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Dans "Marianne" (10-16 mars 2003)

Alain Rollat : "Plenel est expert en dialectique"

Alain Rollat a travaillé au Monde de 1977 à 2001. Journaliste politique, il a longtemps milité à la CGT, comme Edwy Plenel, avant d’intégrer l’équipe de direction dans la foulée de l’accession à la tête du journal de Jean-Marie Colombani. Il exerça des responsabilités de direction au Groupe Midi libre après son rachat par Le Monde [1]. L’hebdomadaire Marianne [2] (10 au 16 mars 2003) publie un entretien avec Alain Rollat… dans sa page " Forum "... [3]

 Vous connaissez Le Monde de l’intérieur. A la lecture du livre, avez-vous appris des choses que vous ignoriez ?

Alain Rollat. Il y a des choses que je savais déjà. Il y en a d’autres que j’ai découvertes avec tristesse. Je préfèrerais que Péan et Cohen se trompent. Mais je trouve aussi dans leur enquête la confirmation, hélas !, de choses que je pressentais et qui ont pesé dans ma décision de quitter Le Monde, la mort dans l’âme.
[…]

 Edwy Plenel, le directeur de la rédaction du Monde, parle d’une " accumulation d’erreurs, de mensonges, diffamations et calomnies ". Avez-vous relevé des erreurs flagrantes ?

A.R. Depuis que mon camarade Plenel a écrit cela, je relis ce livre pour en pointer les insuffisances. Pour l’instant, sur les sujets qui me sont familiers, je le trouve plutôt bien informé. […]

 La contre-attaque d’Edwy Plenel, essentiellement politique, vous a-t-elle surpris ?

A.R. Non. Plenel est expert en dialectique. Mis en accusation, il accuse à son tour. Mais il porte sa riposte sur le terrain où il est le plus à l’aise, celle de la réflexion affective, pas sur le terrain où il est attaqué, celui des faits objectifs. Sa réaction est celle de l’homme politique confronté à un travail journalistique gênant. Son premier réflexe consiste à essayer de discréditer l’auteur de l’écrit. Un procédé toujours révélateur d’un embarras. […]

 Vous avez contribué à porter Jean-Marie Colombani à la tête du Monde. Quelles étaient vos raisons ?

A.R. Dans le contexte de crise qui menaçait alors l’indépendance du Monde […], Colombani était celui d’entre nous qui présentait le profil le plus approprié aux besoins de notre entreprise. Je savais mieux que quiconque à quoi m’en tenir sur ses appétits talentueux. Cela faisait dix-sept ans que nous travaillions côte-à-côte. Mais la survie du Monde était en jeu. Les questions de personnes n’étaient plus de mise. Quand, du haut de mes multiples casquettes, j’ai exhorté les personnels du Monde à faire confiance à son ambition personnelle pour servir notre ambition collective, il s’agissait d’un pari faustien. Je m’illusionnais tellement sur notre capacité collective que je me portais garant que, sous Colombani, Le Monde deviendrait aussi une référence en matière de transparence.

 Quel sera l’impact du livre de Péan et Cohen sur le fonctionnement du Monde ? peut-il en résulter un redressement ?

A.R. Les journalistes du Monde ont le doute beuve-mérien chevillé au corps. Ils ont l’esprit critique trop développé pour ne pas remettre en cause leurs propres certitudes. Ce livre va les aider à se libérer, ce serait un déluge catastrophique pour l’intelligence si les journalistes du Monde, qui en sont l’âme, n’osaient plus regarder en face certaines réalités sous prétexte qu’elles font mal. […]

Propos recueillis par Jacques Molénat.

 
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Notes

[1Voir La Face cachée du Monde, de P. Péan et Ph. Cohen (ed. mille et une nuits, 2003).

[2Dont Philippe Cohen, coauteur de La Face cachée du Monde, est membre du Comité éditorial, et responsable du service Economie.

[3Le titre et le chapo sont d’Acrimed.
Titre dans Marianne : " Le Monde : des vérités qui font mal "
Chapo dans Marianne : " La recherche de la vérité est le devoir fondamental de tout journaliste. Il serait pour le moins paradoxal que le quotidien du soir s’exempte de l’application de cette exigence. "
" Par Alain Rollat. Journaliste, a travaillé au Monde de 1977 à 2001. "

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