Accueil > Critiques > (...) > Europe, si près, si loin

Loin de l’Espagne et de l’information : ce que veulent les manifestants

par Henri Maler,

Ce court article n’a pas vocation à analyser de manière exhaustive le traitement médiatique des mobilisations en Espagne. D’autres articles suivront...

Acrimed n’est pas un site d’information ou de contre-information généraliste, mais d’information et de contre-information sur les médias, les journalismes et l’information elle-même. Pourtant – une fois n’est pas coutume –, il suffit, pour prendre la mesure de la vacuité de l’information entre le 15 et le 21 mai sur les mobilisations en Espagne, d’effectuer une rapide « revue des médias » et de lui opposer ce que l’on y trouve pas : les plateformes des manifestants.

I. Brève « revue des médias »

Quand « l’affaire DSK » occupe les temps d’antenne et dévore les surfaces imprimées…

De glorieux journaux télévisés

Il leur en a fallu du temps pour se rendre compte qu’il se passait « quelque chose » en Espagne !

Prenez TF1, par exemple. Entre le 15 et le 20 mai : pas un sujet, pas un mot… Il a fallu attendre le 21 mai pour que la rédaction de TF1, enfin informée, informe à son tour : à 13 heures, on apprend ainsi de la bouche de Claire Chazal que « depuis plusieurs jours maintenant, les Espagnols sont dans la rue pour manifester contre le chômage et les mesures d’austérité […]  ». Et le reportage qui suit de nous informer que la manifestation de la veille avait permis de « dénoncer de plus belle la mainmise des grands partis politiques, la corruption et, surtout, l’injustice sociale ». À 20 heures ? Claire Chazal : « La population manifeste depuis quelques jours contre l’austérité, le chômage. » Seulement ? Le reportage qui suit donne à entendre fugitivement d’autres cibles des manifestants. Et c’est tout ? C’est tout.

Le JT de France 2 s’est montré moins lent à la détente puisque, le 18 mai à 20 heures, David Pujadas annonçait en titre : « L’Espagne est-elle au bord de la révolte ? […]  » Seulement « au bord »… Le moment venu, environ 17 min après le début du journal on apprend, de la bouche du même Pujadas que des « milliers de jeunes […] se retrouvent tous les soirs dans les grandes villes pour protester contre l’austérité, un peu à la manière des révolutions arabes, via Twitter ou Internet, hors de tout contrôle ou tout mot d’ordre des partis politiques. » Mais encore ? « L’Espagne qui s’impose – vous le savez – une cure d’austérité drastique pour maîtriser ses déficits et sa dette, on voit même apparaître ceux qu’on appelle les cartoneros, ces vendeurs à la sauvette ». Et de diffuser un reportage (sorti d’un stock ?), intéressant au demeurant, sur les cartoneros. Mais de la mobilisation elle-même, de ses modalités, de son contenu, de ses revendications, de son sens, on ne saura rien de plus que ce que Pujadas a annoncé.

Et lors des JT de 20 heures des 19 et 20 mai : rien. Et lorsque, les jours suivants, les mobilisations en Espagne seront à nouveau effleurées, on ne saura toujours rien d’autre sur leurs motifs et leurs aspirations, à part qu’elles sont liées au chômage et à l’austérité. Certes. Mais encore ?

De profonds quotidiens, de magnifiques sites Web

Et dans la presse écrite ? Dans les « grands » quotidiens nationaux ? » Rien ou pas grand-chose. Sauf omission de notre part, deux articles dans Libération. Le premier, le 19 mai – « Les "indignés" prennent la Puerta del Sol » ] ; le second, le 21 mai – « L’Espagne entre vote et révolte ». À noter, ce même jour : treize articles (de toutes tailles) sur « l’affaire DSK », ses à-côtés, ses conséquences…

Mais que veulent donc ces manifestants ? Quelles sont leurs aspirations ? Quels sont leurs objectifs ? Ce n’est pas – ce n’était pas – en lisant la presse imprimée qu’on peut l’apprendre. Ce qui n’empêche pas Lemonde.fr (et peut être Le Monde papier, mais nous n’avons pas retrouvé la trace) d’écrire, en recyclant une dépêche de l’AFP, le 18 mai : « les manifestants portent des revendications très disparates, parfois confuses ».

