Accueil > Critiques > (...) > 2010 : Mobilisations contre la réforme des retraites

Retraites : Feront-ils mieux le 7 septembre 2010 que le 24 juin ?

par Un collectif d’Acrimed,

Récapitulons. Ces médias qui, pour la plupart, savaient que la réforme des retraites était « urgente, unique, inévitable » et avaient décrété que les Français étaient « résignés » à la subir ont découvert qu’il suffisait qu’un ministre, le 16 juin 2010, annonce un projet de réforme pour que celui-ci soit adopté : « Ces médias qui dissolvent le Parlement et dispersent les manifestations. Seulement voilà : il y eut la journée de grèves et de manifestations du 24 juin.

Quelques coups de sonde sur son traitement audiovisuel (TF1, France 2, France 3, RTL, France Info). Pour l’essentiel : du foot avant toute chose et la routine.

La semaine précédant la journée de grèves et de manifestations du jeudi 24 juin, les grandes radios et télévisions (ainsi qu’une grande partie de la presse écrite) sont focalisées sur le drame national imposé à la France par son équipe de football. Pour la journée de mobilisation, le silence est presque total.

Reste la manie sondagière. Ainsi France Info, le 22 juin, nous offrait ce commentaire d’un sondage : « En "colère", mais surtout “désabusé”. S’ils sont très majoritairement hostiles à la réforme des retraites comme à la politique du gouvernement, les personnes interrogées ne semblent pas prêtes pour le “grand soir” : le soutien au mouvement social de jeudi 24 juin est assez faible puisque moins des deux-tiers (64%) des Français le jugent “justifié”. »

Exquise précision : 64%, et non 66%, c’est « moins des deux tiers » ! Et c’est « assez faible » ! Pour comprendre cette « faiblesse », il suffit de comparer… des sondages : « Soit 10 points de moins que les grèves de l’automne 2009.Plus globalement, ce mouvement du 24 juin est le moins soutenu des huit mouvements testés dans ce baromètre depuis janvier 2008. Selon BVA, l’approche de l’été, les divisions syndicales, le manque de succès des précédentes manifestations sont autant d’éléments qui expliquent cette poussée de l’impuissance, du désabusement, plutôt que de la colère .  »

Puis, pris d’un accès de prudence, le journaliste nous livre ce commentaire : : « Il ne faut toutefois pas en conclure que la voie est libre pour le gouvernement, car dans certaines catégories, en général leaders en matière de contestation sociale – ouvriers, salariés du public, quinquagénaires, sympathisants de gauche – c’est encore la "colère" qui l’emporte très largement. Si, à l’image de la météo, le climat social de ce début d’été est plutôt frais, rien ne dit que l’automne ne sera pas très chaud. »

Il ne reste plus qu’à vérifier… la météo du mois de septembre.

 Mercredi 23 juin : les effets de la grève plutôt que ses motifs

La veille du 24, à la télé comme à la radio, les pronostics sur les effets de la grève (notamment dans les transports) l’emportent de loin sur les objectifs de la mobilisation.

- Journal de France 3, à 12 h.30 : 20 minutes sont consacrées à l’équipe de France de football, 5 aux affaires politico-financières, et 1 minute à la journée du 24, c’est-à-dire aux perturbations à la SNCF et dans les écoles.

- Sur France 2, au 13h, en 15ème position loin derrière les préoccupations mondiales de football, 1’30 de prévisions sur les effets de la grève.

- A 20h, sur 35 minutes de journal, après le foot et l’affaire Woerth/Bettencourt, 2’40 sont consacrées à la journée de grève. David Pujadas annonce : « Ce sera demain, l’un des moments de vérité pour les syndicats qui appellent à une nouvelle journée de grève et de mobilisations. Elle a commencé il y a quelques minutes. A quoi faut-il s’attendre ? » Il faut s’attendre à des perturbations (1’40) et s’interroger sur la présence des cheminots alors que les effets de la réforme prévue ne les concernent pas encore.

- Sur TF1, au JT de 20h, 3’36 sont consacrées à la journée du lendemain, soit d’abord 1’50 aux perturbations dans les transports :« Nouvelle journée d’action demain, les syndicats promettent une forte mobilisation. Nous allons donc faire le point sur les perturbations avec Pascale Winkel. Les transports seront fortement touchés, beaucoup plus que lors des précédents mouvements, Pascale ? » Et 1’56 à la pénibilité « l’un des points les plus contestés par les syndicats ». Curieusement (?), c’est sur ce point que le gouvernement se dit prêt à faire des concessions alors que la journée du lendemain porte d’abord sur l’âge l’égal du départ à la retraite et la durée de cotisations dont dépend la prise en compte de la pénibilité !

