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Laurent Delahousse ressort la brosse à reluire pour le « manager » de l’Elysée

par Samuel Gontier,

Nous publions, avec l’accord de l’auteur, un extrait du dernier article de Samuel Gontier publié sur son blog. Il revient sur le « décryptage », à caractère fortement promotionnel, de la méthode d’Emmanuel Macron, diffusé le dimanche 29 avril dans le journal télévisé du soir de France 2. Une nouvelle occasion pour Laurent Delahousse, après son interview présidentielle toute en complaisance, de passer un coup de brosse à reluire au « manager » de l’Élysée.

« Arrêtons-nous sur la méthode du président de la République », propose Laurent Delahousse. Ça évitera de parler du fond. « Depuis son accession à l’Elysée, il a placé le volontarisme comme étendard. » Difficile de blâmer quelqu’un de volontaire — et peu importe pour quoi faire. « Certains l’envisagent comme le chef de l’entreprise France. Décryptage d’une méthode. » Par ses thuriféraires, comme nous l’allons voir.

D’abord, la journaliste rappelle : « Emmanuel Macron aime l’entreprise, il la connaît. » pas la peine de le préciser, mais il a en effet travaillé dans une entreprise, la banque Rotschild, qui travaille pour le compte d’autres entreprises (au hasard : Bouygues, Alstom…). « Et il s’en inspire en politique, cela s’entend même quand il s’adresse aux préfets. » « J’attends de vous que vous soyez des entrepreneurs de l’État, dit le président. Le mot d’entrepreneur ne se réduit pas à l’entreprise. C’est le fait de faire. » Faire quoi, au fait ? Qu’importe. Devant le Conseil d’État : « La performance ne saurait être un tabou du service public. » Quelle performance, et mesurée comment ?

La journaliste relève l’emploi par le président d’« anglicismes du monde de l’entreprise », quand il se proclame « business-friendly » ou défend le « système le plus bottom-up de la terre, la démocratie ». La start-up des start-ups, en somme. Ça fait rêver. « Le président aurait-il un côté pdg, gère-t-il l’État comme une entreprise ? » L’expert interrogé pour répondre ne risque pas de s’en plaindre. « Gilles Le Gendre, ex-entrepreneur et député de la majorité, revendique une culture du résultat au nom de l’efficacité. » Efficacité à faire quoi, mesurée comment ? Le député m’éclaire. « Une entreprise qui se transforme, elle explique qu’elle va mettre le client au centre. » Et le salarié au pas. « Nous devons nous inspirer de ça. » Puisque le privé est synonyme d’efficacité, appliquons au public les principes de concurrence, d’audit, de flexibilité, de sous-traitance, pardon, d’externalisation, pardon, d’outsourcing.

« L’objectif principal, c’est le service que la sphère publique va être capable de rendre au citoyen. » Il s’agit simplement de rationalisation. « Efficacité encore avec cette pratique inédite sous la Ve République, se réjouit la journaliste. Emmanuel Macron reçoit en tête-à-tête les futurs directeurs d’administrations comme un manager en entretien d’embauche. Une façon de s’assurer leur loyauté. » Et d’affirmer sa toute-puissance de pdg ?

« Il souhaite aussi généraliser l’évaluation, notamment des ministres », explique la journaliste. L’expert sollicité est très bien placé pour défendre l’idée, il a lui-même mis son entregent, pardon, son expérience de pdg au service de l’Etat (et vice versa). « Une mise sous pression légitime pour Thierry Breton, pdg d’Atos et ancien ministre de l’Economie. » « Emmanuel Macron a certainement appris de son passage dans l’entreprise que, si on veut réussir, il faut entraîner toute une collectivité d’hommes et de femmes et en particulier ceux qui dirigent son administration. » Il faut en faire des winners. Pourquoi ne pas installer des baby-foots et des hamacs dans les bureaux des directions ministérielles ?

« Bien sûr qu’il faut savoir évaluer les ministres par rapport aux objectifs qu’ils vont prendre », plaide Thierry Breton. Et l’action de tous les fonctionnaires, non ? Il n’y a pas de raison que le service public échappe à l’hégémonie du « computable »,comme disait Barthes, du « commensurable, marchandisable », dit le politiste Nicolas Matyjasik, qui parle aussi d’« une véritable fièvre quantophrénique » sur le site AOC (Des chiffres et des lettres : réformes actuelles et New Public Management).

« Le président a fait l’ENA, note la journaliste, il aurait pourtant pu sortir d’une école de commerce, selon ce professeur d’entrepreneuriat. » C’est un peu pareil, non ? Au rythme auquel tournent les revolving doors (le pantouflage) de nos jours, l’ENA semble devenue une super-école de commerce présentant l’avantage de pouvoir faire joujou avec les leviers de l’État — afin de favoriser l’essor du commerce. « Emmanuel Macron emporterait en politique certains codes et usages de l’entreprise et notamment plus de pragmatisme. » Ah, le pragmatisme ! Et le bon sens, aussi, n’est-ce pas ?

Le prof d’entrepreneuriat détaille. « Il approche les choses en disant : “Y a pas de politique, je suis pas idéologique.” » Rien que du pragmatisme mis au service du développement du marché, en créant des besoins ou en rognant sur les communs. « Et ça, c’est quelque chose qui est assez typique d’une école de commerce. » De ces écoles qu’une récente tribune gauchiste dans le Guardian incite à démolir. « On est là pour enseigner l’action, on apprend à agir, poursuit le entrepreneuriatologue, et on a un peu tendance à faire croire qu’il n’y a pas de politique. » Un tout petit peu. « C’est ce que Macron fait, comme un pdg. » L’enquête de France 2 s’arrête là, sans s’interroger sur les caractéristiques de l’exercice du pouvoir par un pdg, qui ne saurait être démocratique : l’entreprise peut bien être aussi bottom-up que l’on voudra, ce n’est pas une démocratie.


Samuel Gontier


Lire l’article de Samuel Gontier dans son intégralité : « Bonne nouvelle : Emmanuel Macron ne fait pas de politique ».

 
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