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"Le Monde" ou la voix de l’Amérique ?

"Le Monde" est-il américain ?

Après que Jean-Marie Colombani eut proclamé, après les attentats du 11 septembre 2001, que « nous sommes tous américains », « nous » devint la proie d’une grand perplexité : « Le Monde est-il américain ? » A cette angoissante question, deux échantillons [*], permettent d’esquisser une ébauche de réponse …

Le Monde est "non-anti-américain"

Le Monde ayant décrété une fois pour toutes, comme la plupart de ses confères, que sont "antiaméricaines" toutes les critiques de la politique du gouvernement américain qui n’ont pas reçu l’aval du Monde, il n’est pas étonnant que Le Monde soit définitivement "non-anti-américain", même quand il essaie de prendre quelques distances.

Ainsi, depuis que Jean-Marie Colombani a officialisé ce « point de vue » (dans sa lettre du nouvel an « A nos amis américains » du 1er janvier 2002), Le Monde multiplie les mise en garde "non-anti-américaines" contre le "nouvel (?) unilatéralisme" des USA et contre quelques "bavures" qui font tâche.

Non sans contorsions. Ainsi à propos des prisonniers de Guantanamo.

10 janvier 2002.

Le Monde consacre ses pages 2 et 3 aux "prisonniers d’Afghanistan" membres d’Al-Qaida et du mouvement taliban détenus a Guantanamo. "Le débat sur le droit de ces prisonniers s’amplifie", note un appel de " une ".

L’édito (non signé) du Monde, titré "Le droit et les terroristes", assène :
« On peut certes comprendre que M. Bush redoute les excès médiatiques de certains tribunaux de son pays - on se souvient de l’affaire O.J. Simpson -, mais on comprend moins bien qu’il ait pu déclarer que ses prisonniers seraient jugés "d’une manière plus juste que selon le système de Ben Laden et des talibans", ou que son attorney général se soit interroge sur la nécessite qu’on " leur lise leurs droits". Ce qui fait la différence entre Al-Qaida et la civilisation démocratique - au nom de laquelle se bat la coalition antiterroriste menée par Washington -, c’est bien le respect des valeurs fondamentales dont la Constitution américaine s’est faite le dépositaire il y a plus de deux cents ans. Agir autrement risque de semer le doute sur la légitimité de tribunaux qualifiés d’ "abomination à la soviétique’" par le commentateur americain William Safire. Et d’accentuer à travers le monde l’inquiétude soulevée par le nouvel unilatéralisme d’une administration qui envisage déjà d’étendre sa campagne antiterroriste a d’autres pays. » [1]

23 janvier 2002

L’édito du Monde, titré "Détenus irréguliers", constate :
« L’ONU a accordé un droit de légitime défense aux Etats-Unis au lendemain des attentats du 11 septembre. Or la guerre terminée en Afghanistan, la vengeance l’emporte sur la justice. Quand il faudrait être exemplaire à l’intention du monde musulman et par fidélité a ce que doivent être les démocraties, les Etats-Unis donnent ici le pire exemple. »

Le ton monte !

9 février 2002

En page 3, Le Monde titre que "des prisonniers afghans bénéficieront de la convention de Genève". Le "chapo" explique que "le texte de 1949 s’appliquera aux détenus talibans de Guantanamo, mais pas aux membres d’Al-Qaida."

