publiés sous forme de « tribune » n’engagent pas collectivement l’association Acrimed, mais seulement leurs auteurs dont nous ne partageons pas nécessairement toutes les positions.

[2À ce sujet, voir aussi notre article « Zemmour : un artéfact médiatique à la Une ».

[322 octobre (Ndlr).

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