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Retraites : Les « ultras » des médias se « radicalisent »

par Henri Maler, Olivier Poche,

Ces médias qui avaient sonné la retraite de la mobilisation avant même qu’elle ait commencé, entonnent désormais le grand air de la radicalisation. Des médias en grand nombre, mais pas tous : suffisamment pour que tout le monde connaisse les paroles.

- Après avoir clamé sur tous les tons, dès le mois de mai, que la réforme sarkozyste était « urgente », « unique », « inévitable », « incontournable » et non négociable, sinon à la marge et autour des maigres concessions préparées d’avance par le gouvernement...

- Après avoir chanté en chœur, dès le mois de juin, que les Français étaient « résignés » à perdre le droit à prendre leur retraite à 60 ans...

- Après avoir, avant de prendre leurs vacances, observé de loin, de travers, et d’un œil perplexe ces manifestations manifestement inutiles, puisque de toute façon le gouvernement « ne pouvait pas céder » aux revendications de « la rue »...

- Après avoir fait partager à leur lecteurs, leurs émois de septembre face à cette résignation qui n’en finit pas de se résigner…

... les plus valeureux de nos médias et de nos éditorialistes conjuguent désormais la « résignation » et la « radicalisation ».

Jeudi 7 octobre

Le Figaro.fr prend de l’avance et… cinq jours avant la grève, prophétise :

Le Parisien du même jour annonce :

En page intérieure de cette mémorable édition, Le Parisien propose un « zoom sur ces militants syndicaux qui plaident pour une radicalisation du mouvement » : témoignages et interviews de trois cheminots et de Mireille Chessa la «  pasionaria de la Canebière ». « Zoom » complété par une interview en trois questions d’un « sociologue » : « Sommes-nous au tournant d’un conflit social plus dur ? », puis « Les préavis de grève reconductible sont-ils le signe d’une radicalisation ? ». Les réponses à ces deux questions quasiment identiques sont dans les questions et … font la « Une » du Parisien ! Dernière question : « Pourquoi les leaders syndicaux CGT, CFDT, et même FO refusent d’user de cette arme ? » Réponse : « Parce qu’ils sont responsables ». Parole de sociologue.

Et les « ultras » du gouvernement qui sont « radicalisés » depuis plusieurs mois ? Le Parisien qui ne les a pas rencontrés nous apprend que l’Élysée « refuse de dramatiser mais reste attentif » - c’est le titre de l’article – mais que « l’exécutif affiche toujours sa fermeté ». Mais pas son « ultra » radicalité…

Le Parisien n’est pas seul sur ce créneau : Le Monde.fr titre en une, le 7 octobre : « Les syndicats entre radicalisation et exaspération ». La Tribune.fr, le même jour : « Retraites : risque accru de radicalisation du conflit » – article enrichi par un sondage qui vaut bien des éditoriaux : « SNCF, RATP… les appels à la grève illimitée se multiplient. La menace de grève illimitée dans les transports vous semble : 1. Scandaleuse – 2. Inutile – 3. Pénible – 4. Nécessaire »...

Et la cohorte des éditorialistes n’est pas en reste : « La radicalisation n’est pas fatale », fait mine de se rassurer Gérard Carreyrou sur son « blog » publié sur France-Soir.fr (8 octobre). Mais elle est menaçante quand même, s’indigne, en des termes subtils, Jean-François Pécresse, dans Les Échos : « Cheminots et traminots, électriciens et gaziers : le cœur de l’armée rouge du syndicalisme a beau courir à reculons vers la grève reconductible, il vient de faire entrer le conflit des retraites dans une nouvelle dimension  » (7 octobre). « C’est en tout cas une voie dangereuse sur laquelle s’engage le conflit », s’alarme Jacques Camus, de La République du Centre (7 octobre).

Et Paul Burel, de Ouest-France brandit la menace d’une « démonstration de force plus ou moins contrôlée d’une base stimulée par les ultras de tous bords (…). Et d’ajouter : L’ultime péril , le plus incontrôlable, réside naturellement dans les possibles débordements inhérents à toute radicalisation  ». Parmi ces « débordements inhérents », figure d’abord le vocabulaire de ce journalisme qui désigne par « radicalisation » à la fois le passage à d’autres formes d’action que les grèves « carrées » (de 24 heures), et les incidents qui pourraient émailler celui-ci [1], dans une confusion allègrement entretenue.

« Radicalisation ! Le mot est dans l’air du temps et il fait peur », note – finement…– Gérard Carreyrou. Mais s’il est dans l’air du temps, c’est que la plupart des bouches des ténors médiatiques le vomissent, parce qu’il fait peur, pour faire peur.

Lundi 11 et mardi 12 octobre

Il faut bien vendre. C’est pourquoi Le Parisien-Aujourd’hui en France épouse la courbe des sondages, et quelques jours après avoir mise en garde contre les « ultras », la « résignation » éditoriale, le 11 octobre, gagne la première page. Les Français sondés sont-ils des « ultras » ?

Mais le péril radical est toujours là : « Gauche et droite craignent une radicalisation » ! D’où l’on est tenté de conclure, ou bien qu’une grève durable n’est pas une radicalisation, ou bien que la gauche et la droite ne représentent que 38 % des Français ! Ou bien ?

Pour Le Monde, ce sont les syndicats et l’Élysée [2] qui se partagent les « risques » d’une radicalisation :

Quant au Figaro, il surenchérit sur Le Parisien du 7 octobre. Sans doute a-t-il eu le temps d’enquêter...

Le Monde, Le Figaro, Le Parisien : trois variantes d’une même radicalisation.

Henri Maler et Olivier Poche (avec Gilles et Nathalie)

 
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Notes

[1Et, dont, implicitement, les manifestants sont tenus par avance responsables.

[2Double lecture, comme l’explicitent les deux sous-titres, qui renvoient aux deux sens (médiatiquement) possibles du terme « radicalisation ».

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