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Une autre face cachée ? Daniel Schneidermann, « contre soi-même »

Dans Le Monde Télévision daté du 28 février 2003, Daniel Schneidermann consacre sa chronique - « Contre soi-même » - à la mise en cause du Monde par le livre de Pierre Péan et Philippe Cohen.

Acrimed peut difficilement être suspecté de complaisance à l’égard du producteur d’ « Arrêt sur Images » ou du critique de Pierre Bourdieu (voir « Schneidermann, Daniel » dans nos « thèmes associés »). Mais force est de constater que, là où, à l’instar de Pierre Georges, tant de journalistes du Monde se bornent à arborer leur « fierté », Daniel Schneidemann tente de donner au débat un peu de dignité à la hauteur des enjeux. Evidemment, il est difficile de souscrire à chacun de ses propos. Mais pour l’essentiel et pour une fois…

Que Daniel Schneidermann, pourtant, se rassure : nous n’avons pas l’intention de l’enrôler, malgré lui, dans notre « complot ».

Larges extraits :

« Dans la grande galerie des assommés médiatiques, des Goliath soudain flageolants, voici donc... Le Monde, notre journal. Quel orage de grêle ! Les attaquants Péan et Cohen campent sur toutes les ondes, et les accusations défilent au "20 Heures". L’accusé Le Monde a fait commerce de son influence auprès de Jospin, terrorisé un journal gratuit norvégien, menacé Messier, soutenu Balladur, éviscéré Mitterrand en page publique, Plenel a joué le nègre d’un syndicaliste policier avant de l’encenser dans le journal, Colombani s’est fait jadis offrir une soirée festivalière à Cannes par Pierre Botton.

Les caméras guettent, supplient une réponse du Monde. O surprise : pas de réponse. Le Monde est sans voix. (…)

(…) "M. Untel, contacté, n’a pas souhaité répondre aux questions du Monde." Combien de fois, dans ce journal, n’avons-nous pas lu cette phrase infamante, valant condamnation, puisque qui ne dit mot consent ? Eh bien, cet accusé, aujourd’hui, c’est nous. Vertigineux retournement. Et voici donc le téléspectateur professionnel et collaborateur du Monde guetté par une schizophrénie aggravée et plus que jamais contraint, pour reprendre une fameuse formule, de "penser contre soi-même".

Tentons donc une observation aérienne du champ de bataille. Le livre de Péan-Cohen est peut-être une "campagne". Mais c’est aussi une enquête, légitime dans son objet, et qui présente dans de nombreux chapitres toutes les apparences de la solidité. Certes, la démonstration est affaiblie par l’inévitable lot d’exagérations et d’approximations. Plenel agent de la CIA ? C’est odieux, et sans l’ombre d’une preuve. Une rédaction gouvernée par la peur ? Bigre ! Le signataire de ces lignes, pour ne parler que de lui, a toujours écrit sa chronique - la présente incluse - en toute liberté. (…) Le livre est aussi affaibli par ses présupposés souverainistes - Cohen - et une étrange obsession de la réhabilitation de la mitterrandie - Péan -, obsession presque émouvante de la part de l’enquêteur qui sut conduire le vieux monarque à l’orgueilleuse confession de son amitié avec Bousquet. N’empêche : dénoncer l’opacité colombanienne au nom de la limpidité mitterrandienne, l’exercice est acrobatique.

Tout cela est pourtant secondaire. L’essentiel, c’est que cette enquête sur la part d’ombre du journal multiplie les faits. Les faits abondants, pour certains apparemment précis, et accablants parfois, comme ces terribles accusations de trafic d’influence qui assimilent Le Monde aux feuilles de chantage balzaciennes. Orientés ? Partiels ? Peu importe. Ils seront lus. Et crus. Une réponse publique sur les faits, aussi précise que possible, à la première accalmie, est donc la seule voie. A quoi bon jouer sur les mots ? A quoi bon se cramponner au cache-sexe sémantique du contre-pouvoir ? Comme tout média, notre journal est un pouvoir. Un pouvoir essentiel au fonctionnement démocratique, mais un pouvoir. Un pouvoir aux mains sales parfois, comme tous les pouvoirs. Un pouvoir tenté par l’abus, l’opacité, les accommodements avec l’idéal, comme tous les pouvoirs. Un pouvoir qui n’a donc guère d’autre solution que de s’appliquer banalement à lui-même ce qu’il réclame aux autres. L’exigence, la sévérité, voire la brutalité des médias envers les autres ne sont légitimes que si nous admettons de les retourner aussi contre nous-mêmes. Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît : tout peut se ramener à ce vieux précepte, lointain ancêtre populaire du "penser contre soi-même"…

Lire " Contre soi-même " par Daniel Schneidermann.

 
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