Accueil > Critiques > (...) > Journalisme et critique littéraire

Josyane Savigneau au secours... d’un best-seller

par Patrick Lemaire,

Sourde au matraquage médiatique, Josyane Savigneau dénonce une volonté de " faire disparaître un texte dérangeant ".

Si l’on n’a pas passé les trois derniers mois sans lire un journal, écouté la radio ou regardé la télévision, difficile d’ignorer que Justine Lévy a signé un roman, Rien de grave (Stock), et qu’elle est la fille de Bernard-Henri Lévy. En effet, ce " livre " a bénéficié d’un plan média qui dépasse l’entendement [1].

Pourtant, dès les premiers - mais assurés - pas médiatiques de cette " œuvre ", Josyane Savigneau (dans Le Monde, 27/02/04) détectait une obscure conspiration, une volonté de " faire disparaître un texte dérangeant " :
" Elle a un père riche et célèbre, Bernard-Henri Lévy. Et son mariage, naguère, avec le fils d’un ami de son père, puis son divorce et la liaison de son ex-mari avec un top-model devenu chanteuse ont rempli les pages des magazines (ah bon !?). Alors son roman semble n’intéresser (sic) que pour ses clés biographiques (re-sic). C’est la manière habituelle, bien rodée, pour faire disparaître un texte dérangeant, bien écrit, bien composé. "

Deux mois plus tard, alors que le matraquage médiatique autour du " texte dérangeant " a largement dépassé le stade du supportable, Josyane en remet une couche (dans Le Monde daté 22/04/04, page " Horizons Analyses " - sic).
Elle feint de croire que Rien de grave serait " victime " d’un acharnement des médias. Mieux (plus c’est gros, mieux ça passe), c’est tout un genre littéraire, le " roman autobiographique ", qui est en danger, car " le grand jeu de la critique est alors, non de tenter de comprendre ce que dit ce roman du rapport entre les hommes et les femmes à la fin du XXe siècle, mais de chercher les "clés" des personnages. (...) Aujourd’hui, (...) la dernière victime en date de ce sport meurtrier pour la littérature s’appelle Justine Lévy " [2].

Or, le livre de Mme Lévy se classe septième des meilleures ventes [3] : on connaît " victimes " moins bien loties...
A quoi Josyane oppose par avance une réponse pour le moins torturée : " Qui se soucie des mauvais livres occupant souvent les premières places des listes des meilleures ventes ? " On aimerait comprendre. Les ennemis du livre auraient-ils œuvré dans l’ombre à son succès commercial ? Voilà bien la preuve d’une supérieure perversité !
Josyane confirme : " un bon roman, clairement autobiographique, qui se vend, est une cible idéale pour une certaine perversion et une certaine paresse journalistiques ". Les méandres intellectuels de la chef du Monde des livres auront raison de toutes les tentatives de décryptage...

" La littérature est plus dérangeante que jamais, avec sa manière de travailler le réel pour en dire la vérité ", écrit d’emblée Josyane Savigneau. Son article est titré " Négation de la littérature ". L’alternative consiste-t-elle à " travailler le réel " jusqu’à sa " négation "... pour dire le parti-pris ?

(Actualisation de mai 2004.)

Revenons à des plaisirs plus simples. A propos d’un précédent article du quotidien du soir sur les déboires amoureux de Justine Lévy, nous saluions, le 15 avril 2004, la conversion assumée du Monde au genre " people " (Le Monde : populisme ou "pipolisme" ?). Et écrivions : " ça n’est pas une fin pour un roman-photo : on attend la suite ".
Réjouissons-nous, Le Monde nous a entendu, et le 22/04/04, Josyane Savigneau nous a apporté - sans " populisme " aucun, évidemment - les précisions qui nous manquaient :
" Oui, Justine Lévy est la fille de Bernard-Henri Lévy. Elle s’est mariée, il y a quelques années, avec Raphaël Enthoven, fils d’un des proches amis de son père. Raphaël Enthoven est aujourd’hui le compagnon - et le héros d’une chanson - de Carla Bruni, top model devenue chanteuse. (...) Carla Bruni, sur la lancée de sa récompense aux Victoires de la musique, a posé avec Raphaël Enthoven, en couverture de Paris Match...
Voici donc, comme " en contrebande ", la suite du roman-photo printanier du Monde.
A suivre, donc.

