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La contre-réforme des retaites

Le Monde réforme les retraites et les salariés

par Jean Teulière, Pascal Dillane,

Le Monde, daté vendredi 17 janvier 2003, publie dans ses pages "Horizons Analyses" (sic) une analyse horizontale intitulée : " Retraites : au-delà du cas EDF-GDF ".

Le 9 janvier, les salariés d’EDF-GDF ont majoritairement répondu " non " lors d’un " référendum " sur une remise en cause de leur système de retraite proposée par le gouvernement avec l’accord de plusieurs centrales syndicales. Et pour Le Monde, ils se sont mis dans un bien mauvais "cas ".

Anne-Line Roccati, rédactrice en chef du service " France ", s’acquitte d’abord d’un percutant constat : c’est " un obstacle politique important sur la voie de l’accomplissement de cette réforme. "

Une lecture rapide pourrait laisser croire qu’est ainsi reconnu le poids du vote des salariés. Mais les termes utilisés disent tout autre chose. Bien que ce référendum ait été organisé par les promoteurs de la " réforme ", ceux-ci ne vont pas renoncer, le " non " des salariés n’est qu’ " un obstacle " sur la "voie " de son " accomplissement ". Un " obstacle ", c’est contingent ; la " voie de l’accomplissement ", c’est quelque chose d’intangible : qu’importe comment on l’emprunte, il faudra bien y passer !

Plus loin : " les citoyens de la "France d’en bas", après le refus des salariés d’EDF-GDF, risquent d’associer une fois de plus l’idée de réforme à une réaction de rejet. "

La leçon de ce " référendum " et de ses résultats, ce n’est pas que la " réforme " est rejetée (et donc qu’il faut revoir la copie), mais que " l’idée de réforme " (on est dans le monde des idées : "Horizons Analyses") risque d’être " associée " " à une réaction de rejet ".

Car - c’est le " message essentiel " de cette " analyse ", qui justifie qu’on ne prenne pas en compte ce vote - les salariés ne se prononcent pas sur une " réforme ", mais sur " l’idée de réforme ".

Ceux d’EDF-GDF ne sont pas capables de comprendre ce qu’on leur propose : ils sont atteints d’une pathologie : " l’hyper-réactivité " (" L’hyper-réactivité des salariés d’EDF-GDF intervient aussi sur fond d’atonie de l’opposition ", lit-on un peu plus loin.) Attention, c’est contagieux : " Quand toute évocation d’un changement - quel que soit son contenu - est susceptible de mettre le feu aux poudres, l’aventure réformatrice devient très risquée pour ceux qui en sont chargés. " On a bien lu : " quel que soit son contenu " [1]. CQFD : ces gens-là ne comprennent pas ce qu’on leur offre, ils sont rétifs à toute " idée de réforme ". Pourquoi ? On ne nous le dira pas. C’est grave, docteur ?

" L’émergence d’une posture aussi radicale pourrait bien constituer, même si tout n’est pas encore joué, les prémices d’un mouvement social qui contraindrait les syndicats à entrer dans la surenchère. "
Pas de surprise : le vote des salariés manifeste non un choix mais une " posture ", condamnable puisque " radicale ". Rappelons une fois de plus que ce sont les promoteurs de la " réforme " qui ont organisé ce " référendum " Devaient-ils être irresponsables pour laisser ouverte la " voie " à d’aussi inadmissibles errements ?

Le reste est de la même eau. Mais nous avons gardé le " meilleur " pour la fin :

" Même si la plupart [des syndicats] continuent d’affirmer que telle n’est pas leur stratégie et s’ils préconisent toujours une réforme des retraites pour préserver l’avenir... "

Ici, on revient à " une réforme des retraites ", et non plus " toute réforme des retraites ", " quel que soit son contenu "...

" ... la tentation de ne pas se couper de la base reste forte chez les syndicats. "

C’est en effet une bien coupable " tentation " que celle, pour un syndicat, d’être à l’écoute des salariés ! Voilà comment Le Monde entend réhabiliter la démocratie représentative (et le référendum) ! Ainsi une certaine presse tire-t-elle les leçons du 21 avril 2002 et, dans le domaine social, de l’abstention aux élections prud’hommales...


Le 19 janvier 2003, Alain Juppé est interrogé par Christine Ockrent, Gilles Schneider et Serge July dans " France Europe Express " (France 3). Questionné sur " l’audace " dont, selon ses interlocuteurs, il fallait faire preuve, sur le dossier des retraites, il répond :

" L’audace, j’ai déjà donné. "

En bon " professionnel ", Serge July n’a pas moufté. En 1995, au lendemain de la présentation du " plan Juppé " à l’Assemblée nationale, Libération titrait à la Une : « Juppé l’audace ».

 
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Notes

[1Et on lira plus loin : " Au-delà du refus de toute réforme des retraites... "

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