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La nausée (Le Monde diplomatique, février 2000)

par Serge Halimi,

Jean-Paul Sartre a décidément de la chance d’être mort vingt ans avant la publication de sa biographie par Bernard-Henri Lévy. L’auteur compte en effet au nombre de ceux dont chaque geste, chaque écrit, est follement médiatisé [Lire "Réseaux", Le Monde diplomatique, février 1995]. Donc, Sartre revient !

Dès décembre 1999, vingt-trois jours avant la sortie de l’ouvrage, un hebdomadaire dominical nous avait prévenus par la plume, obligeante, d’un écrivain mondain : "On va beaucoup parler du dernier livre de Bernard-Henri Lévy et on aura raison [Philippe Sollers, Le Journal du dimanche, 26 décembre 1999.]." Jeudi 13 janvier, Le Nouvel Observateur consacre en effet sa "une", et un dossier de douze pages à Sartre - c’est-à-dire à Bernard-Henri Lévy. Félicité suprême, I’hebdomadaire annonce un entretien " exclusif " avec l’auteur qui, le matin même, venait pourtant de s’entretenir avec un journaliste d’Europe 1.

Le lendemain, Le Point, qui compte Bernard-Henri Lévy au nombre de ses éditorialistes, fait également sa "une" sur Sartre - c’est-à-dire sur Bernard-Henri Lévy, lequel accorde un autre entretien (exclusif ?) à l’hebdomadaire de M. François Pinault. Là encore, dossier de douze pages : la concurrence des titres, c’est mille idées originales par jour…

Samedi 15 janvier, Bernard-Henri Lévy est accueilli sur les plateaux de LCI par ces mots : " Merci de nous réserver un peu la primeur de ce premier dialogue (sic) autour de ce grand livre. Certains de vos amis disent que c’est peut-être votre meilleur. "

Jeudi 20, c’est l’avalanche : nouvelle "une" d’hebdomadaire (quinze pages suivent...), trois pages dans L’Express (presque timide), deux gros dossiers dans les suppléments littéraires des principaux quotidiens parisiens. Vendredi, un éditorial du Monde disserte sur "les intellectuels" (et BHL), samedi, I’auteur de la Très Grande Biographie accorde un entretien (exclusif ?) au Figaro Magazine.

JEAN-PAUL SARTRE dénonça les expéditions coloniales et les guerres impérialistes (Algérie, Vietnam) ; Bernard-Henri Lévy a rarement résisté à la tentation de soutenir une croisade occidentale (Tchad en 1983, Nicaragua en 1985, Golfe en 1990). Jean-Paul Sartre, qui défendait des militants révolutionnaires pourchassés par la police, voulait servir " la cause du peuple " ; Bernard-Henri Lévy relate qu’il tutoie M. Nicolas Sarkozy et il s’affiche en compagnie des plus grands patrons (MM. Pinault et Lagardère). Jean-Paul Sartre fuyait les plateaux de télévision, Bernard-Henri Lévy les adore : " La loi sous /e coup de laquelle nous tombons tous, c’est la loi du narcissisme. Médiaphobie ou pas, rapport difficile à son corps ou à son visage ou non, il y a là une espèce de came. "

Grâce à tous ses amis, journalistes et industriels des médias, Bernard-Henri Lévy ne risque pas de se trouver de sitôt en état de manque. Quant à Sartre, la plupart de ses œuvres sont disponibles en collection de poche. Dans l’une d’elles, Les Mains sales, un intellectuel pétri d’idéal meurt en criant : "Non récupérable".

S. H.

 
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