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Tribune

Renvoi d’ascenseur entre Le Monde et Albin Michel

par Sonia Combe,

Dans son dernier numéro en date du 15 novembre, le New Yorker publie un long article intitulé « The End of the World » consacré comme son nom l’indique à la crise du Monde. On peut y lire entre autre chose le constat suivant sur Le Monde des livres  : « Les critiques [y] sont le plus souvent positives pour ne pas dire chaleureuses ; dans la presse française, les liens d’amitiés - c’est à dire le réseau auquel appartient l’écrivain - sont habituellement aussi visibles que les ficelles d’une marionnette dans le vieux show des « Thunderbirds  ». »

Ce que suggère, mais qu’aurait pu préciser le magazine new yorkais, c’est que de tous les organes de presse, c’est incontestablement Le Monde des livres qui a la palme dans ce domaine.

Cette complaisance qui le caractérise a été démontrée en littérature, de Mazarine à Madame Angot en passant par Sollers, ce journal n’ayant même pas la correction de s’abstenir, comme d’autres journaux, de faire l’éloge des livres de ses propres collaborateurs, de faire en sorte que Madame ne dise pas tout le bien qu’elle pense de Monsieur et vice-versa etc. Mais cette même complaisance est moins connue dans le domaine des sciences humaines où, pourtant, des sommets de collusion sont atteints : le Monde des livres est le lieu où s’effectuent le plus grand nombre de renvois d’ascenseur et de règlements de comptes dans ce monde « académique » où, comme le rappelait Simmel, les coups n’ont rien à envier à ceux qui se donnent sur le ring. On trouverait difficilement dans Le Monde des livres l’exemple d’un titre dont on aurait fait état simplement en raison de ses qualités intrinsèques. Derrière chaque critique, il y a ce qu’on appelle dans l’édition « un coup ». La connivence entre certains collaborateurs du Monde des livres (ceux qui ont le plus de poids) et certaines maisons d’édition (aux chiffres d’affaire confortables) est patente. Ces liens, d’ailleurs, ne leur coûtent même pas trop cher, il s’agit le plus souvent de frais de bouche : comme s’en vante un collaborateur de province du Monde des livres, il n’a jamais à payer ses notes de restaurant lorsqu’il monte à Paris...

Au faite de cette cuisine interne, j’avais personnellement pris la décision de m’épargner la lecture du Monde des livres. Mais voilà, il arrive parfois que je me trompe de jour. Patatras ! Mon taux d’adrénaline grimpe à toute allure. Car pas un seul Monde des livres sur lequel je tombe par inadvertance ne contient pas la preuve de ce que j’avance. Ainsi, le 26 mars 2004, je lisais le portrait louangeur d’un de ces personnage du monde de l’édition qui préfèrent les chiffres à la lecture et qu’hélas, je connais bien : « Petit à petit (...), écrit Madame Savigneau en personne, elle (la maison d’édition, c’est à dire Albin Michel Ndr) s’est installée dans la cour des grands, créant une excellente collection d’histoire et de sciences humaines, (...). Cette victoire là est celle de Richard Ducousset (...) ».

Tout d’abord, j’ai cru à une plaisanterie. En effet le « second » d’Albin Michel ne cache nullement qu’il n’aime pas les livres en sciences humaines, mais alors, vraiment pas ! D’abord il trouve leurs couvertures trop austères et comme il est convaincu qu’un livre se vend sur les couleurs qu’il arbore, il n’en veut pas. Au point que Richard Figuier, directeur de ce département de Sciences humaines et qui fit la renommée du département avec presque tous les titres parus jusqu’à une date récente, se vit contraint de démissionner et que, personnellement, je décidais de mettre fin à ma collaboration comme directrice de collection.

Quelque peu indignée, j’adressai donc une lettre à Madame Savigneau pour l’informer que tout contrat signé en sciences humaines, tout livre édité dans ce domaine, signifiait pendant les années où j’avais collaboré au département Sciences humaines des éditions Albin Michel, un combat contre Monsieur Ducousset (combat dont, précisé-je par souci de vérité, seule l’aide de Francis Esmenard, le patron, pouvait assurer le succès). La lettre resta, et pour cause, sans réponse.

Cette dernière m’est parvenue ce 19 novembre 2004, lorsque je vis dans Le Monde des livres un compte-rendu de Histoire du journal Le Monde, 1944-2004, de Patrick Eveno, (lequel entend « dresser un plaidoyer pour l’actuelle direction du Monde contre des attaques injustes ») publié comme de bien entendu ... aux éditions Albin Michel.

Sonia Combe
(Ancienne directrice de la collection « Histoire à deux voix » aux éditions Albin Michel )

Nota bene : La recension critique de cet ouvrage, dans Le Monde des Livres du 19 novembre 2004 a été confiée à Jean-Noël Jeanneney présenté comme « historien, président de la BNF, auteur avec Jacques Julliard du Monde de Beuve-Méry ou le métier d’Alceste (Seuil, 1979), et membre du Conseil d’administration de la Société des lecteurs du Monde .  » [souligné par nous]. Une recension qui prend quelques distances avec Patrick Eveno quand celui-ci se transforme, selon Jeanneney, en « avocat » du Monde. Mais cela fait partie des « règles du jeu » : il arrive que l’un des ascenseurs s’arrête à mi-parcours

 
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