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Lu, vu, entendu : « Autorités médiatiques »

par Un collectif d’Acrimed,

… Des géants qui font autorité.

 Jean-Marc, Morandini, critique des médias ?

Le 2 juin dans Direct Soir, Jean-Marc Morandini tente une analyse « critique » des émissions sur les médias à la télévision. Une analyse dont la densité critique est ébouriffante :

« Il y a toujours un moment où les émissions à la mode... passent de mode. C’est le cas de ces programmes qui, chaque semaine, parlent des médias. [C’est donc une mode…] Il y a eu l’ancêtre sur Canal+, TV+, qui était la référence à ne rater sous aucun prétexte. [Et pas « Arrêt sur Images », sur France 5 ?] Puis, petit à petit, ces programmes hebdos se sont multipliés au point que désormais, chaque chaîne tente d’avoir son décryptage. ». Et notre géant du décryptage des médias de dresser la liste de ces émission, sans omettre d’encenser la plus remarquable d’entre elles «  […] et bien sûr “Morandini !” sur Direct 8 dont l’audience a quasiment doublé en un an, dépassant les 500 000 téléspectateurs ». Fragile profusion : « Résultat, les hebdos Pop Com sur Canal+ ou Pif Paf sur Paris Première pourraient bien disparaître la saison prochaine. Mais : « Ne nous trompons pas : ce n’est donc pas un désintérêt des téléspectateurs pour le décryptage, mais plutôt un problème de périodicité. En radio, les chroniques très matinales et quotidiennes d’Emmanuel Maubert sur Europe 1 ou d’Isabelle Morini-Bosc, sur RTL, ne souffrent d’aucune désaffection. En clair, les téléspectateurs veulent de la réactivité, de l’instantanéité et, par définition, les émissions hebdos sur la télé ont du mal à répondre à cette attente. »

Jean-Marc Morandini a donc décrypté les émissions de décryptage, qu’il évalue non pas en fonction de leur contenu, mais à l’aune de leur seule audience. En guise de décryptage, une étude de marché, plutôt rassurante : l’émission de divertissement qu’il anime – « réactive » et « instantanée » - triomphe de la concurrence…

 Claude Allègre, savant intouchable ?

Le 28 mai, « Giordano Hebdo » invitait sur Arte Claude Allègre. Un mathématicien, Michel Broué, opposé à l’ex-ministre et invité à lui poser une question, aurait été censuré, comme le raconte Mediapart (28 mai) :

« Dans son adresse vidéo – que Mediapart n’a pas pu visionner –, Michel Broué s’en prenait à Claude Allègre en des termes "très provocs", de l’aveu de l’intéressé lui-même : « Tu dis n’importe quoi sur des choses que tu ne connais absolument pas. Ce n’est pas moi qui l’écris, c’est Laurent Schwartz, ce grand scientifique et ce grand militant que tu disais respecter. Il avait bien raison : sur les mathématiques, sur la philosophie..., tu as dit des bourdes énormes. Des choses dignes d’un bonimenteur de foire qui ont stupéfié les scientifiques. Ensuite tu es passé au climat et tu as dit des bourdes encore plus grosses. En politique, tu es passé de Jospin à Sarkozy comme on change de trottoir. Cette absence de morale pour nous scientifiques est incompréhensible. »

Lors de l’enregistrement, dans les conditions du direct, de « Giordano Hebdo », la vidéo est présentée à l’ancien ministre de la recherche. "Il a pété un plomb", raconte un témoin, qui décrit Claude Allègre s’écriant : "Je ne veux pas que ça passe, je ne veux pas le voir ! Je ne réponds pas ! C’est inadmissible." D’après les témoignages que Mediapart a pu recueillir, Claude Allègre n’a pas demandé la suppression de l’intervention vidéo de Michel Broué. [...]

Traditionnellement, les invités vidéo de l’émission posent une question à l’invité principal. C’est ce que fait Bérangère Bonte, journaliste à Europe 1. C’est ce que refuse de faire Michel Broué : "Vois-tu Claude Allègre, je n’ai aucune question à te poser." Après avoir enregistré une première version, finalement effacée à sa demande, où il demandait : "Quand est-ce que tu dégages ?"

