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La politique dans « C dans l’air », c’est le vide

par Joachim Lé,

L’émission « C’dans l’air » du lundi 25 août était logiquement consacrée à la démission du gouvernement, intervenue le matin même. Le titre, « Et maintenant : la crise politique », et la liste des invités (le directeur adjoint de la rédaction du Figaro Yves Thréard, le directeur de la rédaction de L’Express Christophe Barbier, la journaliste du Monde Raphaëlle Bacqué et le directeur général délégué de l’institut Ipsos Brice Teinturier) ne laissaient guère de suspense quant à la teneur des discussions : il s’agirait avant tout de décortiquer les rapports de force au sein de la majorité, et surtout de disséquer les tactiques et les ambitions personnelles des ministres et des « ministrables »… Des enjeux cruciaux, de politique économique notamment, qui sous tendaient les désaccords de fond qui existaient au sein du gouvernement et qui aboutirent à cette démission/limogeage de trois ministres importants, il ne fut finalement pas question. L’on a beau être habitué à cette personnalisation et cette théâtralisation de la vie politique, surtout de la part de « C dans l’air », elle demeure inacceptable…

Évidemment, cette émission n’a pas été la seule à offrir cette triste image de l’information politique, comme nous le rappellerons à la fin, mais elle en a été un bel exemple. Toute la première partie de l’émission fut accaparée par le « cas » Arnaud Montebourg, présenté dans le résumé de l’émission et au cours du débat comme un « trublion ». À plusieurs reprises au cours de l’émission, Yves Calvi a « réorienté » la discussion sur l’ex ministre de l’économie, questionnant ses invités sur la « manière dont il annonce les choses », sur sa façon d’incarner un « ministère de la parole », sur son « mépris du président », ou, pour élever encore le débat sans doute, sur son surnom de « fou du troisième ».

Cette volonté manifeste de réduire cette crise gouvernementale à la seule personne d’Arnaud Montebourg, et à son comportement, interroge. Car même si cet aspect des choses n’est probablement pas absent dans les critiques d’Arnaud Montebourg à l’égard de la politique économique droitière et inefficace du gouvernement, il n’est pas tout à fait le seul à tenir ce discours… Pourtant il ne fut jamais question au cours de l’émission d’Aurélie Filippetti et Benoît Hamon, respectivement débarqués des ministères de la Culture et de l’Éducation pour les mêmes raisons. Pas plus qu’il ne fut question des critiques convergentes émises par quelques dizaines de députés socialistes « frondeurs », par certains dirigeants d’Europe Écologie, par le Front de gauche, etc. Sans même parler des économistes éminents (comme le prix Nobel Paul Krugman), ou des institutions aussi peu gauchisantes que le FMI, qui tiennent peu ou prou le même discours !

Mais ce sont les deux reportages proposés en cours d’émission qui atteignent le comble de la personnalisation et de la théâtralisation. Le premier, dramatisé à l’envi, avec commentaire et musique à l’appui, revient sur les dernières 24 heures… d’Arnaud Montebourg ! Quant au portrait dressé du dirigeant socialiste dans le second sujet, il ne dit évidemment pas un mot de la ligne politique qu’il défend et s’en tient à revenir encore et encore sur son comportement et sur son style, ainsi que sur ses multiples déclarations ayant été source de polémiques. Mais si l’on ne sait rien des propositions de Montebourg à l’issue de ce reportage, l’on a en revanche appris qu’il serait « un agent provocateur du PS », « un fauve de la politique » qui « aiguise ses ambitions », et qu’il est considéré comme « dangereux à l’intérieur et incontrôlable à l’extérieur ». Rien que ça.

Un portrait à charge que corroborent les invités en plateau, unanimes : selon Yves Thréard Montebourg est, crime suprême, « contre la mondialisation », il « crache sur les patrons à longueur de journée », il a un « un discours éculé sur le plan économique » et en définitive il était « déraisonnable » et « irresponsable » de le nommer à ce poste. Une opinion un rien tranchée, qu’aucun invité sur le plateau ne conteste. SI Raphaëlle Bacqué qui trouve Montebourg « un peu ridicule », et Brice Teinturier, qui voit en lui un « homme de transgression » (on a les transgressions que l’on peut…), sont moins véhéments, on s’étonnera cependant de voir cette émission de service public se muer en tribunal aux mains de la pensée dominante au lieu d’être un lieu d’expression d’opinions diverses…

Il serait malhonnête de dire que l’émission n’a porté que sur le comportement de Montebourg. Celle-ci a aussi permis aux invités de proposer de fines analyses des stratégies politiciennes des uns et des autres. Montebourg est alors présenté comme un jeune politicien ambitieux et cette crise comme la conséquence d’une manœuvre politicienne. Et cette agitation politique, réelle friandise médiatique, donne alors lieu à toutes les hypothèses sur les manières pour les uns et les autres de se sauver « politiquement ». Il est alors question d’alliances, de recherche de majorité, d’électorat et de popularité. Mais en définitive, elles ne nous permettent pas plus de « comprendre et d’appréhender » cette question « dans sa globalité », pour reprendre les mots de la présentation de l’émission sur son site.

Bien que particulièrement révélatrice d’une manière de traiter l’information, cette émission n’en a pas eu l’exclusivité. Sans surprise, la palme de la superficialité va au « Grand Journal » du 25 août, avec notamment la chronique de Karim Assouli qui s’ouvre sur « les coulisses du clash » entre Montebourg et Valls, ou qui s’amuse à montrer des images d’un Montebourg tenant des propos « provocants » devant des militants du PS.

Plus classique, dans le JT de France 2, Nathalie Saint-Cricq dresse dans sa chronique, là encore, un portrait peu élogieux de Montebourg, nous faisant comprendre qu’il n’a finalement que ce qu’il mérite, en concluant presque par un « Merci Monsieur Valls ». C’est finalement François Lenglet, arrivant bien après les commentaires de « politique politicienne », qui aborda la seule question « d’intérêt général » de toute cette affaire : la politique économique décidée par François Hollande et menée par le gouvernement. Et on pourra même lui reconnaître une certaine audace pour avoir rappelé que le constat que fait Montebourg sur la situation économique est « difficilement contestable », qu’il est notamment partagé par des « économistes éminents » et que les questions qu’il pose sont « légitimes ». Finalement, malgré tout ce qu’on a pu nous dire, il ne serait donc pas si fou que ça ?


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Dans ce traitement médiatique qui pour l’essentiel a privilégié la forme sur le fond, les hommes et femmes politiques ont sûrement leur part de responsabilité. Publicitaires de leur propre personne, ils sont souvent les premiers à jouer de leur image à travers les médias. Il n’en demeure pas moins qu’en passant sous silence, avec un zèle toujours renouvelé, tout débat de fond qui va au-delà des évidences partagées par une poignée d’éditorialistes dominants, et en donnant une image de la vie politique dépolitisée, cynique et rebutante, les médias dominants et les émissions soi-disant « politiques » ont une responsabilité écrasante dans l’atrophie du débat public.

Joachim Lé

 
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