L’éditorial du Monde, titre "Guantanamo-Genève", rappelle que les prisonniers
« ont été capturés dans ce que George W. Bush a qualifie de véritable " guerre’". Mais le président s’était, jusqu’à présent, refusé à leur reconnaître le statut de prisonnier de guerre. Il jugeait donc qu’ils n’avaient pas à bénéficier des protections prévues par la troisième convention de Genève régissant la situation des prisonniers de guerre. M. Bush vient de changer d’avis. Sans reconnaître à aucun de ces détenus le titre de prisonnier de guerre, il établit une distinction entre eux [...] Pratiquement, cela ne changera pas grand chose au sort des prisonniers de Guantanamo. [...] Mais, en esquissant une ébauche d’effort pour combler un vide juridique, l’administration Bush agit en conformité avec les valeurs au nom desquelles elle s’est battue en Afghanistan [...] C’était d’ailleurs, en politique étrangère, la marque de l’administration Bush. Dès le départ, elle a fait savoir que - de l’environnement au contrôle des armes biologiques et chimiques en passant par le traité ABM sur les antimissiles - elle ne s’estimait pas liée par une batterie de mauvais traités, selon Washington, conçus durant la guerre froide. La décision sur les prisonniers relève d’une approche moins péremptoire. »

Le Monde est presque soulagé !

17 février 2002

Dans un dossier sur les prisonniers de Guantanamo, Claire Tréan signe un article intitulé "Les réticences des Etats-Unis".
« Le 7 février, George Bush a donc tenté d’apaiser les critiques en laissant entendre qu’il faisait droit à certains de leurs arguments. Si l’on examine cette intervention de plus près, en fait il n’en est rien ; les Etats-Unis n’ont en réalité rien cédé. Les conventions de Genève, a dit M. Bush, seront appliquées aux détenus talibans, mais pas aux membres du réseau Al-Qaida. De toute façon, le statut de prisonnier de guerre ne sera reconnu ni aux uns ni aux autres, a-t-il ajouté - ce qui revient à dire que les conventions de Genève ne seront pas appliquées du tout. [...] Les Américains souhaitent avoir les mains libres pour mener les interrogatoires et les procès. Derrière les polémiques, c’est leur prétention à se placer hors le droit international ou à n’en retenir que ce qui ne les dérange pas qui est contestée. »
Du coup, on ne sait plus si, pour Le Monde, "l’administration Bush agit en conformité avec les valeurs au nom desquelles elle s’est battue en Afghanistan".

(Première publication : 21 février 2002)

Le Monde est américain

Sous le titre « Une sélection du "New York Times" », Le Monde annonce à ses lecteurs une excellente nouvelle (Le Monde daté du 3 avril 2002).

« Un autre regard sur l’actualité : le journal Le Monde proposera, à partir du samedi 6 avril, un nouveau supplément, le meilleur du New York Times, inséré sans supplément de prix dans son édition du week-end. Des articles sélectionnés par les journalistes des rédactions parisienne et new-yorkaise ainsi que par nos correspondants américains seront publiés en anglais. Les douze pages sont structurées autour de cinq thèmes pour proposer "la vision américaine de l’actualité internationale, sociétale, économique et culturelle" (World News, Money and Business, High-tech, Art and Style et Americana). "En engageant cette collaboration avec le prestigieux journal américain, Le Monde répond à l’attente grandissante de ses lecteurs curieux et attentifs à ce qui se passe outre-Atlantique", explique Jean-Marie Colombani, le directeur du Monde, président du directoire. "Il est indispensable de mieux connaître, non pour les faire siennes mais pour les comprendre, les opinions, les analyses et les options des Américains." »

Ainsi, pour mieux nous faire connaître, " non pour les faire siennes, mais pour les comprendre ", les opinions américaines, Le Monde nous offre 12 pages en anglais du même journal… Où l’on voit que le commerce, la culture et le pluralisme font bon ménage.

Mais Le Monde, sachant que l’opinion des plus faibles vaut l’opinion des plus forts, ne tardera sans doute pas à nous offrir 12 pages en langue d’origine de la presse de la plupart des pays de la planète. Où l’on verra que Le Monde n’est pas seulement américain...

(Première publication : 6 avril 2002 - avec PLPL)

 
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Notes

[*Ces échantillons ont été prélevés, sans modification, dans une ancienne présentation chronologique du Monde des années 1999-2002 : la date de publication antérieure est indiquée à la fin de chacun d’entre eux

[1Souligné par nous.

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