Cette dérogation à la formule de l’interpellation vidéo déplaît à Arte. "On a longuement réfléchi et on a jugé que la vidéo de Michel Broué n’ajoutait rien", conclut Marie-Hélène Girod. »

Le journaliste de Libération Sylvestre Huet, qui a récemment publié un ouvrage sur les nombreuses impostures scientifiques de Claude Allègre, s’interroge sur son blog (31 mai) sur le rôle des médias dans la promotion de ses thèses : « Ce nouvel incident montre à quel point Claude Allègre bénéficie encore d’un statut hors normes dans les médias. Statut qui lui permet d’éviter d’être mis en face de ses multiples mensonges, calomnies, insultes à l’égard de scientifiques réputés et de toute la communauté des climatologues qu’il accuse d’avoir constitué "un système mafieux" et "totalitaire", d’avoir construit "une imposture scientifique" pour tromper les gouvernements et les citoyens. »

Et quand Allègre n’est pas content, il le fait savoir. La moindre brèche chez ses adversaires et il s’y engouffre avec un but : les faire taire. Le télécologiste, qui affirmait dans la même émission n’avoir « jamais menti », intente donc un procès à l’hebdomadaire Politis et à huit personnalités du monde économique et scientifique (dont Jacques Testart, aussi chroniqueur à La Décroissance) signataires d’une tribune intitulée « Claude Allègre : questions d’éthique » et paru dans l’hebdomadaire et sur son site. La pétition de soutien à Politis peut être signée ici.

 Jean-Michel Aphatie, sociologue ?

Vexé d’avoir été comparé à un « journaliste aux ordres » par Bruno Roger-Petit sur LePost.fr (8 juin) Aphatie réagit vivement sur son blog deux jours de suite (9 et 10 juin), donnant une grande leçon de sociologie. Une leçon d’autant plus contestable que l’élève Aphatie (est-ce du lard ou du cochon ?) fait mine de découvrir Pierre Bourdieu à cette occasion. Citations :

« Selon l’auteur, il serait faux, abusif, de parler de "journalistes aux ordres". La réalité est autrement plus subtile, donc pernicieuse. Voici, sous la plume de cet intellectuel qui paraît avoir observé mon travail et aussi celui d’Arlette Chabot, sur France 2, la lumière, la clé, la solution »

Suit alors une citation de l’article de Bruno Roger-Petit : « Comme Aphatie, Chabot n’est pas "aux ordres". Sa façon d’exercer son métier trahit simplement le fait qu’elle a intégré le mode de pensée dominant du moment. Elle n’est pas "aux ordres", elle se situe juste "dans l’ordre" des choses qui lui paraît le plus naturel. Tout cela permet de répondre à la question posée par Kahn cette semaine dans Marianne. Ces journalistes ne sont pas "aux ordres", mais leur habitus (comme aurait dit Bourdieu) les oblige à entrer "dans l’ordre" donc, "en ordre", nuance. »

Et Aphatie de feindre l’ignorance… pour dissimuler son ignorance, en usant et abusant de l’humour d’un chansonnier : «  Je ne sais pas qui est ce "Bourdieu", cité dans la parenthèse, mais il devait être diablement intelligent, celui là aussi, pour employer un mot comme "habitus" qui ne se place pas aussi facilement que cela dans une discussion, au bistrot. Essayez, vous me direz. Quoiqu’il en soit [sic], habitus ou pas habitus, la démonstration est claire. Les journalistes "aux ordres" le sont "aux ordres", parce qu’ils sont trop cons pour s’en rendre compte. Dans mon cas modeste mais néanmoins éclairagiste, je suis à la botte du pouvoir sans même m’en rendre compte, sans le comprendre, par "habitus", qui rime ici avec "cubitus", de pinard. » (9 juin)

Le lendemain, sa Majesté – dont la pensée échappe à toute attraction sociale – surenchérit :

« Mon habitus étant ce qu’il est, je regarde le monde non pas tel qu’il est, impossible pour moi qui suis prisonnier de mon appartenance idéologico-politico-sarkozyco-comiquo-julio-sciencespo-toto-jojo-carabistouille, mais le monde tel que je suis conditionné pour le voir. En gros, je suis l’otage de moi-même, comme l’a brillamment expliqué un grand esprit que j’ai mis en lien hier et que j’ai la flemme de remettre aujourd’hui.

« N’empêche, ce grand esprit me l’a ouvert, l’esprit. Maintenant, je sais que je suis prisonnier de moi-même. Rassurez-vous, je ne changerai rien. Je garde tout. Mais puisque je suis prisonnier, je ne suis donc plus responsable. Je suis le produit d’une situation. Formidable. Quel bonheur. Désormais, je peux faire exactement comme Jean-François Kahn, écrire n’importe quoi, je m’en fous. C’est pas moi, monsieur, c’est la situation. Génial Je vais appeler cela, la pensée habitus. Peut-être même vais-je monter une association de la pensée habitus. Voire une association de défense de la pensée habitus, parce qu’il faut la défendre cette pensée formidable qui vous explique et vous décrypte avant même que vous ayez ouvert la bouche. D’ailleurs, j’ai lu ça, hier, dans un des multiples admirables commentaires du blogueur qui m’a ouvert les yeux. Ce commentaire disait, de mémoire, "Aphatie, on sait toujours ce qu’il va dire". Normal, vendu au pouvoir, donc défenseur du pouvoir. » (10 juin)

Démonstrations a contrario que l’on ne sait pas toujours ce que va dire Aphatie. Parfois la bêtise déconcerte…

 Science-Po, école du bon journalisme ?