(Actualisation du 22 mai 2004.)

En page 9, qui ouvre la " séquence " Société du Monde daté 22/05/04, la " têtière " " Société " est assortie de la " sous-têtière " " Vie privée ". On ne sait s’il s’agit d’instaurer une rubrique régulière...
Après l’article principal, sur toute la largeur (six colonnes), " Quand les secrets de famille font la “une” de l’actualité ", et un papier sur un livre de la fille de Jacques Anquetil, " Sophie Anquetil, les Elfes, le sultan et les deux mamans " (sic), un quart de la page (sur six colonnes également) est occupé par un article intitulé " Le business de l’intimité des célébrités prospère dans le monde de l’édition ". Sous-titre : " De la vraie littérature à la télé-réalité sur papier, les livres qui exposent des affaires privées se multiplient dans les librairies ". L’auteur fait le tour des " livres qui exposent des affaires privées ", évoquant des écrits aussi divers que ceux de Philippe De Gaulle, Nadine Trintignant, Benjamin Castaldi, Sophie Anquetil, Lio, Jean-François Carmet, Mathias Moncorgé-Gabin, Guillaume Depardieu ; ou, plus anciens : Jean-Marie Périer, Anne-Valérie Noir, Ari Boulogne, Marina Picasso ; et même des livres non encore parus (sur Michel Audiard, Emile Louis).

" Il y a toujours eu des livres-confessions, explique Olivier Orban, PDG de Plon, mais les gens vont plus loin qu’avant. Ces livres sont le reflet d’une société qui demande toujours plus de transparence, dans laquelle on ne parle bien que de soi-même. C’est vrai aussi du roman. "
Le Monde ponctue : " Les frontières deviennent plus floues. " Et glisse : " Le roman de Justine Lévy est traité parfois en page "people" ". C’est certes moins valorisant qu’en page “Horizons Analyses” ! Ainsi, l’article nous laisse sur notre faim, qui ne nous explique pas, comme celui de Josyane Savigneau, que " traiter " le livre de Justine Lévy, comme les autres, " en page ”people” " représente un attentat contre la littérature....

Et l’auteur poursuit : " Des gens reconnus socialement, comme Philippe Labro ou Franz-Olivier Giesbert, n’hésitent pas à s’exposer dans les livres, et à venir en parler à la télévision. "
Giesbert, Labro : voici enfin officialisé le " mètre-étalon " de la " reconnaissance sociale ", auquel chacun pourra se mesurer.

Il est vrai que Le Monde est une " référence " en la matière (aussi). La Une de cette édition (22/05/04) titre : " Felipe et Letizia : l’Espagne démocratique fête la royauté ".

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Pour reprendre les termes de PLPL (n°19, avril 04). Et VSD (13-18 mai 04) vend la mèche : " Pour le livre de Justine, Rien de grave, il (BHL) a tout orchestré, selon un proche. Il a décidé le jour de la sortie, contacté tous ses amis et suivi l’évolution des ventes. ” Or, confie aussi l’hebdomadaire, " Edwy Plenel (Le Monde), Marc Tessier (France Télévisions), Claire Chazal, Thierry Ardisson, les écrivains Philippe Sollers, Alain Minc, Yann Moix figurent dans les premières pages de son répertoire ” (Précision d’Acrimed, août 2004).

[2Dépeindre Justine Lévy en martyr de la littérature est si incongru que Josyane Savigneau ne lésine pas sur les moyens, inscrivant l’œuvre de sa protégée dans la lignée de celles de Genet et Beauvoir - excusez du peu. Mais aussi de Sollers, ce qui permet dans le même mouvement de rehausser ce collaborateur privilégié du Monde des livres (" qualité " qui n’est pas précisée dans cet article de sa rédactrice en chef). Une pierre, deux coups.

[3" Palmarès " hebdomadaire de L’Express, 19/4/2004, catégorie " fiction ".

A la une

Nathalie Saint-Cricq dans Libération : une « pointure » et beaucoup de cirage

« Nathalie Saint-Cricq vote », et Libération vote Saint-Cricq.