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Un Œil sur le Mali : quand le service public informe

par Blaise Magnin, Henri Maler,

Émission trimestrielle créée en 2002, « Un Œil sur la planète » se présente (modestement…) comme « le magazine géopolitique de la rédaction de France 2 ». Personnalisée par son présentateur – Étienne Leenhardt –, elle dépend d’abord d’équipes de reportage qui réalisent, pour chaque émission, plusieurs sujets sur un pays déterminé. C’est ainsi que les dernières émissions ont été successivement consacrées à la Pologne, au Qatar, à la Birmanie et, le 22 avril 2013, au Mali.

Depuis la décision du gouvernement d’engager l’armée française contre les groupes islamistes qui contrôlaient le nord du Mali, ce pays s’invite régulièrement au centre de l’actualité. Ou plutôt, le Mali apparaît comme le décor exotique d’opérations militaires où se joueraient le prestige international de la France, la capacité de son armée à intervenir sur un autre continent ou la stature de chef de guerre de François Hollande… De ce point de vue, la couverture de la première semaine de l’intervention française avait été, du moins dans les JT de TF1 que nous avions observés, caricaturale. Or, si le journalisme de guerre, lorsque la France est engagée dans un conflit, est plus ou moins condamné à n’être qu’un journalisme d’accompagnement de l’armée française, on pourrait au moins attendre des médias qu’ils informent correctement sur le contexte social, économique et politique des pays concernés. Ce qui fut fait, beaucoup mieux qu’à l’accoutumée, avec l’émission « Un Œil sur la planète ».

« Mali faut-il crier victoire ? » : ce titre aux accents patriotiques laissait augurer le pire. Mais le pire fut largement évité, ne serait-ce que parce que ce titre réducteur ne rend nullement compte de la diversité des cinq reportages proposés : si le magazine se penche bien sur les conséquences de l’intervention française au Mali, son intérêt repose surtout sur les informations qu’il apporte sur divers aspects décisifs de la réalité malienne.

- Le premier reportage, « Chroniques de Gao », montre la reprise de la ville aux djihadistes, les combats consécutifs à l’intrusion de combattants islamistes pendant les premières semaines de présence française sur place et le retour des habitants dans une ville que nombre d’entre eux avaient fuie.

- Le deuxième reportage, « La bataille des Ifoghas », revient sur les opérations militaires en elles-mêmes, et en l’occurrence sur la traque, dans le massif des Ifoghas, des combattants fuyant l’avancée des forces françaises.

- Le troisième reportage, « La question Touareg », s’efforce de rendre compte de la complexité de cette question en donnant largement la parole à des représentants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et à des civils, mais aussi à un ancien ministre devenu patron de presse qui défend des positions proches de celles des gouvernants de Bamako.

- Le reportage suivant, « La malédiction de l’or », se penche sur la misère des populations qui vivent aux alentours des grandes mines d’or exploitées par une multinationale australienne.

- Enfin, le dernier reportage, « Quel islam pour le Mali ? », présente les deux courants principaux, soufi et wahhabite, qui traversent l’islam malien contemporain.

Si aucun résumé ne peut se substituer aux reportages eux-mêmes, rien n’interdit de souligner d’indéniables faiblesses et de criantes impasses.

- Sur la forme d’abord. La mise en scène, en situation, du présentateur, destinée, sans doute, à authentifier sa présence et son importance, n’évite pas de transformer les images de la misère en clichés touristiques (par exemple avec le lancement du sujet sur les mines d’or réalisé depuis un bidonville). Le ton des commentaires les apparente souvent à une dramatisation… théâtrale. La mise en scène des combats à Gao, avec infographie et musique angoissantes est superflue.

- Sur le fond surtout. Le reportage sur la bataille des Ifoghas n’apprend rien sur l’essentiel de « la guerre » telle qu’elle s’est déroulée dans les zones habitées dans les premières semaines, et a surtout pour objectif de montrer des images spectaculaires, Étienne Leenhardt pouvant se féliciter d’avoir « eu accès à toutes celles que l’armée a accepté de nous montrer » (sic)… Le contexte – géopolitique, justement – de l’intervention française et l’existence d’intérêts économiques français dans le pays, comme la présence des principales mines d’approvisionnement de la France en uranium à quelques centaines de kilomètres de Bamako sont à peine évoqués ; la situation politique interne du Mali est pour l’essentiel éludée (malgré une intéressante rencontre avec un mouvement de citoyens agissant pour le « renouveau démocratique »), de même que les structures économiques du pays ou que la situation sociale et sanitaire de la population. Quelques images et quelques phrases sur la corruption et la misère (hormis celle qui règne à Gao) et c’est presque tout.

C’est assez dire que cette émission est discutable. Mais en un sens très précis : elle mérite d’être discutée, alors que tant d’autres restent largement en dessous de toute discussion possible. En effet, malgré de troublantes lacunes, les reportages donnent à voir et à comprendre autre chose que ce qu’auraient apporté les « sujets » bâclés des journaux télévisés, les reportages strictement sensationnalistes de tant d’autres émissions, les savoirs prétendument analytiques dispensés par des spécialistes et les points de vue de prétendus experts. Les reportages proposés par l’émission, équilibrés, donnant la parole aux intéressés, alternent le général et le particulier, et permettent d’incarner les réalités abordées et de leur donner une consistance autre, mais non moins importante, que de pseudo-discours savants.

Les images elles mêmes, quand elles ne cèdent au goût du pittoresque et à un esthétisme hors de propos, permettent de se figurer le pays, ses paysages, son urbanisme et le cadre de vie des populations, mais aussi, souvent, la dure réalité de leur détresse et de leur dénuement. Qu’il s’agisse de combattants apparemment fanatisés, qui s’avèrent souvent être en réalité de pauvres hères affamés et ou des adolescents en état de sidération, ou encore qu’il s’agisse de la déférence et de la ferveur des partisans d’un guide spirituel soufi, les images proposées, correctement contextualisées, rendent sensible ce qu’aucun discours rationnel ne peut restituer quand il se présente comme autosuffisant. Au commentaire de délivrer le sens de ces images et de faire appel à l’intelligence ainsi soutenue des téléspectateurs, dans une émission de large audience et non dans un média spécialisé ou plus confidentiel et plus engagé.

Disant cela, notre objectif n’est pas de décerner un grand prix à l’équipe de ce magazine très inégal, ni de consacrer un chef d’œuvre du journalisme documentaire ou du reportage d’investigation, mais de montrer qu’il est possible d’apporter des informations dans le cadre d’émissions et de médias « grand public ». Ce qui est suffisamment rare pour être souligné…

Un autre journalisme est donc possible pour peu qu’il s’en donne et qu’on lui en donne les moyens. La preuve ? Il arrive que, aussi discutable et imparfait soit-il, il existe déjà.

Blaise Magnin, Henri Maler

 
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