Le 7 juin, Arrêt sur images revient sur le rapprochement en cours entre l’ESJ Lille et l’IEP de Lille. En effet, les deux école prévoient de fusionner leurs cursus dès 2011. Le diplôme de l’ESJ deviendrait un master de l’IEP, et le concours ne serait plus commun avec le CFJ et l’IPJ mais avec l’IEP. La moitié des élèves des futures promos seraient ainsi issus de l’IEP.

Un correspondant nous fait remarquer :

« Les étudiants de l’ESJ y sont opposés (à différents degrés, mais je n’en connais pas un qui soit pour) pour plusieurs raisons qu’ils ont jugé utile de détailler dans une lettre ouverte reprise, pour le moment, sur le site d’@SI (pièce jointe). Bon, quand ils parlent de la diversité des profils à l’ESJ, il ne faut pas se mentir, cette diversité n’est absolument pas sociale, évidemment.

Le principal grief à l’encontre de ce rapprochement est la possibilité offerte à 50 étudiants de l’IEP Lille d’accéder à l’oral du concours d’entrée à l’ESJ sans passer par les écrits (au final, 20 sur une promo de 56 pourront être pris... sans compter les étudiants des autres IEP). Sur ce point, la direction de l’ESJ n’a apporté aucune explication convaincante. Il faut dire qu’elle semble n’avoir pas eu vraiment le choix... Je précise d’ailleurs que les responsables pédagogiques de l’école, eux, n’ont même pas été mis au courant de l’affaire (ils l’ont appris par la presse) et, même s’ils ne peuvent pas le dire, sont plutôt défavorables à ce rapprochement. Lequel apparaît comme une suite du renflouement de l’école (à hauteur de 3 millions d’euros) par la Région, qui semble avoir ensuite imposé l’IEP Lille comme partenaire "universitaire".

Chose non précisée dans l’article d’@si : les frais d’inscriptions passeront, à la rentrée prochaine, de 3500 à 3900 € l’année. Au terme de leur formation à l’ESJ, les étudiants pourront également être diplômés d’un master Sciences-Po (au départ, l’ESJ et l’IEP envisageaient de faire payer ce diplôme 1000 € !) »

Le journalisme selon Sciences-Po, c’est aussi un affaire d’euros…

 Les Bogdanov, physiciens du service public ?

Le 15 juin, @si revient sur un reportage « scientifique » étonnant de France 2 :

« Cela commence comme un reportage scientifique ordinaire, et se termine par la promo des frères Bogdanov, et... du rôle de Dieu dans le Big Bang.
Dans le JT de France 2, vendredi 11 juin, le présentateur Laurent Delahousse lance un reportage sur les dernières recherches scientifiques à propos du Big Bang au CERN, à Genève. Mais aucun scientifique n’est interviewé. Seuls les deux frères Bogdanov ont la parole, pour affirmer que tout ceci résulterait bien de la main de Dieu.

"Il était une fois, il y a 13 milliards, 700 millions d’années, le Big Bang. (...) Sur terre aussi, les scientifiques cherchent à comprendre et à reconstituer le Big Bang." Le reportage commence comme un reportage scientifique classique, au CERN, à Genève, où des scientifiques reconstituent les conditions de l’origine de l’univers.

Mais cette entrée en matière n’est qu’une "accroche" Le journaliste opère une pirouette dans son commentaire : "tout ceci passionne les frères Bogdanov", et en arrive à l’objectif de son reportage : la promo du dernier livre des jumeaux, "Le visage de Dieu". Il n’est alors plus question du CERN. Aucun scientifique n’est interviewé. Seuls Igor et Grishka ont la parole. [...]

Ce reportage sur France 2 tombe aussi à pic : les deux jumeaux ont confirmé à @si qu’ils sont de retour sur le service public cet été, en deuxième partie de soirée sur France 2, pour une série de cinq documentaires. »

Ce n’est pas la première imposture des deux frères médiatiques. Dès 2004, nous écrivions, en exergue d’une tribune libre de Jean-Pierre Messager critiquant le mélange des genres auquel se livrent Igor et Grischka, dont la légitimité scientifique reste à prouver : « Acrimed ne dispose pas collectivement des compétences scientifiques qui nous permettraient d’évaluer la controverse scientifique qui sous-tend cette contribution (que nous publions par conséquent en « tribune libre »). Mais la prétention de certains médias non spécialisés d’intervenir en arbitre de ces controverses justifie amplement qu’on la conteste. Cette variété de l’emprise du journalisme est d’autant plus nocive qu’elle est mise au service de la promotion médiatique de personnes traitées comme des étoiles de la science parce qu’elles sont... des « stars » du petit écran. »

 Amaury, propriétaire des commentaires sportifs ?

