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Lire : Faire sensation. De l’enlèvement du bébé Lindbergh au barnum médiatique, de Roy Pinker

par Henri Maler,

Faire sensation. De l’enlèvement du bébé Lindbergh au barnum médiatique [1] est consacré au traitement médiatique de l’un de ces « faits divers exceptionnels » qui « ont droit à une vie plus longue que les autres » : l‘enlèvement du fils de Charles Lindbergh, héros de la traversée en avion de l’Atlantique, l’assassinat de l’enfant, l’enquête et, enfin, le procès puis l’exécution de l’auteur présumé.

L’ouvrage propose une « analyse du bruit médiatique, en toutes ses composantes liées à la fabrication, à la diffusion et à l’écriture de ce bruit ». La richesse et les nuances de cette analyse défient toute tentative d’en rendre compte dans un résumé, inévitablement réducteur. On se bornera donc ici à donner un aperçu très incomplet.

Le fait divers et l’objet de l’ouvrage sont sobrement présentés sur la quatrième de couverture :

En mars 1932, le fils du célèbre aviateur Charles Lindbergh est enlevé puis assassiné. Quatre ans plus tard, à l’issue d’un procès contestable, Bruno Hauptmann est exécuté. Ce livre ne s’attarde pas sur les détails de ce qui est vite devenu “l’affaire du bébé Lindbergh” : il l’aborde comme un moment charnière de l’histoire des médias, où s’installent des méthodes sensationnalistes omniprésentes aujourd’hui. Roy Pinker est le nom de l’envoyé spécial que l’hebdomadaire Detective avait inventé dans les années 1930 pour couvrir l’affaire Lindbergh. II signe le travail d’un collectif d’universitaires rédigé par Paul Aron et Yoan Vérilhac, qui enseignent la littérature respectivement à Bruxelles et à Nîmes.

(1) Roy Pinker propose d’abord une analyse de « la fabrique du héros » (I. « Héros médiatique »), telle que la presse de l’entre-deux-guerres la met en œuvre, notamment quand elle dessine le « portait de l’aviateur en surhomme ». Autrement dit, « comment la médiatisation de l’aviateur et le fonctionnement même de la presse à l’époque ont conjugué leurs effets pour produire “l’affaire du bébé Lindbergh” ».

(2) Que nous apprend l’affaire Lindbergh sur le journalisme francophone – France, Québec, Belgique – dans l’entre-deux-guerres ? Telle est la question à laquelle s’efforce de répondre le deuxième chapitre (II. Le traitement journalistique de l’affaire). Parmi les réponses, celle-ci : à la différence des journalistes américains qui ont suivi « en temps réel » l’enquête et le procès (au point d’intervenir directement sur l’enquête elle-même), les médias francophones ont dû privilégier le recopiage et l’appropriation des informations diffusées par les médias américains. Ce faisant, ils ont produit une information unifiée et standardisée dans sa forme, en dépit des fortes variations selon les supports et les pays. Ainsi, « une sorte de texte global tend à circuler ». La tentation des médias francophones de livrer, sans en avoir les moyens, une information en continu (qui vaut non seulement pour les textes, mais également pour les images). « induit un effet d’incroyable confusion » et, s’agissant de la recherche du bébé, devient « vide d’événement et vide de sens ». Pour tenter de « donner du sens », il ne reste qu’à raconter et à dramatiser, aux limites de la fiction.

(3) Autre dimension de ce barnum médiatique : l’engouement pour la société américaine (« III. Cette étrange Amérique »). Deux logiques sont à l’œuvre dans les discours des médias francophones : la première est « mimétique  » et procède par identification ; la seconde est « de différenciation » avec l’Amérique. « Un fait divers mondialisé », alors que le fait divers est généralement un « genre de proximité », suppose un traitement particulier. La « compassion universelle » se traduit par l’universalisation du tragique et du pathétique dont l’ouvrage analyse les modalités. Les médias francophones traduisent à leur façon le motif de la vengeance contre l’assassin en imitant une violence américaine dont ils entendent se distinguer, notamment à l’occasion de la mise à mort du coupable présumé. « Incompréhension, différenciation et dénonciation » : les médias francophones jouent de la distance au point qu’il arrive que l’affaire Lindbergh soit « transformée en un prisme permettant de saisir l’état d’un pays en pleine décadence ». Enfin, l’Amérique devient, dans ces médias, une « terre de fiction » et un « objet de satire ».

(4) Ce n’est pas tout. « Un peu à l’écart de l’impact de l’événement, prolongeant les discours de la presse sur d’autres supports, d’autres produits médiatiques s’imposent à l’attention » (« IV. Bébé Milou et autres produits dérivés »). Choisissant certains d’entre eux - « pas toujours les plus connus » -, l’ouvrage examine successivement « L’affaire en chansons », « Tintin en Amérique », « Le “cadavre exquis” de Salvador Dali », etc.


* * *

Les analogies avec le traitement médiatique de faits-divers contemporains ne manquent pas, mais elles peuvent inciter à des raccourcis trompeurs. En revanche, les méthodes d’analyse proposées par Faire sensation peuvent être une source féconde d’inspiration.

Henri Maler

 
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Notes

[1Éditions Agone-Contre-feux, 2017, 17 euros.

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