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Grande braderie libérale de l’audiovisuel public (par la Fondapol)

par Blaise Magnin,

Intitulé « Refonder l’audiovisuel public. Oser repartir de ses mission essentielles », le rapport propose de démanteler purement et simplement France télévisions !


Un condensé de pensée de marché

Créée en 2004 dans l’orbite de l’UMP, la Fondation pour l’innovation politique (fondapol.org) se veut désormais libre de toute attache partisane, même s’il ne fait guère de doute qu’elle s’inscrit à droite de l’échiquier politique. Les productions de ce think tank dont les médias raffolent, et qui se présente comme « progressiste, libéral et européen  », se caractérisent en effet avant tout par un libéralisme échevelé.

À l’approche de l’élection présidentielle, la Fondapol redouble d’activité, et dans ce cadre, vient de publier un rapport consacré à l’audiovisuel public. Un rapport confié à un certain Olivier Babeau, professeur des universités en science de gestion, qui fut, entre 2007 et 2009, chargé des discours dans les cabinets du secrétariat d’État aux relations avec le Parlement, puis du Premier ministre, François Fillon [1]. Un « expert » à « l’expertise » très orientée, donc… Aussi, on ne sera guère surpris de la radicalité réformatrice du contenu du rapport : tandis que Nicolas Sarkozy proposait déjà de ramener à pas grand-chose l’audiovisuel public, la Fondapol suggère, en une cinquantaine de pages, de le réduire à presque rien !

On n’entrera pas ici dans le détail de l’argumentation du professeur Babeau, ni dans les méandres de sa méthode qu’il affirme, en toute modestie, inspirée de Descartes, ou encore de John Rawls – rien que ça ! Les grandes lignes de sa démonstration suffisent à en saisir l’inspiration, la logique et la finalité.

L’ « essai de prospective » sur « l’audiovisuel à l’ère numérique » qui ouvre le rapport est ainsi un condensé de pensée de marché. Le professeur Babeau y présente, ou plutôt y assène ses « cinq certitudes » quant aux conséquences de la numérisation pour l’industrie audiovisuelle. Les trois premières de ces « certitudes » reposent sur des constats et des tendances déjà identifiés maintes fois par d’autres et renvoient à la démultiplication des canaux et à la convergence des supports de diffusion – évolutions naturelles qu’évidemment aucune forme de régulation ne saurait venir encadrer. Les deux dernières « convictions » du professeur Babeau recouvrent en réalité un fantasme de toujours des théoriciens libéraux : à « l’ère numérique » les consommateurs seront, plus encore qu’ils ne l’étaient déjà – dans l’esprit des libéraux, et seulement là –, les véritables maîtres de l’offre de programmes, les diffuseurs devant plus que jamais se conformer aux goûts et aux choix souverain du public pour espérer rencontrer une audience.

Après cette entrée en matière en forme de diagnostic donnant a priori raison aux thèses libérales, le professeur Babeau en vient au cœur de son sujet : la raison d’être de l’audiovisuel public. Pour ce faire, il sort de sa manche « la subsidiarité » qui postule qu’en dehors des cas où l’intervention de l’État ne peut être justifiée que par une réelle valeur ajoutée, le libre jeu des lois du marché doit impérativement prévaloir sur toute autre considération. Un critère dont il assume explicitement « l’ascendance libérale », tout en le présentant comme un « principe essentiel de l’action publique »…


Une chaîne publique généraliste : une incongruité !