Retenons les objections : le temps manquait dans des JT d’une trentaine de minutes et l’espace faisait défaut dans la presse imprimée pour informer – simplement informer… – sur la nature des mobilisations en Espagne et sur la plate-forme des manifestants.

Mais quel argument peut-on invoquer pour que, jusqu’au 22 mai au moins, sur les sites Internet de nos grands médias on ne trouve, sauf exception, que des dépêches d’agences, le cas échéant modifiées, sans que l’on sache d’ailleurs sur quoi ont porté les modifications ? Là, pourtant, la place ne manque pas, pour informer vraiment. Or, à part quelques bribes de-ci de-là et un blog de Mediapart (et non un article de la rédaction), rien. Après l’information tardive et lacunaire, le temps est venu, un peu partout, des profonds commentaires. L’information pouvait attendre. Et pourtant...

II. Ce que l’on n’apprend qu’en surfant ailleurs

… sur des revendications prétendument disparates, confuses et apolitiques…

1. Manifeste de « Democracia Real Ya ! » (15 mai)

Nous sommes des personnes ordinaires. Nous sommes comme vous : des gens qui se lèvent tous les matins pour étudier, travailler ou pour chercher un travail, des gens qui ont une famille et des amis. Des gens qui travaillent dur tous les jours pour vivre et pouvoir offrir un meilleur avenir à ceux qui les entourent.

Parmi nous, certains se considèrent plus progressistes, d’autres plus conservateurs. Certains sont croyants, d’autres pas. Certains suivent des idéologies précises, d’autres se considèrent apolitiques. Mais nous sommes tous préoccupés et indignés par la situation politique, économique et sociale autour de nous : par la corruption des politiciens, patrons, banquiers, ... qui nous laissent sans défense et sans jamais être entendus.

Cette situation est devenue la norme, une souffrance quotidienne et sans espoir aucun. Mais en unissant nos forces nous pouvons la changer. Le moment est venu de changer les choses, de bâtir ensemble une société meilleure. En conséquence nous soutenons avec vigueur les affirmations suivantes :

 L’égalité, le progrès, la solidarité, le libre accès à la culture, le développement écologique durable, le bien-être et le bonheur des personnes doivent être les priorités de chaque société avancée.

 Des droits inaliénables doivent être garantis au sein de notre société : le droit au logement, au travail, à la culture, à la santé, à l’éducation, à la participation politique, au libre développement personnel et le droit du consommateur à une vie saine et heureuse.

 L’état actuel de notre système politique et économique ne répond pas à ces priorités et il est par de multiples facettes un obstacle au progrès de l’humanité.

 La démocratie appartient au peuple (demos = peuple, cratie = pouvoir), ce qui signifie que chacun de nous constitue une partie du gouvernement. Cependant, en Espagne, la majorité de la classe politique ne nous écoute même plus. Ses fonctions devraient être de porter notre voix auprès des institutions, en facilitant la participation politique des citoyens à travers des canaux de démocratie directe pour le bénéfice du plus grand nombre, et non pas celle de s’enrichir et de prospérer à nos dépens, en suivant les ordres des forces économiques et en s’accrochant au pouvoir grâce à une dictature des partis représentée par les sigles inamovibles du PPSOE.

 La soif de pouvoir et son accumulation entre les mains de quelques-uns sont à la source des inégalités, frustrations et injustices, ce qui mène à la violence, que nous refusons. Le modèle économique en vigueur, obsolète et non-durable, entraîne notre système social dans une spirale, qui s’auto-consume, enrichissant une minorité et appauvrissant les autres.
Jusqu’à son effondrement.