L’organisateur du Tour de France, Amaury Sport Organisation (ASO), a ce pouvoir de faire retirer des images de France 2 sur YouTube (et non Dailymotion comme l’indique Numérama). Ici, il s’agit d’un dérapage de Gérard Holtz, qui croyait finaud de traiter les habitants de Putte (en Belgique) de « fils de Putte » (ah, ah, ah, prévenons vite Philippe Val, pour qui il y aura toujours de l’humour sur France Inter et qui cherche un remplaçant à Demorand).

Comme d’habitude, YouTube retire du contenu sur simple demande des prétendus ayant-droits, sans qu’aucune injonction ni procédure judiciaire ne soit engagée. Et fait étrange ici : c’est ASO qui fait la demande, et non France Télévisions à qui appartiennent pourtant les droits de diffusion et qui produit l’émission éponyme dédiée au Tour de France.

Contactée par Numerama, ASO a une réponse toute trouvée : « la société Amaury nous confirme qu’elle est maître d’œuvre de l’organisation du Tour de France, et donc que ASO reste propriétaire des images du Tour même lorsqu’il s’agit du commentaire réalisé par les journalistes de France Télévisions. »

Les commentaires des journalistes sportifs de France 2 appartiennent à ASO : qu’on se le dise ! Et qu’on ne vienne pas nous parler d’arnaque !

  France soir et Le Figaro, juges du mauvais capitalisme ?

Dans France Soir, propriété d’un riche oligarque russe, Frédéric Lefèbvre se prend pour Zola et « accuse ». Soutenu par la rédaction du journal sarkozyste, qui l’aide à préciser son allusion, le porte-parole de l’UMP s’en prend au capitalisme médiatique dont Mediapart serait une proie de première importance : « Un site aux méthodes inqualifiables financé par un riche homme d’affaires (NDLR : Médiapart, dirigé par Edwy Plenel, ancien directeur de la rédaction du Monde, et en partie financé par Xavier Niel)… »

Une info reprise par Le Figaro, propriété du marchand d’armes Dassault : « Dans une tribune publiée jeudi par France Soir, le porte-parole de l’UMP Frédéric Lefebvre a, lui, fustigé "un site aux méthodes inqualifiables financé par un riche homme d’affaires". Il vise sans le citer Xavier Niel, vice-président du groupe de télécommunications Iliad. C’est un nouveau tir de barrage contre le fondateur du fournisseur d’accès à Internet Free, associé à Matthieu Pigasse et à Pierre Bergé dans une opération de refinancement du quotidien Le Monde, que l’Élysée ne voyait pas d’un bon œil. »

Décidément, rien ne les arrête (ici pour notre meilleur éclat de rire) : des journaux appartenant à de richissimes hommes d’affaires n’hésitent pas s’en prendre, fût-ce indirectement, à Mediapart dont Niel ne détient qu’une part minime…

 Pujadas et PPDA, experts en interviews ?

12 juin 2010, concours de complaisance sur France 2.

En première partie de soirée, David Pujadas reçoit (ou plutôt est reçu par) Nicolas Sarkozy chez lui, à l’Élysée. C’est une grande victoire professionnelle pour lui, ainsi qu’il l’indique dès le lendemain au site Télé2semaines : « En décembre dernier, j’avais fait la proposition d’une émission, et le Président avait préféré TF1. Mais il m’avait fait la promesse que pour les retraites, il viendrait parler chez nous. J’ai rappelé il y a une dizaine de jours, et vendredi dernier, ils m’ont dit, "on y va". C’était formidable. »

Mais le même soir, France 2 enchaîne sur une interview énamourée d’Albert II de Monaco par PPDA, qui signe ainsi son grand retour sur cette chaîne après vingt-sept ans d’absence. « C’était formidable » !

  Le Monde, équivalent d’Aristote ?

Dans le supplément « Réviser son bac avec Le Monde », on pouvait lire le 2 juin 2010 :

On distingue différents types d’arguments :
- l’argument logique fait appel à la raison ;
- l’argument d’expérience repose sur les acquis du passé (« L’expérience montre que... ») ;
- l’argument d’autorité s’appuie sur une personne célèbre ou reconnue (ex. : « Aristote dit que... »), sur une source réputée fiable (« le journal Le Monde écrit que... ») ;
- l’argument ad hominem met en cause la vie privée.

Quand Le Monde se prend pour exemple, c’est pour rire ?

 
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