Autant le dire d’emblée, une fois les missions de l’audiovisuel public passées au tamis du critère de subsidiarité à la sauce Fondapol, il n’en restera plus grand-chose ! Car pour le professeur Babeau, les choses sont simples : s’agissant du divertissement au sens large « le marché peut fort bien y pourvoir sans intervention publique », tandis que « la culture populaire » n’a aucun besoin d’un acteur public pour être largement produite et diffusée. Avec de telles restrictions le principe même d’une chaîne publique généraliste est une incongruité… Les seuls domaines dans lesquels le professeur Babeau tolérerait l’existence d’une offre audiovisuelle publique sont l’information, afin de « maintenir une voix qui soit, par construction, suffisamment libre de tout intérêt économique pour disposer, sur certains sujets, d’une liberté de parole qui risque de ne pas être présente dans des organes possédés par des intérêts privés », et la culture « élitiste » (sic), qui ne parvient pas à trouver une place dans les grilles de programmes actuelles.

Résultat des courses ? Le professeur Babeau propose rien moins que la privatisation de France 2 et la suppression de France 3, France 4 et France Ô. À la place, il préconise la création d’une « chaîne culturelle absolument libérée de toute contrainte d’audience », qui « organiserait ses programmes en complémentarité avec Arte et France 5 » et qui « exclurait tous les contenus proposés par les chaînes privées. » Ou comment tirer un trait définitif sur un service public de l’information et de la culture audiovisuelles ambitieux, sur la diffusion de programmes à la fois populaires et exigeants à destination du plus grand nombre, tout en comblant d’aise, ce qui ne gâche rien, tous les industriels qui ne voient dans le secteur audiovisuel qu’un moyen de satisfaire leur soif de profit et d’influence. Et, cerise sur le gâteau, cette chaîne pour cadres supérieurs et dirigeants serait financée, non plus par la redevance, mais par « un pourcentage des recettes de la TVA » – une forme originale de redistribution des plus pauvres vers les plus riches, qui permet de financer les loisirs des seconds en taxant la consommation quotidienne des premiers…

Souligner le caractère outrancier et destructeur du projet de la Fondapol n’implique évidemment pas de décerner un satisfecit à l’audiovisuel public tel qu’il est [2], et tel qu’il échoue manifestement à offrir un service public digne de ce nom. Mais, là où le professeur Babeau, armé de sa cohérence d’évangéliste du marché, en déduit que ce service public audiovisuel doit être réduit à la portion congrue pour laisser la concurrence marchande et ses produits de pacotille organiser le secteur, nous pensons qu’il faut au contraire donner les moyens au secteur public de remplir pleinement ses missions, notamment en réduisant, par la renationalisation de TF1, la pression concurrentielle qu’il subit.

***

Pour finir, nous voudrions apporter un bémol à la cohérence intellectuelle que nous concédions au professeur Babeau : la Fondapol qui publie son travail, et dont un des leitmotiv est de pourfendre toute forme d’étatisme et d’intervention publique indue, vit presque exclusivement de généreuses… subventions publiques ! Lesquelles représentaient, en 2014, la modique somme de 962 000 euros, soit 79% des recettes de la fondation [3]. À quand un rapport du professeur Babeau pour dénoncer cette distorsion de concurrence manifeste sur « le marché des idées » ?


Blaise Magnin (avec Henri Maler)

 
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Notes

[1D’ailleurs, l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy s’inspire largement des diagnostics et des recommandations sur l’audiovisuel public de son ancien collaborateur dans ses propositions pour l’élection présidentielle 2017.

[2En témoignent nos critiques acerbes des journaux télévisés, des émissions politiques, ou encore tout récemment d’AcTualiTy, l’émission « d’infotainment » de France 2.

[3Pour sa part, la fondation Terra Nova, qui est à la « gauche » gouvernementale ce que la Fondapol est à la droite parlementaire, est essentiellement financée par la crème des multinationales françaises. En résumé, les entreprises à la pointe du capitalisme mondialisé s’entichent de l’avant-garde intellectuelle de la gauche parlementaire pendant que l’État finance un think tank qui prône son démantèlement… Un double constat qui n’a rien de paradoxal mais qui est au contraire le signe, sonnant et trébuchant, d’une grande cohérence : celle d’un paysage idéologique ravagé par l’hégémonie néolibérale.

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