 La volonté et le but du système sont l’accumulation d’argent, sans tenir compte ni de l’efficacité ni du bien-être de la société ; gaspillant ses ressources, et détruisant la planète, générant du chômage et des consommateurs mécontents.

 Les citoyens sont les engrenages d’une machine destinée à enrichir cette minorité qui se moque de nos besoins. Nous sommes anonymes mais sans nous, rien de cela n’existerait, car nous faisons fonctionner le monde.

 Si en tant que société nous apprenons à ne pas confier notre avenir à une rentabilité économique abstraite où la majorité ne bénéficie pas de ses avantages, nous pourrons supprimer les abus que nous endurons.

Nous avons besoin d’une révolution éthique. Plutôt que de mettre l’argent avant les êtres humains, il faut le mettre à notre service. Nous sommes des personnes, pas des objets. Je ne suis pas le produit de ce que j’achète, pourquoi je l’achète ou à qui je l’achète.

Au nom de tout ce qui vient d’être dit, je suis indigné.
Je crois sincèrement que je peux changer les choses.
Je crois que je peux aider.
Je sais que, tous ensemble, on peut y parvenir.
Sors avec nous. C’est ton droit.

http://democraciarealya.es/?page_id=88

2. Propositions approuvées par l’assemblée générale (Madrid, 20 mai)

Toutes nos excuses pour les éventuelles erreurs de traduction (Acrimed). Version espagnole en annexe

Propuestas aprobadas en la Asamblea de hoy día 20 de mayo de 2011 en Acampada Sol

Résultat de la consultation de l´assemblée réunie le 20 mai 2011 au campement de la Puerta del Sol. Celui-ci est la compilation et la synthèse des propositions reçues ces derniers jours. Une première liste de propositions a été élaborée.
Nous soulignons que l´assemblée est un processus ouvert et collaboratif. Cette liste n’est pas fermée, les propositions approuvées lors de l’assemblée du 20 mai au campement de la Puerta del Sol sont :

1. Le changement de la loi électorale avec des listes pour une seule circonscription. L’attribution des résultats doit être proportionnelle au nombre de votes.

2. Les droits basiques et fondamentaux doivent être respectés, comme :
* le droit à un logement digne, s´articulant sur la réforme de la loi hypothécaire en cas de dévolution du logement pour non-paiement, la dette doit être annulée,
* une santé publique gratuite et universelle,
* la libre circulation des personnes et le renforcement de l´éducation publique et laïque.

3. L’abolition des lois et des mesures discriminatoires et injustes comme les lois issues du « processus de Bologne » et de l’espace européen d’enseignement supérieur, et celle connue sous le nom de loi Sinde (contrôle d’internet).

4. Une réforme fiscale pour les salaires les plus bas et une réforme des impôts sur le patrimoine et les héritages. La mise en place de la taxe Tobin qui concerne les transactions financières internationales et la suppression des paradis fiscaux.

5. Des réformes des conditions de travail de la classe politique pour abolir les salaires à vie. Que les programmes et les propositions électorales aient un caractère contraignant.

6. Le refus et la condamnation de la corruption, rendre obligatoire par la loi électorale la présentation de listes propres exemptes de toute corruption.

7. Différentes mesures en rapport avec les banques et les marchés financiers selon l’article de la Constitution qui dit que toute la richesse du pays sous toutes ses formes doit être utilisée pour l´intérêt général. La réduction du pouvoir du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne : nationalisation de toutes les banques sauvées par l´État, renforcement de tous les contrôles sur les entités et les opérations financières pour éviter tout abus.

8. Une vraie séparation de l´État et de l´Église, comme le stipule l´article 7 de la Constitution.

9. Une démocratie participative et directe où les citoyens sont actifs. Un accès populaire aux moyens de communication qui doivent être éthiques et fidèles à la vérité.

