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Libye : Quelques médiatiques « dégâts collatéraux » d’une première semaine de guerre

par Henri Maler,

Informer sur une guerre menace toujours d’imposer une information belliqueuse. Question de fond sur laquelle nous reviendrons. En tout cas, la guerre de Libye a déjà provoqué de médiatiques « dégâts latéraux », dérisoires ou pathétiques. Parfois pauvrement significatifs, mais symptomatiques.

Prologue

La guerre de Libye et la catastrophe au Japon n’ont pas distrait Le Nouvel Observateur qui, dans son numéro de la semaine du 24 au 30 mars loge ses lecteurs à l’écart de ruines.



Interrogations

Après avoir, comme la plupart de ses confrères, subordonné l’information à la prise de position, enthousiaste, Le Journal du Centre du 23 mars pose une bonne question qui aurait du tempérer son parti pris.



À défaut de poser cette question, le figaro.fr proposait aux internautes une liste d’articles, le même jour à la même heure, qui pouvait les laisser perplexes. La question ayant été tranchée, on se doute qu’elle ne se pose plus !



Experts

Les médias recourent à des experts de qualité. Ainsi, i>Télé a invité dimanche soir 20 mars 2011 sur son plateau afin de répondre à des « questions techniques », le général Philippe Tilly, un ancien militaire, présenté comme « ancien commandant de la force aérienne de combat », dont on apprend à rechercher sa biographie, qu’il a été « chef de la section programmes de la division plans-programmes-évaluation de l’état-major des armées » à partir de juillet 1997, expert reconnu en matière de programme d’armement, au moins jusqu’en 2007, l’année de son adieu aux armes qui lui valu un article fort élogieux du Républicain lorrain [1]. Parmi les consultants les plus prisés, Pierre Servent, présenté simplement comme « expert » ou « spécialiste », et même parfois comme « journaliste », alors que ses liens passés et présents avec les institutions militaires ne sont pas (ou si peu...) mentionnés, comme si ses prestations médiatiques pouvaient être vraiment indépendantes du point de vue des autorités françaises. Nous y reviendrons.


Cocoricos, suite

Après avoir célébré « la France » qui « frappe la première », nombre de grands médias n’en finissent pas de chanter la France glorieuse et la gloire de BHL… qui est aussi celle de ses employeurs. Sous le titre « Moment français », l’éditorial paru dans le JDD du 20 mars nous y invite : « Savourons ce moment où la France a fait basculer l’Histoire ».

Premier couplet : « Évidemment que c’est tard ! Et que la première démarche, solitaire et intempestive, avait braqué nos partenaires. Mais entre jeudi soir à New York et samedi à Paris, la communauté internationale se trouve mobilisée pour les droits du peuple libyen. Il a fallu l’inspiration de Bernard-Henri Lévy. Envoyé spécial en Libye [pour le JDD…], il a convaincu, de Benghazi, le président français de prendre la tête de ce combat. » La suite est du même acabit…

Et le même jour, poétiquement – « La France imbéciles ! » - , Claude Askolovitch surenchérit : « En portant la France contre Kadhafi, Nicolas Sarkozy nous a épargné un remords. Il y avait l’Espagne républicaine, la Tchécoslovaquie, Srebrenica, le Rwanda. Il n’y aura pas Benghazi. Cela n’annule aucun grief, mais cela peut aussi justifier un mandat. Un homme de pouvoir, à l’arrivée, ce sont quelques gestes, quelques choix, qui vous placent du côté de l’honneur ou du regret. Et ce n’est pas un hasard si Sarkozy, dans l’honneur, a retrouvé Bernard-Henri Lévy. Le philosophe trimbale ses rires et ses scories. Mais quand vient l’essentiel, il est du bon côté. Ça justifie une vie. » Et quelques impostures…


Sondages

  France-Soir a commandé un sondage à l’Ifop, une entreprise de Laurence Parisot (reine du Medef). Titre : « Libye : 66 % des français approuvent Sarkozy ». Ou plutôt, sous le titre : ils « applaudissent son action ».



Le Figaro, qui appartient à Serge Dassault dont les avions font des merveilles en Libye, reprend : « Libye : 66% des français pour les frappes ». Et élargit le tir : « Deux-tiers des français (66%) se disent favorables à l’intervention de la coalition internationale en Libye, contre 34% qui la désapprouvent, selon un sondage Ifop paru aujourd’hui dans France-Soir. »



On a donc quatre formulations : 66 % des français « approuvent Sarkozy », « applaudissent son action », sont « pour les frappes », « se disent favorables à l’intervention de la coalition internationale en Libye ». Mais quelle était la question posée aux sondés ? Les « brèves » ne le disent pas, comme elles ne disent pas combien de gens il a fallu interroger pour obtenir 100 réponses, et sur 100 personnes qui ont répondu combien « approuvent », combien « désapprouvent », combien sont « sans opinion ».

  20 minutes (avec Reuters) nous apprend que « La moitié des Américains est favorable à l’intervention en Libye ». En effet, « Selon un sondage CBS News rendu public mardi, la moitié des 1.022 Américains interrogés approuvent cette intervention et un sur cinq n’a pas d’opinion. Seulement 29% des personnes interrogées sont hostiles à la décision du chef de la Maison blanche […] » Ici, on connaît au moins les sans opinions : 20%. Une paille !

Mais la suite est moins limpide, puisque l’article nous apprend ceci : « D’après un autre sondage CNN/Opinion Research publié lundi, 70% des Américains appuient l’intervention militaire et 27% y sont hostiles. » Que « pensent » les 3% manquants ? On ne sait. Et l’article de préciser : « Ces deux enquêtes, qui ont une marge d’erreur de 3%, ont été menées vendredi, au lendemain du vote à l’Onu, et samedi, jour du début des hostilités. »

50 ou 70%, avec une marge d’erreur de 3%... et une grosse louche…

  Mais Europe 1.fr veille. Avec Reuters, le 24 mars 2011 à 07h45 le site nous apprend ceci « Selon un sondage Ipsos pour Reuters publié jeudi, 60% des Américains interrogés soutiennent l’action militaire engagée en Libye […] 48% des personnes interrogées jugent que la manière dont Barack Obama supervise l’opération, en tant que commandant en chef des États-Unis, est marquée par "la prudence et la consultation", 36% par "l’indécision et les tâtonnements" et 17% par "la force et la décision". » Et de préciser « Seules ces trois possibilités étaient offertes aux sondés. » Évidemment !

50, 60 ou 70% ? Faites vos jeux !


Henri Maler (avec des documentalistes bénévoles d’Acrimed)

 
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