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En Bref

Le gouvernement s’attaque à l’audiovisuel public – Le Parisien en redemande

par Blaise Magnin,

Lundi 13 novembre, Le Monde rendait public un « document de travail » du ministère de la culture préconisant une réforme draconienne de l’audiovisuel public. Avec comme première cible, France Télévisions : suppression de France Ô, diffusion de France 4 limitée à Internet, fermeture des bureaux régionaux de France 2, le tout accompagné de « départs volontaires difficiles à éviter »… Côté Radio France, sont évoquées la relégation du Mouv’ sur Internet, une « réforme des modes de production » - autant dire une baisse de la qualité de production –, et est à nouveau mise sur le tapis – après une première tentative avortée en avril 2015, du fait d’une grève massive – la fusion de l’Orchestre national de France et de l’Orchestre philharmonique de Radio France – ou la suppression de l’un des deux. À ces coupes sombres, on peut ajouter le regroupement de France Télévisions et Radio France dans une seule et même « holding », avec comme objectif, les inévitables « synergies » – synonymes d’économies de moyens…

Un train de mesures en forme de jeu de massacre que laissaient largement présager les propositions du candidat Macron – à propos desquelles nous avions alerté malgré les dénégations d’une des porte-paroles du futur président. Si elles ne sont guère surprenantes, ces « pistes » de réforme n’en seraient pas moins destructrices dans un groupe déjà budgétairement supplicié depuis des années : leur logique strictement comptable et largement idéologique – il s’agit avant tout de réduire le périmètre de l’intervention publique pour laisser libre cours aux forces et aux intérêts du marché –, élude toute considération sur les missions dévolues à l’audiovisuel public.

Et pour faire bonne mesure, la ministre de la culture, Françoise Nyssen, a annoncé qu’elle allait porter plainte contre X pour débusquer la source ayant communiqué les pistes de réforme aux journalistes du Monde. Étrange et inquiétante conception de la liberté de la presse et du débat public que de traquer judiciairement et chercher à faire condamner ceux qui rendent… publics les projets du pouvoir – dont on attendrait plutôt qu’il cherche à protéger les sources des journalistes [1].

Mais il faut bien reconnaître que de telles mesures, présentées telles quelles, avant qu’ait pu être mis au point un « plan comm’ » et les « éléments de langage » ad hoc qui font la saveur de toute « pédagogie » gouvernementale, sont de nature à déclencher quelques troubles chez les salariés, voire de mettre en difficulté la ministre. Mais heureusement Le Parisien veille…

Le Parisien fait la chasse au gaspillage

Et quoi de mieux qu’un quotidien à grand tirage pour suppléer des communicants pris de court ? Dès le 15 novembre, au surlendemain des révélations du Monde, le quotidien de Bernard Arnault annonçait en « une » un dossier qui ouvrait l’édition. Son titre, « France Télé, faut-il tout changer ? » aurait tout aussi bien pu être mis à la forme affirmative, tant le dossier prend parti pour justifier les projets du ministère.

Avec, en première page, un éditorial qui recommande d’oublier « un temps la fameuse exception française que l’on brandit comme un étendard un peu fané », de « penser l’avenir, ne pas s’arc-bouter pour mieux résister  », ou encore d’« oublier l’entre-soi pour toujours rester au service du public » [2]. Un édito en forme d’appel à la résignation face à la nécessité de « La-Réforme » auquel n’a rien à envier l’article de cadrage qui ouvre le dossier, dont la première phrase (« Faut-il dégraisser le mammouth et par où commencer la découpe ? ») donne délicatement le ton, et dont la suite s’attache à démontrer la nécessité de chacune des mesures évoquées dans le document ministériel.

