Accueil > Critiques > (...) > Publicité : dépendances économiques et éditoriales

« Influence à vendre » : enquête sur la publicité clandestine

La TAgesZeitung (TAZ [1]) a récemment étudié, dans une enquête où des journalistes se présentant comme des annonceurs ont tenté d’acheter des pages de « rédactionnel » dans un journal, comment les publicitaires peuvent influencer son contenu. Toute ressemblance avec des pratiques pouvant exister dans d’autres pays relèverait naturellement du fantasme...

Nous publions ci-dessous, en tribune et avec l’aimable autorisation de la TAZ, l’article, traduit par nos soins, de Sebastian Heiser, paru dans l’édition du 1er avril [2], qui résume les résultats de l’enquête [3].

Certains quotidiens allemands proposent à des entreprises d’influer sur l’importance et le choix des thèmes de leur publication. Voici les résultats d’une enquête, réalisée sous une fausse identité, effectuée par la TAZ. Notre journaliste s’est fait passer pour le représentant d’une agence publicitaire auprès de groupes de presse, dont certains lui ont fait bon accueil.

 Un collaborateur de la Westdeutsche Zeitung a proposé un encart sans publicité autour du thème de la Banque, afin que le secteur puisse communiquer sur sa gestion de la crise financière. Citation d’une proposition écrite : « Je peux vous proposer un "spécial-banques" de 4 pages sans annonces pour un total de 117.500 HT ».

Dans le magazine Reise Extra, notre journaliste s’est vu proposer, au tarif de 30.000 € la page, un package couplant annonces et article de relations publiques. Ce qui n’a cependant pas empêché un porte-parole de la Westdeutsche allgemeine Zeitung de nous affirmer, suite à notre relance [4] : « Dans nos éditions spéciales, on ne peut acheter que des annonces, pas d’articles ».

 Un collaborateur de la Frankfurter Rundschau a déclaré à notre journaliste : « Notre but, c’est de faire du chiffre sur les annonces, donc si vous proposez aujourd’hui le thème "énergie solaire" alors on traitera ce thème la semaine suivante ». Pour la partie "tourisme" de l’édition du samedi, il proposa une combinaison « annonce + couverture rédactionnelle » : « Quand on réserve une page entière, on peut très bien négocier la seconde page en couverture rédactionnelle... simplement pour vous donner un ordre d’idée. »

Le soi-disant annonceur a également demandé s’il était envisageable de réaliser une page rédactionnelle sur les possibilités de placements à l’étranger. En réponse, il reçoit un exemple d’une mise en page sur le thème "Placements en Autriche". La proposition écrite précise : « Les informations correspondantes et les informations de base seront produites par vos soins. (…) Notre service rédactionnel se chargera du traitement de ces informations ». Une demande écrite portant sur la séparation entre le journalisme et les annonces, adressée à la rédaction en chef de la Frankfurter Rundschau, est demeurée sans réponse.

 Le journal Neues Deutschland a présenté à notre journaliste un encart « ND extra », dans laquelle un porte-parole de l’organe de presse s’épanche sur son institution : « Nous y avons des encarts rédactionnels que nous finançons par des "subventions à la production" [5] ». Tout au contraire, le rédacteur en chef Jürgen Reents a quant à lui affirmé que son journal portait la plus grande attention à la séparation entre textes rédactionnels et l’influence d’annonceurs, et que même dans « ND extra » l’achat de textes était impossible.

« Ce genre de combines »

Le journaliste de la TAZ a approché dix groupes de presse, leur expliquant qu’il conseillait des entreprises pour sélectionner les médias dans lesquels faire paraître des annonces publicitaires, qu’il s’était spécialisé dans la recherche « d’environnements appropriés ». C’est le nom de code dans le milieu pour désigner la publicité clandestine. Lorsqu’une publication publicitaire n’est pas identifiable comme telle par sa mise en page, elle doit être affectée du mot "Publicité", ainsi le prescrivent les lois relatives aux médias. Les trois journaux pré-cités voulaient signaler les pages en question par les mentions "Publication spéciale de la rédaction", "Publication exceptionnelle d’annonce", ou "Encart".

La demande de notre journaliste a été refusée par d’autres médias. Le Handelsblatt a fait référence à sa crédibilité et a refusé de se laisser embarquer dans « ce genre de combines ». L’hebdomadaire Der Spiegel a également refusé d’accéder à la requête du reporter.

Le compte-rendu de cette enquête est publié dans la Sonntaz [6], et notre blog-enquêtes [7]

Sebastian Heiser
- Traduction de Guy Sinden, pour Acrimed

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Quotidien allemand fondé en 1978, classé à gauche (il publie la version allemande du Monde Diplomatique), et qui fonctionne encore aujourd’hui sous la forme d’une coopérative autogérée.

[2Et disponible ici. Merci au correspondant qui nous l’a signalé.

[3L’édition du week-end a publié les résultats complets, consultables ici. Sur dix organes de presse, seul quatre ont refusé la proposition :
- Frankfurter Rundschau (marche dans la « combine »)
- Handelsblatt (ne marche pas)
- Die Zeit (marche)
- Darmstädter Echo (ne marche pas)
- Märkische Allgemeine Zeitung (marche)
- Westdeutsche Allgemeine Zeitung (marche à fond, le mélange des genres est même conceptualisé)
- BILD-Zeitung (ne marche pas)
- Neues Deutschland (marche à fond)
- Der Spiegel (ne marche pas)
- Geo Saison (marche, mais subtilement).
(Note du traducteur)

[4L’enquête s’est faite en deux temps : le journaliste s’est d’abord fait passer pour un annonceur, puis a repris contact à visage découvert. (NDT)

[5Le terme allemand (Produktionskostenzuschusse, littéralement « contribution aux coûts de production ») semble un euphémisme, parfaitement clair pour les gens du « milieu » (NDT).

[6C’est-à-dire l’édition du week-end, en l’occurrence du 2-3 avril. (NDT)

[7Qu’on peut retrouver à cette adresse. (NDT)

A la une