10. Une vraie révision des conditions de travail, sous surveillance effective des autorités étatiques.

11. La fermeture de toutes les centrales nucléaires et la promotion des énergies renouvelables et gratuites.

12. La récupération des entreprises publiques privatisées.

13. Une séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

14. La réduction du budget militaire et la fermeture immédiate des entreprises d´armement. Un plus grand contrôle sur les forces et corps de sécurité de l´État. Comme le mouvement pacifiste nous disons non à la guerre.

15. La récupération de la mémoire historique et des principes fondamentaux de la lutte pour la démocratie dans notre pays.

16. Une transparence totale des comptes et des financements des partis politiques comme mesure de contrôle de la corruption politique.


Annexe

Propuestas aprobadas en la asamblea de hoy día 20 de mayo de 2011 en Acampada Sol
Madrid, 20 de mayo de 2011
Como resultado del consenso alcanzado durante la Asamblea celebrada el día 20 de mayo de 2011 en ACAMPADA SOL, y como resultado de la recopilación y síntesis de las miles de propuestas recibidas a lo largo de estos días, se ha elaborado una primera relación de propuestas.
Recordamos que la Asamblea es un proceso abierto y colaborativo. Esta lista no debe entenderse como cerrada.

Propuestas aprobadas en la Asamblea de hoy día 20 de mayo de 2011 en ACAMPADA SOL.

1. Cambio de la Ley Electoral para que las listas sean abiertas y con circunscripción única. La obtención de escaños debe ser proporcional al número de votos.

2. Atención a los derechos básicos y fundamentales recogidos en la Constitución como son :
* Derecho a una vivienda digna, articulando una reforma de la Ley Hipotecaria para que la entrega de la vivienda en caso de impago cancele la deuda.
* Sanidad pública, gratuita y universal.
* Libre circulación de personas y refuerzo de una educación pública y laica.

3. Abolición de las leyes y medidas discriminatorias e injustas como son la Ley del Plan Bolonia y el Espacio Europeo de Educación Superior, la Ley de Extranjería y la conocida como Ley Sinde.

4. Reforma fiscal favorable para las rentas más bajas, una reforma de los impuestos de patrimonio y sucesiones. Implantación de la Tasa Tobin, la cual grava las transferencias financieras internacionales y supresión de los paraísos fiscales.

5. Reforma de las condiciones laborales de la clase política para que se abolan sus sueldos vitalicios. Que los programas y las propuestas políticas tengan carácter vinculante.

6. Rechazo y condena de la corrupción. Que sea obligatorio por la Ley Electoral presentar unas listas limpias y libres de imputados o condenados por corrupción.

7. Medidas plurales con respeto a la banca y los mercados financieros en cumplimiento del artículo 128 de la Constitución, que determina que “toda la riqueza del país en sus diferentes formas y sea cual fuere su titularidad está subordinada al interés general”. Reducción del poder del FMI y del BCE. Nacionalización inmediata de todas aquellas entidades bancarias que hayan tenido que ser rescatadas por el Estado. Endurecimiento de los controles sobre entidades y operaciones financieras para evitar posibles abusos en cualquiera de sus formas.

8. Desvinculación verdadera entre la Iglesia y el Estado, como establece el artículo 16 de la Constitución.

9. Democracia participativa y directa en la que la ciudadanía tome parte activa. Acceso popular a los medios de comunicación, que deberán ser éticos y veraces.

10. Verdadera regularización de las condiciones laborales y que se vigile su cumplimiento por parte de los poderes del Estado.

11. Cierre de todas las centrales nucleares y la promoción de energías renovables y gratuitas.

12. Recuperación de las empresas públicas privatizadas.

13. Efectiva separación de poderes ejecutivo, legislativo y judicial.

14. Reducción del gasto militar, cierre inmediato de las fábricas de armas y un mayor control de las fuerzas y cuerpos de seguridad del Estado. Como movimiento pacifista creemos en el “No a la guerra”.

15. Recuperación de la Memoria Histórica y de los principios fundadores de la lucha por la Democracia en nuestro Estado.

16. Total transparencia de las cuentas y de la financiación de los partidos políticos como medida de contención de la corrupción política.

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

A la une