Certes tout n’est pas à jeter dans la suite du dossier, qui respecte un certain pluralisme politique en donnant la parole à deux élus aux avis tranchés sur la question [3], ou propose un encadré fort instructif qui pointe les conséquences en cascade que pourrait avoir la suppression de France Ô ou de France 4 : la première produit nombre de programmes diffusés par le Réseau Outre-Mer Première (Guadeloupe 1ère, Réunion 1ère, Guyane 1ère, etc.), tandis que la seconde a une mission de financement de la filière de l’animation française. Mais pour le reste du dossier, on ne trouve que des encadrés aux titres évocateurs : « Du ménage dans le gaspillage », « Des placards dorés », « Beaucoup de salariés, moins de caméras », « Cacophonie à Radio France » – un pur journalisme d’accompagnement des choix gouvernementaux…

Cette réforme annoncée de l’audiovisuel public est à l’exact opposé de la voie qu’il conviendrait d’emprunter pour que le secteur public ait quelque chance de devenir vraiment un service public : élargir le périmètre, renforcer le financement et démocratiser le tout, comme nous le proposons [4]. Mais gageons que si le gouvernement poursuit dans cette voie, la mobilisation des salariés et des syndicats sera à la hauteur des enjeux.

Blaise Magnin



Annexe – Communiqués syndicaux

Ce gouvernement a un problème avec la liberté de la presse (SNJ)

Après la ministre du travail Muriel Pénicaud, qui avait déposé plainte début juin, pour « vol, violation du secret professionnel et recel », à la suite des révélations de Libération sur le contenu de la réforme du code du travail, c’est au tour de la ministre de la culture Françoise Nyssen d’annoncer sa volonté de porter plainte contre X, en réponse aux révélations du journal Le Monde sur la réforme de l’audiovisuel public. C’est d’autant plus choquant qu’il s’agit du Service Public financé par les citoyens, qui doivent donc être les premiers informés.

Si elles sont un moyen d’exercer une pression sur les rédactions qui auraient l’audace de faire leur travail d’investigation jusque dans les bureaux des ministères, ces plaintes traduisent également une volonté évidente du gouvernement d’intimider les sources des journalistes par la menace de poursuites judiciaires. Ces pratiques scandaleuses, indignes d’une démocratie qui se veut « moderne », nous renvoient plusieurs dizaines d’années en arrière.

Le Syndicat national des journalistes (SNJ), première organisation de la profession, rappelle au président Emmanuel Macron que la protection des sources des journalistes, garantie en Europe par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, est définie par la Cour européenne des droits de l’Homme comme « une condition essentielle au libre exercice du journalisme et au respect du droit du public d’être informé des questions d’intérêt général ».

Le SNJ exprime ses plus vives inquiétudes quant à la conception de ce gouvernement de la liberté de la presse, pilier de la démocratie, et droit fondamental des citoyens.

Le SNJ apporte tout son soutien au réalisateur Lech Kowalski, convoqué aujourd’hui devant le tribunal de grande instance de Guéret pour répondre d’une supposée « rébellion ». Le cinéaste indépendant avait été interpellé et placé en garde à vue le 20 septembre dernier alors qu’il filmait l’occupation de la préfecture de Guéret par les salariés de GM&S La Souterraine (GMD). Lech Kowalski n’a fait que son métier d’informer.

Le SNJ exprime sa totale solidarité avec la journaliste du quotidien suisse Le Temps, qui a fait l’objet de deux heures d’interrogatoire ce week-end à la gendarmerie de Briançon, alors qu’elle effectuait un reportage sur le passage clandestin de migrants depuis l’Italie vers la France par le col de l’Echelle. Elle ne faisait que son métier d’informer.

C’est un fait, les incidents de ce genre se multiplient au pays de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Informer n’est pas un délit. Il est grand temps que ce gouvernement en prenne conscience.

