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Espagne. El Salto, bien plus qu’un journal, une coopérative ! (tribune)

Nous publions ci-dessous, sous forme de « tribune » [1], une présentation d’El Salto et son manifeste.

El Salto. L’histoire de cette coopérative vient de loin. Dans les années 80, un groupe de personnes a imaginé un moyen de raconter la réalité à contre-courant des informations « mainstream » qui affluent quotidiennement : le bulletin Molotov fait son apparition et publie 39 numéros. En 1994, Molotov fusionne avec l’agence de contre-information UPA, et constitue le collectif UPA-Molotov. En 2000, cette dynamique donne naissance au mensuel Molotov qui publie 43 numéros au format tabloïd. Lorsque le dernier numéro de Molotov est publié en décembre 2003, ce n’est pas tant pour disparaître que pour réaliser une mutation. Cette fois, il est question d’amorcer un processus pluriel qui veut transcender le champ militant ; ce qui donnera naissance au site d’information et au journal bimensuel Diagonal distribué dans tout l’État espagnol. Douze ans et 284 numéros plus tard, Diagonal fait un nouveau pas en avant, « bondit » et devient... El Salto, le « saut » en castillan. Le 15 décembre 2016, Diagonal publie donc son dernier numéro... Mais, encore une fois, au-delà de la disparition de Diagonal, il s’agit bien plus d’une mutation profonde dont le seul défi est d’arriver à être lu par la voisine de palier, pour qu’elle comprenne ce qu’est le patriarcat et le capitalisme...

El Salto, c’est une coopérative impulsée par le journal Diagonal et plus de 20 autres médias dont le média féministe Pikara Magazine, la revue Pueblos, le site d’informations économiques El Salmón Contracorriente, AraInfo en Aragon, Bostezo à Valence et d’autres collectifs audiovisuels comme Siberia TV, ainsi que des projets radiophoniques... Une campagne d’information a démarré fin novembre 2016 pour une durée de 6 mois, afin d’atteindre le premier objectif de 10 000 abonnés, garant de toute indépendance. Déjà le numéro zéro vient de paraître, et le premier numéro du mensuel sera distribué en avril. Au mois de mai, le nouveau site internet sera accessible. Mais d’ores et déjà, il est possible d’affirmer qu’El Salto poursuit la voie d’un autre journalisme, un journalisme qui fonctionne de façon horizontale sans dépendre économiquement de la publicité des grandes entreprises ni des gouvernements, un journalisme de qualité et rigoureux, un journalisme qui cherche à coopérer plutôt qu’à entrer en compétition, un journalisme qui contribue au changement social.

Nous publions ici leur manifeste.

Ils nous disent : impossible.

Nous répondons : nous sommes déjà en train de le faire


Ils nous disent : mettez-vous en concurrence, c’est la logique du marché. Nous répondons : nous coopérons, nous fonctionnons différemment.

Ils nous disent : pour qu’il y ait de l’ordre, il doit y avoir une hiérarchie. Nous répondons : pour qu’il y ait de l’ordre, nous avons besoin d’horizontalité, de bonne coordination et d’intelligence collective.

Ils nous disent : celui qui paie a accès à tous les contenus. Nous répondons : toute information doit toujours être accessible dès le premier moment. Tes ressources ne doivent pas limiter ton droit à l’information.

Ils nous disent : il est inévitable de se financer avec la publicité des grandes entreprises, sinon l’information n’est pas soutenable. Nous répondons : faisons un média de propriété collective. Une véritable indépendance est possible quand tu ne dépends pas de grands annonceurs, surtout si ce sont des multinationales qui violent les droits humains, économiques et sociaux. Très rapidement, ils finissent par conditionner ton contenu.

Ils nous disent : les contenus sponsorisés aident à la viabilité et ne font de mal à personne. Nous répondons : vendre de la publicité sous couvert d’information n’est pas éthique, ça déforme l’idée de journalisme et revient à tromper les gens.

Ils nous disent : plus ton poste est haut placé et spécialisé dans la hiérarchie, plus ton salaire est élevé, c’est logique. Nous répondons : rompons avec la logique selon laquelle le reproductif et le productif sont différents ; de nouveau, horizontalité et égalité salariale ; beaucoup de travaux invisibles sont nécessaires pour qu’un média voie le jour ; mettons-les au même niveau.

Ils nous disent : baisse les coûts autant que possible. Nous répondons : nous pensons que les coûts ne sont pas seulement économiques mais aussi écologiques et sociaux. Économie sociale et solidaire, distribution en bicyclette et qualité de la vie se trouvent au centre de notre proposition.

Ils nous disent : l’objectivité et le professionnalisme vont de pair. Nous répondons : l’objectivité n’existe pas, l’honnêteté est d’expliquer depuis quel lieu tu écris et vois la réalité. Nous ne sommes pas dans une tour d’ivoire, nous voulons contribuer au changement social, à la transformation de la réalité avec des contenus de qualité.

Ils nous disent : impossible. Nous répondons : nous sommes déjà en train de le faire.

Faisons le pas. Moi aussi, je fais le pari d’un média fait par et pour les citoyens.

 Présentation et traduction : Jérôme Duval
 Version originale du Manifeste en castillan : https://saltamos.net/nos-dicen-imposible-respondemos-ya-lo-estamos-haciendo/

 
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Notes

[1Les articles publiés sous forme de « tribune » n’engagent pas collectivement l’Association Acrimed, mais seulement leurs auteurs

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