- France 3 fait partiellement exception. Lors du Soir3, même si l’information suit le même ordre et le même schéma (la mobilisation, après le foot et Bettencourt) et se limite à 1’10 de prévisions sur les effets probables de la grève, François Chérèque bénéficie d’une intervention de quatre minutes.

- Sur RTL, Christophe Hondelatte dans « son » journal de 18h prophétise « La mobilisation contre la réforme des retraites c’est demain. Les syndicats espèrent dépasser le million de manifestants en prélude à un grand mouvement social à la rentrée. » Soit ! Mais pas un mot sur les objectifs et les revendications de la mobilisation.

 Jeudi 24 juin, jour de grèves et de manifestations

... Ou plutôt jour de foot : l’équipe de France continue de monopoliser l’attention.

- A 13h sur TF1, les « bleus » devancent très largement les grévistes et manifestants. Alors que 9’21 sont consacrées aux premiers, les seconds bénéficient de 2’28 : le temps d’un « tour de France des manifestations », illustré par le lot habituel de témoignages bien choisis, reflétant bien évidemment dans leur ensemble la population française : 2 jeunes (1 homme, 1 femme) et 2 vieux. Puis vient « l’essentiel » : la paralysie des transports, avec reportage de 1’48 depuis la gare de Nancy où l’on peut, comme lors de chaque manifestation, prendre la mesure du sort réservé aux voyageurs. Jean-Pierre Pernault clôt cette longue séquence (4’16) en renvoyant à la page « actualité »... du site internet de la RATP.

- Sur France 2, à 13h, 6’30 sont consacrées au mouvement. Le déséquilibre est moins spectaculaire que sur TF1 : 2’20 consacrées à « la France en grève », 1’40 dédiés aux difficultés dans les transports et enfin 1’30 sur l’exemple d’un couple d’enseignants qui a fait ses calculs : 1690 euros de retraites. Pas de quoi émouvoir les foyers dans un pays en crise.

- Sur ITélé, à 19 heures, le condensé d’informations s’ouvre en 4’ sur un reportage en Afrique du Sud, par… la défaite de l’équipe d’Italie. Quant aux manifestations, ITélé, au cœur de l’événement grâce à un direct anecdotique de la place de la Nation, qui nous apprend en 2’ que les manifestations étaient deux fois plus importantes que les précédentes, avant que l’on apprenne que les grèves avaient provoqué des perturbations.

- Sur France 3, à 19h30, après les titres, cette annonce qui rédume « l’équilibre « de l’information : « Pour commencer, la grève et les perturbations ».

- Sur France 2 à 20h, la question des retraites n’est abordée qu’en cinquième position, après la coupe du monde, Sarkozy à la Courneuve, les disparus de l’Isère, et un drame en Espagne. Pendant 2’43, les habituels témoignages des manifestants et les représentants syndicaux. Puis encore 1’09 consacrées aux perturbations dans les transports, avant de donner la parole pendant 7’21 à Martine Aubry.

- France 3 en revanche a abordé la mobilisation dès l’ouverture de son journal pendant 3’35, dont 1’25 étaient consacrées à la situation dans les transports et aux témoignages des usagers.

 Vendredi 25 juin : Lendemain de grèves et de manifestations

La mobilisation de la veille est déjà effacée, notamment par le suicide d’une adolescente et la conférence de presse de François Fillon.

- Sur TF1, on apprend, en 2’20, qu’il a parlé de tout un peu : les retraites, l‘affaire « Woerth-Bettencourt », et la politique de riqueur qui n’en mérite pas le nom.

- Sur France 2, à 13 h, le « sujet » consacré au suicide de l’adolescente précède les 2 minutes généreusement offertes au Premier ministre.

- Sur France 2, toujours. A 20 h, après le football, le suicide et le procès Kerviel, la parole est au premier ministre.

- Le Soir 3, après avoir lui aussi traité du foot, de Kerviel, de Bettencourt et de faits divers routiers, a passé 2 minutes d’extraits de la conférence de presse généraliste de Fillon.

***

Bilan ? « Retraites : la mobilisation prend de l’ampleur, le gouvernement est prêt au bras de fer » : au détour d’un article ainsi intitulé [1], mis en ligne dans la nuit du 24 au 25 juin (à 1h du matin) sur le site des Echos.fr, on pouvait lire ce troublant commentaire : « C’est un fait : ni l’arrivée de l’été, ni la communication massive du gouvernement, ni même l’étonnante capacité des footballeurs français à détourner l’attention médiatique n’auront empêché le « sursaut » des salariés que promettaient les syndicats face au relèvement de l’âge légal de départ. »

L’équipe de France de foot ne nous aura rien épargné : elle a même détourné l’attention médiatique de la mobilisation contre « la réforme » des retraites. Quant à l’étonnante capacité des médias à détourner l’attention... elle n’est naturellement pas en cause.

Un collectif d’Acrimed

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1À lire sur le site des Echos.

A la une