Paris, le 15 novembre 2017

***

Madame Nyssen, au nom de la transparence, garantissez le secret des sources, et renoncez aux poursuites ! (SNJ-CGT)

La Ministre de la Culture a annoncé dans un communiqué qu’elle avait l’intention de porter plainte contre X suite aux révélations du Monde le 13 novembre sur les pistes de réformes de l’audiovisuel public dans le cadre des travaux du Comité d’action publique (CAP) 2022. Selon la Ministre, qui s’est déclarée « stupéfaite », « il s’agit de documents contenant des pistes de travail, non validés … qui n’avaient pas vocation à être rendus publics ». La stupéfaction de Mme Nyssen est en tout cas tardive puisque Le Monde publiait dès le 10 novembre un premier article sur les dangers du même rapport pour le spectacle vivant à partir du document issu des travaux du Ministère. Le quotidien a d’ailleurs poursuivi son enquête journalistique le 15 novembre avec un troisième article sur les musées, le spectacle vivant, les archives toujours à partir des mêmes travaux.

La réaction de la Ministre de la culture est à la hauteur des 31 pages d’un document dont l’objectif « est de repenser en profondeur la politique culturelle et l’audiovisuel public » : sidérante et scandaleuse. Afin d’essayer de limiter les dégâts, Mme Nyssen a déclaré devant la représentation nationale que « la plainte ne vise pas les médias (...) Je n’attaque pas la presse ». Mais elle semble ignorer que la protection des sources des journalistes est garantie en Europe par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Et que cet article a fait l’objet d’une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui définit la protection des sources des journalistes comme une « condition essentielle au libre exercice du journalisme et au respect du droit du public d’être informé des questions d’intérêt général ». Elle semble également avoir perdu la mémoire depuis son intervention lors du dîner des professionnels de la presse, à l’occasion de la fête de l’Humanité. Elle y déclarait « Je souhaite que l’on poursuive la réflexion lancée par la récente loi BLOCHE, pour renforcer la protection du secret de leurs sources. Et nous sommes là, évidemment, pour assurer la protection de leur personne : en France – je n’ai pas besoin de le dire. Et à l’étranger. »

Le pouvoir issu des élections du printemps a décidemment un problème avec la liberté de la presse. Après la ministre du travail, qui avait déposé plainte en juin pour « vol, violation du secret professionnel et recel » suite aux révélations de Libération sur la réforme du code du travail, puis le président de la République qui, en août, avait attaqué en justice (avant de se rétracter) un photographe de presse pour « harcèlement et tentative d’atteinte à la vie privée » c’est donc au tour de la Ministre de la culture de porter atteinte à l’un des principes essentiels de notre démocratie.

La CGT Spectacle, la CGT Culture, la Filpac CGT et le SNJ-CGT s’inquiètent des dérives constatées ces derniers mois et appellent le gouvernement à respecter la liberté de l’information et des journalistes à exercer pleinement leur profession. Ils demandent à Mme Nyssen de renoncer à porter plainte. Les agents du ministère de la culture n’ont pas besoin d’une chasse aux sorcières mais de moyens supplémentaires pour assurer correctement leurs missions. Ce sont des citoyens comme les autres.

Montreuil, le 16 novembre 2017.

 
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Notes

[1D’autant plus que cette volonté de débusquer ces sources devient une manie du gouvernement qui avait déjà engagé des poursuites après les « fuites » concernant le projet de réforme du code du travail en juin dernier... À ce sujet, voir en annexe les communiqués du SNJ et du SNJ-CGT.

[2Après avoir été, pendant des semaines, en campagne pour la loi Travail, les éditorialistes maison reprennent donc leurs bonnes habitudes ! Que ce parti-pris pro-gouvernemental systématique ait amené près de 80 % des journalistes consultés en interne à se prononcer pour la suppression pure et simple de l’éditorial des colonnes du journal n’y a donc rien changé, bien au contraire… Ainsi règne l’éditocratie.

[3Éric Woerth (député LR), favorable aux réformes envisagées, et David Assouline (sénateur PS), qui s’inquiète de la capacité du groupe à remplir ses missions de service public.

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